La douleur fantôme
Garance Meillon

Fayard
mars 2018
400 p.  20 €
 
 
 
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Variation subtile sur le thème de l’image et de l’identité

Une famille normale, le premier roman de Garance Meillon avait suscité l’intérêt de bon nombre de lecteurs, tant par son écriture que par l’originalité de son angle de vue. Suffisamment pour donner envie de découvrir son deuxième roman, tout frais sorti des presses pour prendre place sur les tables des librairies. Un roman qui s’avère très différent du premier avec néanmoins une sorte de fil rouge, cette question de l’image qui semble inspirer Garance Meillon (mais quoi de plus normal pour une scénariste et réalisatrice ?).

La douleur fantôme est celle que l’héroïne ressent après qu’un accident de la circulation l’a laissée défigurée et qu’un habile chirurgien s’est chargé de lui reconstruire un visage. Voilà qu’elle est guérie, réparée, sauvée mais qu’elle ne se ressemble plus. Elle ne se reconnait plus et ne cesse de s’interroger sur le regard des autres, cherchant dans leurs yeux ce qu’ils ne lui disent pas. Incapable de reprendre sa vie où elle l’a laissée, obsédée par ce changement d’image, elle entreprend de récupérer toutes ses anciennes photos afin d’effacer toute trace de son ancien visage et parvenir ainsi à se réinventer. Une quête qui la mène jusqu’à Los Angeles où elle a passé quelques années à l’Université et compte quelques anciens amis… Los Angeles, capitale mondiale du cinéma et de l’image. Là-bas, sa ressemblance frappante avec une ancienne star du cinéma muet des années 1920 agite le petit milieu du cinéma et lui offre peut-être l’occasion de tourner la page…

« Les photos sur la cheminée semblent l’observer pendant le dîner. Elle se demande s’il arrive encore à sa mère de les regarder. Elle se demande surtout si les photos ont pris la place des souvenirs. Cette idée ne la quitte plus, elle l’obsède, comme l’air d’une chanson dont elle aurait oublié les paroles. Elle se rend compte que les photographies n’ont jamais été importantes pour elle – elle a toujours préféré fermer les yeux pour penser aux gens qu’elle aime. »

A l’heure où chacun dégaine son portable pour immortaliser tout et n’importe quoi avant même de le regarder, à l’heure où chacun se met en scène via les réseaux sociaux, Garance Meillon propose une réflexion originale sur le rapport entre identité et image. Un changement d’apparence induit-il un changement de personnalité ? Se fait-il le révélateur d’une personnalité enfouie sous une précédente image ? Est-on ce que l’on paraît et paraît-on ce qu’on est ? Le parcours de notre héroïne passe par une sorte de dépouillement de ses anciens oripeaux, indispensable pour parvenir à se réinventer. Mais si le propos de l’auteure est particulièrement intéressant c’est qu’il parvient à englober toute la problématique autour de l’image, celle que l’on nous impose, celle que l’on crée de toute pièce, celle que les médias aident à véhiculer, celle derrière laquelle on se cache, celle que l’on vend comme du rêve. Los Angeles est forcément l’endroit rêvé, carrefour de tous les fantasmes.

« (…) elle se dit qu’elle-même est venue ici pour faire place nette, parce que la Californie ne s’accroche pas au passé, contrairement à l’Europe, et parce qu’ici une image en remplace vite une autre. »

Garance Meillon propose un roman très dense qui surfe habilement sur les clichés véhiculés par le mythe hollywoodien et ses mirages pour mieux parler de notre époque et de ces couches en trompe l’œil que nous superposons pour créer notre image idéale. Mais elle parle également avec beaucoup de justesse de la féminité, de ce fameux cap de la quarantaine (âge de l’héroïne) qui incite à se questionner avec une urgence inédite pour savoir qui l’on est vraiment.

Décidément, Garance Meillon a un véritable univers, une plume efficace qui ne craint pas de s’aventurer hors des sentiers battus pour flirter avec les univers parallèles. Son roman est ambitieux et fort bien troussé.

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