critique de "Les enfants pillards", dernier livre de Jean Cayrol - onlalu
   
 
 
 
 

Les enfants pillards
Jean Cayrol

L'éveilleur
août 2016
208 p.  19 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

S’il n’y avait qu’un seul livre à offrir en ces fêtes de fin d’année à ceux qui ne l’auraient pas encore lu, ce serait Les enfants pillards, ce merveilleux roman de Jean Cayrol que republie la jeune maison d’édition L’éveilleur.
Jean Cayrol ? il n’est pas évident que le nom de cet écrivain né à Bordeaux en 1911, mort à Bordeaux en 2005 dans la plus grande discrétion, dise quelque chose à nos contemporains. Pourtant, il joua un rôle de premier plan comme éditeur au Seuil, où il entra au sortir de la guerre durant laquelle il fut un membre actif de la Résistance. Et il laisse une oeuvre abondante – poète, essayiste, romancier, scénariste- qui intéressa très vite les théoriciens de la littérature, en particulier Roland Barthes qu’il avait d’ailleurs accueilli au Seuil. Le commentaire dans Nuit et Brouillard, le film de Resnais, c’était lui. Vous vous souvenez ?
C’est en 1978 qu’il publie Les enfants pillards, plongée dans le monde fantasque et cruel de l’enfance. Pendant la guerre de 14, des enfants se retrouvent à Lacanau dans la villa de vacances des Princetard qui semblent tout heureux de les savoir là, ils ont, eux, d’autres chats à fouetter. Ils sont donc livrés à eux-mêmes, sous la garde très espacée d’une vieille femme qui veille à leurs repas. A la bande des enfants est rajouté Jean-Baptiste, leur cousin, dont le père est au front et la mère en dépression. Il est le narrateur du livre, même si, comme pour brouiller les pistes et masquer ce qu’il pourrait y avoir d’autobiographique dans ce roman, Cayrol alterne les passages à la première personne et ceux où il rejoint l’anonymat du groupe et s’efface dans une troisième personne plus distanciée.
André, le plus âgé, est évidemment le meneur, du haut de ses treize ans, de ces gamins qui le suivent dans des aventures de plus en plus risquées. Ils vont faire l’expérience de « cette liberté féroce des enfants dont les parents sont pris par de terribles jeux ». Sur la plage viennent s’échouer les épaves rejetées par la mer, rappel de la guerre qui ailleurs se mène – « beaucoup de planches, de plaques de tôle, des ancres de différentes grandeurs, des lampes de bâbord et de tribord, d’étranges instruments de cuivre, un grand compas dans sa boîte en bois, des morceaux d’aviron (…) j’avais envie de tout ramasser… » Quand il s’agit de denrées périssables, tout le village en profite et cela donne lieu à une scène de beuverie orgiaque auxquelles les enfants assistent avec effarement. Mais il y a aussi des caisses de munitions, des armes que les enfants ramassent et entassent, et le cadavre d’un marin à moitié dévoré par les cabres et les mouettes « il portait une vareuse aux boutons dorés dont le col avait été déchiré, une casquette enfoncée jusqu’aux orbites d’où s’échappaient de minuscules crabes transparents (…) je contemplais le premier mort de ma guerre. »
La mort est là qui rode, jusque dans les jeux des enfants, en ces lieux faits pour construire des châteaux de sable et ramener ses filets tendus à craquer de poissons et l’imagination débridée et un brin perverse d’André, que seule parvient parfois à tempérer Jean-Baptiste dont l’esprit critique est bien acéré, en dépit du désir qu’il ressent d’être reconnu par André, n’est finalement pas déconnectée du monde des adultes qui s’étripent dans les tranchées.
Etranges enfants qui luttent à leur manière contre leurs peurs et dont les pensées semblent parfois bien mûres pour leur âge. Il leur faut regagner Bordeaux, madame Princetard vient les chercher, elle apporte la nouvelle de la disparition du père de Jean-Baptiste, « son ambulance a reçu un clocher sur le toit ». »Jean-Baptiste eut presque envie de sourire ; son père athée, recevoir le bon Dieu et son clocher sur le crâne, lui apparaissait saugrenu, donc ridicule. »
Un grand livre sur l’enfance.

Retrouvez Patrick Rödel sur son blog 

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