Le caillou
Sigolène Vinson

Le Tripode Editions
mai 2015
196 p.  17 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

De pierres et de mots…

« C’est l’histoire d’une femme qui voulait devenir un caillou. » Intrigués, nous ouvrons ce très beau livre dont la couverture est l’œuvre d’Estelle Ribeyre et nous parcourons les premières lignes. « Hier, j’avais un caillou dans la chaussure. Je ne l’ai pas retiré de la journée. » Je ne sais pas vous, mais moi, ça y est, je suis séduite, peut-être parce que ça m’arrive souvent ce genre de chose, pas le temps d’enlever l’intrus minéral, pas le lieu, pas le moment, bref, je peux même le garder au chaud quelque temps… La narratrice, professeur de français, a démissionné, persuadée de « son incapacité à faire progresser l’être humain. » Elle vit cloîtrée dans son dix-huit mètres carrés parisien, parle le moins possible « En me contentant de petits bruits, j’imagine que la vie passera sans m’apercevoir, qu’elle m’épargnera ce qu’elle n’épargne à personne. », écrase son nez contre sa vitre et regarde le ciel gris terne. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est « pas très en accord avec le fait d’exister. » Devenir caillou serait pour elle un moyen bien pratique de disparaître, de s’éclipser, de ne plus rien sentir. Mais… ne devient pas caillou qui veut ! Son voisin, monsieur Bernard, vient de mourir : elle le connaissait un peu cet homme qui avant la retraite travaillait, lui avait-il dit, à l’Imprimerie nationale et se rendait tous les deux mois en Corse. Sa passion? La sculpture. Il dessinait le visage de la narratrice et tentait de le reproduire avec de la terre glaise, en vain. Après la mort de ce voisin, elle décide de partir en Corse pour le retrouver, mieux le connaître, comprendre qui il était, si c’est possible… « Le ciel est blanc. Monsieur Bernard va me manquer. Je vais redevenir seule. Ce ne sera plus assez de m’aplatir contre une vitre. » Sur l’île, elle va devoir achever la tâche entreprise par cet étonnant voisin et tenter de devenir ce qu’elle souhaitait… Ce livre tire sa force et sa beauté de cette atmosphère mélancolique qu’il dégage et qui nous touche par sa sincérité, son authenticité. Chaque phrase est l’expression d’une douleur existentielle, vive, omniprésente, d’une difficulté à être au monde. L’écriture est poétique, surréaliste parfois, pleine de surprises, de formules inattendues et souvent amusantes que l’on a envie de noter sur son carnet préféré. « Arroser les plantes sous la pluie ou se balader avec une serpillière dans une serviette en cuir, c’est un moyen de tenir. Parce qu’il faut quand même bien qu’on tente d’aller jusqu’au bout. » La construction de l’œuvre : les choses à peu près / les choses telles qu’elles sont m’est apparue comme une invitation à s’interroger sur la création littéraire, le travail de l’invention et de l’écriture. Ainsi, Le Caillou est l’histoire d’une disparition volontaire, d’un effacement calculé, d’une lutte pour disparaître. « Parfois, je me sens un peu fatiguée. Il doit me rester plus de quarante ans à vivre. » Mais c’est aussi une tragique histoire d’amour ratée de gens qui se sont manqués, que la vie a séparés. Finalement, le message qu’il faut peut-être retenir est que seuls, l’art et la création peuvent aider à patienter car ils détournent de l’ennui : c’est ce qu’avait compris monsieur Bernard qui, en disparaissant, a sauvé sa voisine de l’oubli. C’est tombé sur elle, et elle a vécu…

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coup de coeur

Rocher sur la mer, est-il meilleur destin ?

La narratrice, qui ne se sent pas très en accord avec le fait d’exister, passe la majeure partie de son temps à regarder le ciel et à rêver qu’elle prend la mer.
Plutôt que de reprendre forme humaine (à quoi bon ?), elle voudrait faire l’expérience de la minéralité. Devenir caillou pour fuir une vie sans relief. C’est compter sans la rencontre avec son voisin, qui travaille depuis des années à sculpter, en Corse, un rocher qui a les yeux qui vivent en mer.
Mais il y a les choses à peu près, et les choses telles qu’elles sont…

Le Caillou est une fantaisie qui oscille entre conte et réalité. Presque un mythe. Un roman plein d’une nostalgie de la part qui fait défaut au présent, plein de ce sentiment d’ « absolu toujours déçu », qui naît de ce qu’ « on comprend que quelque chose nous manque qui ne sera jamais comblé ».
Sigolène Vinson évoque avec la même justesse la beauté de la Corse et la solitude qui peuple les existences. Elle raconte la roche séculaire immobile aussi bien que les hommes dont les bras ne suffisent pas à faire oublier les autres, les bras qui comptent.
Sa prose poétique, sa plume unique se fait entendre comme une voix puissante et douce à la fois au-dessus de la mer. Elle n’oublie pas la tristesse, mais le sourire n’est jamais loin – et l’espoir juste derrière. Il y a de la tendresse, de l’humour et beaucoup de sincérité dans les pages de cette fable contemporaine.

Rocher sur la mer, est-il meilleur destin ? Mais si l’humanité se fossilise et que la matière prend vie, comment ne pas perdre le Nord ?
Ce livre est un caillou précieux que chériront tous les « rêveurs d’autre chose ». Car tous les rêveurs ont un morceau de rocher sur la mer…

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nuit blanche

Un très bon livre

Et si ce petit caillou s’appelait Paul ? Oui, on va dire qu’il se nomme ainsi. Oui, on peut, car les choses sont à peu près comme ça. Un caillou, surtout dans la chaussure, dérange, ne se laisse pas oublier. Il en va ainsi de Paul, Paul Overey pour être précise.
Remontons à la source. La narratrice, prof en collège a tout plaqué et s’enferme chez elle. Elle se roule en boule comme un hérisson tous piquants en action pour se protéger. Elle noue des relations avec ses vieux voisins, surtout avec Monsieur Bernard qui vient un jour sonner à sa porte. Féru de sculpture, il n’a de cesse que de sculpter dans la glaise le portrait de la narratrice. Il part très souvent en Corse, mais chut ! Leur amitié ira jusqu’à la mort du vieil homme et même au-delà puisque la narratrice se rendra sur l’île rousse pour retrouver trace de ses passages et y vivre.

Et… Si ce n’était pas tout à fait la vérité. Et si elle avait rêvé sa propre vieillesse. Et si la vérité était beaucoup moins belle. Et si c’était elle qui n’avait pas le beau rôle. Et si….
Sigolène Vinson, d’une écriture alerte, vivante, inventive propose 4 moments de vie : lequel est vrai ? Lequel est fantasmé ?

Et si c’était la narratrice, le petit caillou qui empêche de marcher.

J’ai aimé l’image de la narratrice se fondant dans la roche pour devenir statue.

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