Juan Fortuna
Jean-Philippe Rossignol

Christian Bourgois Editeur

123 p.  15 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Mon frère, ce héros.

Il y a deux frères dans la famille Fortuna. Quand l’un disparaît, celui qui reste mène l’enquête, sous la forme d’un éloge troublant envers son double solaire et énigmatique.

Juan a disparu en 2009. Il avait trente ans. Depuis, son frère aîné le cherche, parce que l’idée même de sa mort est impossible. Il remonte le fil des souvenirs et se livre à un exercice de reconstitution qui frôle l’idolâtrie. Issus d’une famille un peu bohème qui habite le quartier bourgeois de la Recoleta, à Buenos Aires, Juan et son frère grandissent dans l’après-dictature, baignés d’une insouciance qui touche les adultes mêmes. Tout enfant déjà, le petit frère ne tient pas en place, il n’écoute rien, fait ce qu’il veut, s’enthousiasme et se lasse tout aussi vite. On se dit que l’enfant terrible se calmera avec l’âge. Ce n’est pas le cas. Adolescent, Juan aime les fêtes, le sport, les voyages, il est beau comme un acteur et virevolte à cent à l’heure. Pour lui, la vie est un jeu : un coup de dés et la fortune sourit ou fait la grimace. Il va au champ de courses, parie, gagne, perd, fréquente des infréquentables, assiste à un meurtre, met un pied en « pays de Fureur ». Fin du premier acte. Il faut lui donner des limites : son père l’envoie travailler dans une maison de retraite pendant l’été de ses dix-huit ans. Juan croit d’abord que la vieillesse est au-dessus de ses forces, jamais il ne supportera les corps qui n’en peuvent plus, les odeurs, la mort. Non seulement il supporte, mais il apprend la patience et la dignité. Pour la première fois, il fait attention aux autres, lui qui n’a jamais fait attention à lui-même. Mais sa sensibilité à fleur de peau n’est pas sans conséquences ; il boit, il conduit en trombe la nuit sur les routes désertes pour semer la douleur. Il franchit les limites et continue à dériver, devient monomaniaque puis dévisse. Son sulfureux cousin Carlo n’a qu’à se baisser pour le cueillir et se servir de lui pour ses petites combines qui prennent bientôt le nom de corruption. Mais ce monde non plus n’est pas pour Juan, qui ne peut sortir du dédale maléfique qu’en abolissant ses propres frontières. Alors il quitte cette vie. Rideau.

Le roman de Jean-Philippe Rossignol est écrit à la vitesse de l’éclair, dans un style rapide, nerveux et efficace qui se confond avec son sujet. Juan est une étoile filante, un jouet du hasard qui décide un jour de s’emparer de son destin en s’éclipsant, préférant la vie éternelle à la vanité des choses humaines. Derrière lui il y a l’ombre portée du frère qui regarde, et dont on doute parfois de l’identité, la narration habile permettant toutes les conjectures, dont celle de la métaphore d’un pays Janus ou schizophrène, une Argentine qui se livre à l’ultralibéralisme et envoie mourir ses traditions loin des quartiers nouveaux.

partagez cette critique
partage par email