Le mangeur de livres
Stéphane Malandrin


janvier 2019
190 p.  6,10 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Le mangeur de livres de Stéphane Malandrin
est le coup de coeur des librairies Payot en Suisse dans le q u o i  l i r e ? #61

 

« Même les lecteurs assidus qui ont coutume de « dévorer les bouquins » devront s’estimer battus à plates coutures par Adar Cardoso, grand dégustateur de vélin devant l’Éternel (et quelques-uns de ses ambassadeurs médusés) ! Cet orphelin, élevé avec son alter ego Faustino dans les bas-fonds de la Lisbonne du XVe siècle, est à la vérité un sacripant de la plus belle eau, mais inventif et espiègle, dont les mauvais tours n’avaient pas à priori pour objectif de dévaster les bibliothèques. La nécessité de mâchonner des fragments de parchemin dans une geôle pour ne pas mourir de faim déclenchera cependant en lui un appétit – au sens premier du terme – de livres, une addiction même, qui le poussera au pillage des richesses culturelles du royaume. Et l’entraînera vers une métamorphose hallucinante, farce du destin que le galapiat, cette fois, ne maîtrise pas… « Pantagruélique » et « rabelaisien » sont les mots qui viennent spontanément à l’esprit, et pour son premier roman le réalisateur (et auteur jeunesse) Stéphane Malandrin ne renie pas l’allusion. Mais il évite habilement les excès du pastiche pour trousser une fable philosophico-fantastique drôle et folle, qui passe de la gauloiserie au baroque puis au mysticisme à un rythme endiablé : des péripéties sont soldées en quelques mots, quand une réflexion sur la destinée déroule ses circonvolutions en une phrase de deux pleines pages. Conscient d’avoir mis ses lecteurs au défi (mais ils ne peuvent qu’en être ravis), l’auteur leur rend malicieusement hommage en présentant à la fin ses sources d’une manière telle qu’on a simplement envie d’aller les dévorer à son tour – son ultime pirouette prouve qu’il n’en doute pas ! »

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

On dévore !

Ce premier roman est un régal ! Inspiré par Rabelais, il rappelle aussi Umberto Eco, Patrick Süskind ou encore Michel Jullien : autant dire que la qualité de l’écriture est au rendez-vous. On est à Lisbonne à l’aube de la Renaissance. Dans une ruelle misérable appelée le « Merderon », naissent un même jour de janvier 1477 Adar, d’une mère espagnole juive convertie qui meurt en couches, et Faustino, dont la mère, une veuve avec huit enfants, élève le petit Adar comme son fils malgré son extrême pauvreté. Inséparables, les deux garçons, « deux démons montés sur ressorts », font les quatre cents coups dans les rues bruyantes et sales de la capitale portugaise, experts dans l’art du chapardage, faim oblige, jusqu’au jour où un curé les attrape et les enferme dans une crypte avec un livre, un codex en latin qu’il leur ordonne de lui lire. Illettrés et apeurés, les deux gamins manquent de mourir d’inanition dans leur souterrain jusqu’à ce qu’Adar, en dernier recours, goûte au codex en vélin, autrement dit en peau de veau mort-né, que l’abbé a laissé là. Bien mal lui en prend, car une sorte de malédiction s’abat sur lui, faisant désormais refuser à son estomac toute autre nourriture que le cuir de veau qu’il trouve dans les bibliothèques ecclésiales. La ville entière à ses trousses, le « damné des codex » se fait pilleur de temples pour satisfaire sa faim de monstre.

Roman historique, érudit avec légèreté, « Le Mangeur de livres » raconte en filigrane l’histoire du livre, du volumen au codex, en pleine transition avec le livre imprimé. Jusque-là interdit à la population, le codex est à la fois objet de méfiance et du pouvoir de l’Eglise et de la noblesse. La langue de Stéphane Malandrin, gouailleuse, gourmande, en même temps que riche et familière, mêle les réalités bassement humaines aux considérations ontologiques sur la lecture à l’aube de la diffusion des textes et du savoir et donc du souci de l’éducation, rempart contre les superstitions et l’ignorance qui fabriquent les procès en hérésie. Tenant de la fable et du picaresque, cette histoire joyeuse et truculente est une ode aux livres qui rendent libre et aux histoires qu’on se raconte et dont on se nourrit depuis la nuit des temps.

partagez cette critique
partage par email