Le bal mécanique
Yannick Grannec

Anne Carrière
août 2016
539 p.  22 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Le Bauhaus et ses trésors

En 2012, une collection d’ oeuvres d’art est retrouvée chez un nommé Gurlitt , ces tableaux faisaient partie des œuvres spoliées par les nazis. Reste à retrouver les propriétaires ou leurs descendants, et là est le cœur du roman .Y.Grannec a du passer énormément de temps à se documenter car les références artistiques sont nombreuses et bien documentées.Cette jeune femme a bien mûri son roman avant de se lancer dans l’écriture, au demeurant bien agréable à lire. En fait, ddeux romans sont imbriqués dans ce gros livre. Tout d’abord, on se trouve à Chicago, maintenant ; une équipe de télévision ,dirigée par Josh Shors, est spécialisé dans la télé-réalité, son émission fait appel avant tout à la psychologie, et c’est dans une ambiance effrénée qu’elle se déroule. Quel rapport avec ces tableaux ? Le père , quasiment oublié de Josh décède , il part en Europe et tout s enchaîne De Berlin à Moscou, une enquête débute pour dénouer l’écheveau familial ; les secrets de famille, les tourments inhérents ont une grande place dans le roman. Mais surtout l’époque féconde de la peinture a la part belle ; De P.Klee à Kandinsky, de Gropius à Meyer, c’est toute l ‘école du Bauhaus qui est à l’honneur , cet énorme chaudron de créateurs et son grand « bal mécanique » événement important pour Magda, l’héroïne la plus lumineuse de ce roman. J’aime beaucoup cette période artistique d’avant les nazis et m’y suis promenée très aisément , mais peut-être que des lecteurs que n’attire pas la peinture trouveront quelques longueurs à ce copieux ouvrage.

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Une ode à la liberté et au pouvoir de la création.

Il faut avoir une ambition folle, une curiosité sans fond et être un peu dingue pour se lancer dans l’écriture d’un tel roman… mais quelle réussite ! Côté rapport qualité prix, le lecteur n’est pas déçu puisque ce sont presque deux livres qui lui sont proposés pour le prix d’un seul. Deux parties donc, qui pourraient se lire indépendamment l’une de l’autre mais qui, mises bout à bout offrent à cet ouvrage une profondeur remarquable. Les Arts, la vie, la liberté. A travers l’histoire d’une lignée d’artistes au destin tourmenté, l’auteure nous offre une traversée du vingtième siècle sur les traces de précurseurs, libres penseurs, passionnément tournés vers l’avenir. Un roman d’une densité incroyable, qui pose la question de la transmission, de la dette de la génération actuelle à ceux qui ont bravé le chaos et les autoritarismes pour faire triompher la pensée et la créativité. Deux livres disais-je. Le premier met en scène Josh et sa femme Vickie, de nos jours à Chicago. A la tête de la production d’une émission de téléréalité à gros succès dans laquelle ils mettent en scène des sortes de thérapies familiales en lien avec le ré ordonnancement de leur habitation. Josh a des rapports compliqués avec son père, Carl, un artiste peintre de talent installé à Saint-Paul de Vence, alcoolique, ravagé par la guerre de Corée et son déracinement. Alors que Josh s’apprête à devenir père à son tour, le suicide de Carl et sa succession lui offrent l’opportunité de se pencher sur ses racines. Dans les années 30, le père de Carl, Théo Grentzberg l’a confié à un couple d’amis américains au moment de l’arrivée d’Hitler au pouvoir avant de disparaître. A la mort de Carl, un portrait de Théo Grentzberg par Otto Dix est retrouvé parmi les centaines d’oeuvres d’art cachées par Cornelius Gullit ; l’enquête en vue de sa restitution à ses héritiers met à jour des zones d’ombre dans la généalogie de Carl… et donc de Josh. Il semble que Magda Grentzberg, présentée comme la sœur de Carl soit en réalité sa mère. Aidé de Vickie, celui-ci se lance donc à la découverte de ses origines, bien décidé à faire la paix avec ses ancêtres. « La première injustice est celle de la naissance, la seconde, celle de la vocation. Ne pas choisir qui te donne la vie, ne pas choisir ce que tu vas en faire ». Et c’est là que commence le second livre. Nous voici propulsés au début du vingtième siècle sur les pas de Théo que nous suivrons de Berne à Berlin, en compagnie de sa femme Luise et de leur fille Magda. Théo l’avant-gardiste, amoureux des arts, découvreur de talents. Son activité de marchand d’art se développe dans les années 20 et il a pour compagnons Paul Klee, Kandinsky ou Otto Dix. C’est la grande époque de l’école du Bauhaus, véritable moteur de l’innovation. Magda grandit dans cet environnement, son parrain est Paul Klee, rien d’étonnant à ce qu’elle souhaite à son tour intégrer le Bauhaus. Et c’est parti pour une plongée captivante dans l’histoire de cette institution dont le nom est synonyme de modernité, voire de décadence. Jusqu’à l’arrivée d’Hitler et la mise au ban des artistes dits « dégénérés ». Tout en tentant de percer le mystère de Magda (quel magnifique portrait de femme libre nous est offert à travers elle !), le lecteur est transporté dans un univers riche et foisonnant, en compagnie des grands noms de la peinture et du design des années 30. Passionnant ! Ce livre offre un moment d’une richesse incroyable, recréant le lien qui mène de Théo à Josh, faisant le parallèle entre les différentes époques, mettant en exergue l’importance de l’Art à chaque étape, y compris à travers la télé réalité. Il est presque difficile d’écrire cette chronique tant les angles de vue sont multiples. Yannick Grannec nous parle à travers le regard d’artistes qui s’expriment génération après génération, son vocabulaire est riche en couleurs et en descriptions. Pour les amoureux de Klee et de Kandinsky, dont je suis, c’est un cadeau ! Mais on en retiendra cette ode à la liberté et au pouvoir de la création. On a brûlé des livres et des toiles, fracassé des statues, mais à travers les décennies, des générations d’artistes continuent à innover, à créer et à changer nos regards sur le monde. Ce livre fait plus que leur rendre hommage, il les éclaire et les encourage à continuer, toujours, à ouvrir de nouvelles voies. La première des libertés étant celle de décider de sa vie, à l’image de Magda qui écrit à Théo le 3 juillet 1928 : « Caprice ? Caprice ! Que veux-tu dire par-là ? Que le talent artistique appartient au genre masculin ? Que la seule création à laquelle je puisse aspirer est la maternité ? Une création sans conscience de création ? Sans dessein ? Et pourquoi devrais-je trancher entre création et procréation ? »

Retrouvez Nicole G. sur son blog 

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