La certitude des pierres
Jérôme Bonnetto

Inculte
janvier 2020
189 p.  16,90 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La loi des traditions

Rugueux, minéral, animal et terriblement humain, tel est le roman de Jérôme Bonnetto, construit comme une tragédie en cinq actes, avec un prologue, un épilogue et un chœur de femmes. Une guerre de la terre entre deux clans, les chasseurs et le berger, les habitudes et la nouveauté, les enracinés et les étrangers.

A Ségurian, village perché de quatre cents âmes, on ne déroge pas aux traditions, comme la fête de la Saint-Barthélemy, la chasse, le respect des morts et des usages. La famille Anfosso est l’une des plus anciennes du lieu, donc la plus influente. Joseph et son frère possèdent l’entreprise de bâtiments et constructions locale, pourvoyeuse de « travail et [de] pain ». Ici, la devise se résume avec ces mots : c’est comme ça, esprit grégaire et immuabilité. Aussi, lorsque Guillaume Levasseur décide de venir s’installer avec un projet de bergerie de montagne, il soulève les remarques méfiantes et moqueuses. Le jeune homme issu de la ville a fait des études, il a voyagé, il est résolu, et en trois ans de travail acharné, le succès lui sourit. Le revers de la médaille est l’hostilité croissante d’une partie des villageois. En effet, les moutons et les chasseurs ne font pas bon ménage, et les accidents sont fréquents : une balle perdue, un chien agressif, des moutons tués… Joseph Anfosso, chef des chasseurs, n’a pas l’intention de laisser l’étranger empiéter sur son territoire, en dépit de la loi : « ici les règles sont différentes ». Les tensions s’exacerbent, les provocations redoublent, chacun ronge son frein et en fait une affaire personnelle qui bientôt dépasse la simple occupation du sol. La haine qui les anime plonge ses racines dans la bêtise, la médiocrité et les sentiments de domination. Entre ces hommes gonflés d’orgueil et de préjugés, il ne manque que la fatalité pour enclencher le mécanisme de la tragédie. Un très beau roman, tendu et sauvage.

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coup de coeur

« La certitude des pierres » de Jérôme Bonetto
est le coup de coeur de La librairie Millepages à Vincennes
dans le q u o i  l i r e ? #99

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Si mes chroniques littéraires devaient un jour servir à quelque chose, eh bien ce serait à faire connaître des livres comme celui-ci. Car, oui, vraiment, ce roman est une splendeur et je pèse mes mots… Le récit tendu à l’extrême est servi par une écriture intense, sensuelle et poétique de toute beauté… Dès les premières lignes, on est saisi et l’on comprend que l’oeuvre que l’on commence à peine va nous emporter, nous tenir en haleine jusqu’au bout… Franchement, lisez-le, lisez-le, lisez-le… Je vais tenter de vous convaincre mais mes mots seront bien pauvres par rapport à la force de ce texte et à la puissance qui s’en dégage.
En fait, nous entrons dans un monde tragique où, d’une certaine façon, la règle des trois unités est parfaitement respectée : unité de temps, six années dont les tensions s’exacerbent autour d’une fête : la saint Barthélemy (24 août) où l’on déguste la traditionnelle soupe au pistou ; unité de lieu : un petit village du Sud, entre mer et montagne : Ségurian, quatre cents habitants ; unité d’action : un certain Guillaume Levasseur qui, après avoir baroudé à droite à gauche, arrive au village avec un projet bien précis en tête : construire de ses propres mains une bergerie et s’installer comme berger.
Seulement, Ségurian est depuis toujours une terre de chasseurs à la tête desquels règne la dynastie des Anfosso, notamment Joseph, l’aîné, chasseur de sangliers, bâtisseur de la quasi totalité des maisons du village, un gars du pays, un enraciné, un du cru à qui on n’impose rien, à qui on ne la fait pas. À qui on obéit. « Ségurian, un village de chasseurs donc, avec une grande famille de chasseurs et un chef chasseur. »
Alors évidemment, l’arrivée de ce néo-berger, de cet étranger, titille fortement le Joseph… Parce que, non content de s’installer sur une terre qui n’est pas la sienne, ce Guillaume en impose : il est beau, grand aussi… Mais pas seulement… Il est aussi courageux, déterminé, méthodique, bosseur acharné et en plus, il sait parler, il serait même un peu intello sur les bords… Il sait mener son projet à bien, en restant réglo avec la loi, tout lui sourit à ce gars…
« Au village, Joseph se moquait un peu du berger quand le berger n’était pas là, mais il lui fallait cacher en même temps une certaine admiration. Au fond de lui, il reconnaissait des valeurs communes – le travail, l’abnégation, la détermination – et subodorait tout à la fois d’autres qualités qu’il craignait de ne pas avoir. Le berger dérangeait l’ordre des choses. Il redistribuait les cartes. »
Et ses premières bêtes, de belles bêtes, triées sur le volet et avec amour, une cinquantaine de moutons et de brebis, paissent tranquillement dans la montagne comme si elles étaient chez elles…
Insupportable pour le gars Joseph, vraiment insupportable… D’autant que la bergerie du gars Guillaume, elles est juste au-dessus de la maison de Joseph… Elle domine en quelque sorte…
Il y en a bien eu un berger au village, un certain Jacquou, mais ça fait des lustres qu’il est mort, on n’en parle plus… Alors, qu’est-ce qu’il vient faire là, ce type, pour qui il se prend ?
Il va falloir qu’il les range, ses bestioles parce que les chiens pourraient bien, par accident hein, bien sûr, en saisir une ou deux à la gorge, comme ça, en passant, histoire que le berger comprenne qu’il n’est pas chez lui… Ça ferait mauvais effet tout ce rouge sang sur la blancheur immaculée de la bête… (Ceux qui connaissent ma passion pour Un Roi sans divertissement de Giono sauront à quel point ces contrastes me saisissent…)
Deux mondes, des valeurs opposées, des incompréhensions mutuelles, des tensions terribles…
Vous verrez : tandis que les clans s’affrontent dans un silence plein de haine, de détestation et de fureur, le choeur des villageois essaie tant bien que mal de maintenir une paix devenue impossible, cependant que le fou du village annonce, à travers d’étranges paroles sibyllines et prophétiques, des choses imminentes que l’on sent redoutables…
L’écriture à la fois imagée et réaliste, poétique et crue, sensuelle et âpre dit parfaitement la folie et la bêtise des hommes, leur impossibilité de calmer leur passion, leur jalousie, leur haine au point de redevenir des brutes, des sauvages, des bêtes.
Un roman noir, très noir…
Un IMMENSE coup de coeur, un très très grand texte que vous pouvez, à défaut du format papier, vous procurer dès à présent (comment attendre?) en epub sur le site des éditions Inculte. Vous allez vraiment être saisi par ce roman et vous régaler, allez, allez, foncez !

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