Le présent infini s'arrête
Mary Dorsan

P.O.L
fiction
août 2015
720 p.  24,90 €
ebook avec DRM 17,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Entre les murs de la folie

Quand on achève la lecture du livre de Mary Dorsan « Le présent infini s’arrête », c’est par K.O. Ces 700 pages, on ne les engloutit pas, ce sont elles qui vous engloutissent. Plus qu’une lecture, c’est une immersion totale dans le quotidien d’adolescents souffrant de troubles psychiatriques lourds et des soignants qui les accompagnent dans leurs psychoses. Ces jeunes vivent ensemble en appartement thérapeutique d’une cité de la banlieue parisienne. Même si les moments de joie, de rires et d’échanges existent, ce ne sont que des sursis, ils sont toujours au bord du gouffre de la folie, prêts à dévisser. Leurs jours et leurs nuits sont plongés dans la torpeur de la violence et des dérapages de tous les instants. Chaque geste essentiel et répétitif comme se nourrir, se laver, échanger ou dormir est un combat contre l’emprise de la folie qui exacerbe les interdits et lève toutes les inhibitions du corps et de l’esprit. Tout devient menace et les nerfs de chacun, soignants et patients s’épuisent et parfois craquent. C’est cette violence latente qui prend tous les pouvoirs que nous fait ressentir Mary Dorsan. Tout son talent est là, immense. Son livre est à haute tension.

L’auteure connaît plus que bien son sujet. Comme Caroline son personnage principal, elle est infirmière psychiatrique pour adolescents et comme elle, elle a un jour craqué et a craché sur un patient. C’est cet acte insensé pour une soignante qui a déclenché l’écriture de ce texte dans la nécessité qui s’imposait à elle de dépasser sa culpabilité. Mais attention, en dépit de ce socle de vérité, ce n’est surtout pas un récit qu’elle nous livre, loin de là. Il s’agit d’une œuvre littéraire où la phrase vivante et percutante de Mary Dorsan parvient à exprimer ce que l’on peine à concevoir. Au dos du livre elle écrit « Je veux… Dire. Décrire. Montrer. Tout. Le bon et le mauvais. Je voudrais que l’on pense davantage à eux ». Ces jeunes sont dans l’angle mort de nos sociétés, rejetés par notre système qui les exclut. À ces enfants fous que l’on cache, car l’on ne saurait les voir, Mary Dorsan redonne une humanité perdue. Romuald, Aurélie, Thierry, Jean–Marc et les autres que l’on suit dans la banalité de leur quotidien sont de très beaux personnages qu’elle rend inoubliables. Entre les sorties en minibus, les séances au poste de soin entre infirmiers et psychiatres, la vie commune dans l’appartement, on vit avec eux au rythme de leurs espoirs et de leurs renoncements. Ce monde fermé des enfants fous, elle nous en donne les clés avec une infinie générosité et une profonde bienveillance. Caroline, son personnage alter ego, se remet sans cesse en question. À ses côtés, on s’interroge et c’est nous même qui faisons le chemin de nos propres indifférences.

Mary Dorsan avoue que l’approche littéraire d’Emmanuel Carrère a été déterminante dans son désir d’écrire cette vérité. Leur éditeur P.O.L n’est pas le seul point commun entre ces deux auteurs. Ils partagent une capacité de regard suraigüe et une puissance d’écriture à la source de ce que l’on nomme l’altérité qui produit une littérature qui a de l’estomac. Souhaitons qu’après ce premier texte, Mary Dorsan puisse sortir de l’anonymat – qu’elle s’est imposée pour préserver sa pratique médicale – et que se déploie au grand jour tout son talent d’écrivain. Un auteur, un vrai, est né.

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