L'ombre de nos nuits
Gaëlle Josse

NOIR SUR BLANC
notabilia
janvier 2016
192 p.  15 €
ebook avec DRM 5,99 €
 
 
 
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La poésie du clair-obscur

Quel début d’année ! Je n’en reviens pas. Les textes que je découvre, quoique portant sur des sujets bien différents, me touchent chacun de leur façon. Pourvu que ça dure ! Je le dis tout de suite, de Gaëlle Josse, je n’ai pas lu Le dernier gardien d’Ellis Island qui a eu beaucoup de succès mais je peux vous assurer que ça ne va pas tarder ! Au début du livre, l’éditeur précise que l’auteur est venu à l’écriture par la poésie. Je crois en effet que Gaëlle Josse pourrait bien nous parler de n’importe quoi, nous nous laisserions porter par sa prose si nuancée, si douce, si poétique. La délicatesse faite écriture. Une prose qui apaise et qui soigne… Dans L’Ombre de nos nuits, deux histoires s’entremêlent : celle d’un peintre, Georges de la Tour, en son atelier de Lunéville, au début de l’année 1639. Dans le clair-obscur de la pièce, il prépare sa toile et éprouve un « vertige… devant cette surface vierge. Tout y est possible. » Son petit apprenti Laurent l’observe et commente chacun de ses gestes. Il fait bon dans l’atelier, les regards se croisent et se taisent. Chacun contemple ce « Maître qui sait peindre le silence. » Il sait que sa fille Claude prêtera son visage à Irène, la jeune femme penchée sur Saint Sébastien et qui tente de lui enlever une flèche fichée dans la cuisse. Marthe, la fille de la servante, sera celle qui se dissimule le visage au second plan. Il faut se mettre au travail car le peintre destine son œuvre au roi, Louis XIII. Puis, changement d’époque : nous sommes à Rouen, au printemps 2014 : une jeune femme est face à la toile peinte par De La Tour : « Saint Sébastien soigné par Irène », dans un musée de Rouen. Elle aussi a aimé et essayé de soulager, de soigner celui qui souffrait. Elle se perd dans la contemplation de ce tableau qui la renvoie à ce passé, encore là, si près, et dont elle panse encore les plaies. Lumières, lumières de quelques moments heureux, intenses, miraculés où l’on a fait don de soi, de son amour : « Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie sacrée », ce sont les mots de René Char, cités en exergue. Don du peintre qui donne de soi pour insuffler la vie aux personnages sur la toile, don de sa fille Claude qui doit penser, comme le lui demande son père, à ce qu’elle aime le plus au monde lorsqu’elle pose, don de Laurent, le petit apprenti orphelin, qui s’est offert secrètement à Claude et se livrera corps et âme à la peinture, don de la narratrice qui s’est perdue en l’homme qu’elle aimait. Ombres, ombres de la guerre, celle de Trente ans, qui n’en finit pas, de la peste, en cette année 1639, désolation de voir ce fils aimé qui ne saura jamais peindre, ombres d’un nom que l’on entend prononcer et qui est celui de l’autre, celle dont l’ombre plane. « De l’obscurité émerge une étrange vérité, celle de nos cœurs. » constate le peintre. Peut-être a-t-on besoin de l’ombre de nos nuits pour survivre à la lumière, s’élancer dans le jour qui nous appelle et « Reprendre la route ».
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coup de coeur

Un subtil jeu de miroir, de regards croisés, d’ombre et de lumière.

Ouvrir un nouveau livre de Gaëlle Josse provoque un délicieux petit frisson mêlant impatience et plaisir. Roman après roman, après seulement quatre publications, une sorte de ferveur unit un nombre croissant de lecteurs conquis, désireux de retrouver la musicalité de ses phrases et la précision de ses mots, de se laisser happer, caresser… Ce cinquième roman risque d’amplifier le phénomène, c’est un vrai bonheur. Déjà lu deux fois pour mieux en explorer les méandres, en saisir toutes les subtilités. Car il y a dans L’ombre de nos nuits, en plus du charme habituel, une sacrée ambition. Il suffit d’étudier le titre et l’épigraphe – « Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie sacrée » (René Char) – pour savoir que c’est bien d’amour dont on va parler. L’amour sous sa forme la plus accomplie, celle du don de soi. L’amour, la solitude, l’exploration de l’intime sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Gaëlle Josse. On connaît aussi son goût pour les arts (musique, peinture, littérature) qui irrigue ses pages et sert souvent de fil conducteur à la trame narrative. On sait également son inclination à explorer le passé pour le mettre en parallèle avec le présent. Toutes ces influences convergent dans L’ombre de nos nuits pour livrer au lecteur un subtil jeu de miroirs aux multiples facettes par-delà les époques. Un jeu d’ombres et de lumières, tout droit sorti de la palette d’un peintre. « Comment un peintre aborde-t-il un sujet ? Comme un nouvel amour ? Collision frontale ou lente infusion ? La claque ou la pieuvre ? Le choc ou la capillarité ? Plein soleil ou clair-obscur ? Toi, tu m’avais éblouie. Ensuite, je me suis aveuglée ». De nos jours, devant le tableau de Georges de La Tour, Saint Sébastien soigné par Irène (en couverture du livre), la narratrice est soudain renvoyée au souvenir d’une souffrance amoureuse qu’elle pensait avoir remisée bien loin dans son esprit. Le regard que porte Irène sur l’homme qu’elle soigne lui semble refléter l’amour le plus total, le plus absolu. Tandis qu’elle revit cette histoire, décortique les étapes de la passion amoureuse qui l’a tenue presque prisonnière et remonte jusqu’aux failles de son enfance, le lecteur se voit proposer un voyage parallèle au cœur de la genèse du fameux tableau. Le regard d’Irène qui bouleverse tant la narratrice, c’est celui de Claude, la propre fille de Georges de La Tour qui lui demande de penser à ce qu’elle aime le plus au moment de la pose… Nous sommes au XVII ème siècle, en Lorraine alors dévastée par la guerre de trente ans. L’atelier du peintre fait figure d’oasis de calme et de beauté. Là se côtoient Etienne, le fils, Diane, l’épouse et Laurent l’apprenti chargé de réaliser une copie de la toile lorsqu’elle sera achevée. Dans cet atelier, Gaëlle Josse nous offre un magnifique jeu de regards, celui du peintre qui influence ce qu’il restitue, celui de Laurent sur Claude, et celui de la jeune fille, tendu au loin, plein de ferveur amoureuse. Et nous projette avec des mots de toute beauté et d’une folle sensualité au cœur du processus de création en peinture. « Je n’ai qu’un peu de beauté à offrir au monde, celle du tremblement d’une flamme dans la nuit. Peut-être est-ce dérisoire, mais c’est mon seul talent. Je ne veux plus peindre à la lumière du jour, qui ne sait éclairer que terreur et désolation ». Toutes ces pages ne sont que finesse et sensibilité, justesse de l’évocation du sentiment amoureux, quelle que soit l’époque. On y parle d’acceptation de la souffrance, d’humilité, d’effacement pour le bonheur de l’autre. Du pouvoir d’un regard. De ce que l’on voit et de ce que l’on choisit de ne pas voir. D’aveuglement. Chaque mot est choisi avec soin et chaque nouvelle lecture révèle une facette supplémentaire, à la manière d’un kaléidoscope. Encore une fois, la magie opère, la plume de Gaëlle Josse séduit, touche, emporte. Non, décidément, on ne s’en lasse pas.

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