La source
Anne-Marie Garat

Actes Sud Editions
août 2015
378 p.  21,80 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
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coup de coeur

la Rencontre

Qui aurait dit qu’un jour nous nous prendrions de passion pour Le Mauduit, petit village imaginaire de la Franche Comté, pour une nonagénaire nommée Lottie, et pour une famille de la haute société, les « Ardenne ».? Le Mauduit devient notre village, Lottie notre amie de cœur et les Ardenne notre famille. La narratrice (dont nous ne saurons jamais le prénom, elle pourrait être chacun d’entre nous) est une enseignante à l’université, venue au Mauduit avec l’objectif intellectuellement défendable de préparer pour ses étudiants un travail sur les mutations de la société rurale tout au long du vingtième siècle. Or, le choix de ce village se révèle n’être pas anodin, elle y possède un souvenir d’enfance, diffus, mais suffisamment présent en elle pour l’y amener. Elle loge chez Lottie, 90 ans, arrachée à la misère de sa ferme à l’âge de 12 ans par Vitalie Ardenne qui doit élever sa petite fille Anaïs, abandonnée dans la cuisine une après-midi d’été par un mystérieux voyageur. Lottie passera toute sa vie dans la grande maison Ardenne , y verra vivre et mourir tous ses occupants et deviendra la dépositaire de tous les secrets de famille. Avec beaucoup d’intelligence et d’humour Lottie va raconter à sa visiteuse toutes ces années et va l’aider à faire remonter en elle sa part d’enfance oubliée (et par la même occasion lui faire faire une très belle rencontre sentimentale). Les dialogues sont savoureux, les descriptions des paysages magnifiques, de la Franche Comté à l’Amérique du Nord et toute l’analyse de cette France avant et après la guerre d’une grande justesse. Et nous mêmes, sur les pas de Lottie, et à l’image de la narratrice, allons à la rencontre de nos sources, celles qui font les fleuves, et celles qui sont à l’origine des légendes qui jalonnent nos vies. Un très grand moment de lecture.

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coup de coeur

Voyage enchanté là où les histoires trouvent leur source

Anne-Marie Garat est une sorcière. Une charmeuse dont la plume telle une flûte enchantée, agit sur le lecteur comme une sorte d’envoûtement. Avec La Source, elle livre une magistrale réflexion sur la narration, la façon dont se transmettent les histoires, naissent les légendes dont se nourrissent les récits. A l’heure où le story-telling pilote toute communication, comment ne pas être captivé par ce voyage qui tente d’éclairer le processus permettant de privilégier la narration plutôt que les faits ?

Il y a d’abord la langue, reconnaissable entre toutes. Charnue, ronde, généreuse. Ces phrases qui enveloppent, tournoient, semblent se perdre avant de retomber parfaitement sur le fil narratif. Il faut un petit temps de réadaptation parce que cette langue est rare. La scène d’ouverture est là pour ça. Sublime, pleine de couleurs, de sons et d’odeurs. Déroulant peu à peu le charme déjà goûté dans la sublime trilogie (Dans la main du diable, L’enfant des ténèbres, Pense à demain).

Il y a l’histoire. Cette rencontre assez improbable entre Lottie et la narratrice dans un petit village de Franche-Comté, Le Mauduit. C’est a priori le hasard qui a conduit la narratrice dans ce bourg où elle souhaite organiser pour ses étudiants en sociologie une séance de travaux pratiques à partir des archives de la mairie. Le hasard encore si, faute d’hôtel dans la bourgade, elle se trouve hébergée par Lottie, une nonagénaire qui vit désormais seule dans la propriété des Ardenne, une famille autrefois influente. Dès leur rencontre, les deux femmes s’apprécient au point que Lottie pourtant habituellement solitaire et avare de confidences entreprend de raconter à sa visiteuse l’histoire de la maison et de la famille qui l’a érigée. Mais elle prévient : il ne faut surtout pas la croire sur parole.

Le hasard ? Pas si simple. L’histoire personnelle de la narratrice semble trouver des ramifications dans ce bourg où elle a le vague souvenir d’être déjà venue, enfant, à l’initiative de son père que l’étape avait semblé bouleverser. Et son séjour fait émerger d’autres souvenirs avec le secret espoir de trouver quelques réponses pour compléter les trous qu’elle devine dans son histoire familiale. Au fil de ses investigations, à la lumière des récits de Lottie, le passé refait surface, charriant son lot de joies et de drames à l’ombre de la grande Histoire, celle des monuments aux morts des deux guerres qui ont jalonné le siècle avec leurs horreurs, leurs fantômes et leurs secrets encore douloureux.

Enfin, il y a la construction. Anne-Marie Garat nous emmène sur pratiquement un siècle, entre l’histoire singulière de Lottie liée par le soin du destin (et un coup de pouce qu’elle a elle-même donné) à celle de la famille Ardenne, l’histoire du bourg, celles des membres de la famille et de leurs proches qui, outre leur lot de secret et de trahisons irradient aux quatre coins du monde et notamment dans le Grand Nord canadien. Sans oublier la quête personnelle de la narratrice et la façon dont ces histoires influeront sur sa propre vie. Tel un canevas, l’auteure tisse une matière foisonnante, développe, mélange les couleurs, arrange les motifs sans jamais se perdre, pour un résultat qui laisse totalement ébloui, avide de replonger dans ce texte pour s’en délecter encore et encore.

Hommage à ceux qui racontent les histoires et à ceux qui les écoutent, vaste interrogation sur la transformation au fil des narrations, fabuleuse saga historique, incroyable portrait d’un personnage hors du commun, ce roman est tout ça et bien plus encore. Il est de ceux qui dévoilent de nouvelles facettes à chaque lecture. Un enchantement, vous dis-je.

Retrouvez Nicole G. sur son blog  

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