Les lisières
Olivier Adam

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mai 2013
504 p.  7,90 €
 
 
 
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nuit blanche

Périphéries à bout de souffle

Éprouvé, bouleversé, exsangue. C’est ainsi que l’on ressort de cette lecture. Olivier Adam nous conduit dans les méandres d’une histoire intime, au plus profond d’une forêt intérieure. Au moment où sa vie vacille, où sa vie de famille éclate et où ses parents font l’expérience de la vieillesse, le narrateur, dont on comprend vite qu’il a tout de l’auteur, revient sur les pas de son histoire, à la recherche de ses origines.
Où sont passés les compagnons de jeunesse ? Que sont devenus les gamins des banlieues ? Du bar du bout de la rue au supermarché du coin, de l’appartement d’une ancienne copine aux couloirs d’un hôpital, Olivier Adam se cherche et cherche les racines du mal qui le ronge : la dépression, étonnamment impossible à nommer.
Mais bien plus qu’un homme brisé en proie aux doutes, Olivier Adam dépeint un système économique qui broie la force de travail, une société à bout de souffle, succession de destins écorchés. Il signe une réflexion bouleversante sur l’héritage, le capitalisme, l’ascension sociale et la lutte des classes, la crise économique, le chômage et la dépression, les déclinaisons de l’amour – d’une femme ou d’un enfant, d’un parent ou d’un frère.
Certes, il dresse de cette société un portrait sans concession, qui transpire la désillusion, mais cette exploration aux racines de l’histoire et de l’intimité des souffrances, cette sincérité et cette justesse font écho en nous. Car à travers les petites gens auxquelles il donne voix, ce sont les fondements de la société qu’il questionne. Une société, des hommes et des femmes à la périphérie des villes, aux portes du succès et du bonheur ; en marge du monde, à la lisière d’eux-mêmes.
Quant au narrateur, lui aussi se cherche jusqu’au bout du monde, jusque dans un Japon idéalisé, dans tous les finistères qui soient. Une quête en forme de fuite, car dans cet univers les lisières sont partout et le centre ne semble être nulle part. Un roman aux couleurs d’une société malade, aussi sombre et dense qu’une forêt, mais où transperce malgré tout, entre les feuillages épais, quelque chose d’éblouissant.

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aux lisières de l’ennui ?

C’était dit avec insistance l’an dernier, à la parution du livre : Olivier Adam était désigné comme favori du prix Goncourt avec son nouveau roman, Les lisières. C’était murmuré aussi : il ne s’agissait pas de son meilleur livre, mais l’écrivain se trouvait à la tête d’une œuvre qui méritait bien, et depuis longtemps, ce couronnement. C’était le plus souvent passé sous silence : il avait changé d’éditeur (quittant L’Olivier pour Flammarion) et l’argument, pour échapper au lecteur, n’était pourtant pas sans poids dans les grandes manœuvres de la rentrée littéraire.
On sait que le Goncourt ne l’a pas couronné. Contentons-nous donc de littérature. Les lisières est un roman long et qui traîne en longueur, se dit-on en le refermant avec un peu de soulagement d’en avoir terminé. Tout avait pourtant plutôt bien commencé. Paul Steiner, écrivain et scénariste, se trouve à un moment clé de son existence. Il est partagé entre l’amour qu’il éprouve encore pour son ex-femme, le sentiment puissant de ses devoirs de père envers les enfants dont il est comme amputé, et sa difficulté à trouver une place dans le monde. En lisière de la société où son travail lui donne un statut à part, en lisière géographique de la capitale depuis qu’il habite en Bretagne, en lisière de sa famille… Il parle de son « incapacité à être vraiment là à l’instant même où les choses se passaient » et de sa nature « périphérique », une explication qui pourrait suffire mais ne le satisfait pas. Il souffre d’une incomplétude à laquelle il ignore comment remédier et s’emploie donc à chercher la voie de sa rédemption. Il cherche surtout à se réhabiliter à ses propres yeux, en fait.
A bien y regarder, le malaise n’est pas nouveau chez Olivier Adam. Il tourne autour de lui dans à peu près tous ses livres. Mais il ne l’avait jamais exploré avec autant de constance, ni creusé si loin, au-delà des apparences. A-t-il eu raison de le faire ? L’auto-analyse sauvage à laquelle se livre son narrateur est assez riche en découvertes intimes pour mériter d’être suivie jusqu’au bout. Mais cette démarche, par sa nature même, entraîne des répétitions qui tournent au ressassement. Le romancier s’est peut-être laissé entraîner trop loin par son personnage, il n’a pas gardé la main sur un livre qui lui échappe par moments – les moments où le lecteur se demande dans quoi il s’est laissé entraîner.
Il n’en reste pas moins qu’Olivier Adam est assez doué pour présenter plaisamment un menu banal. Son sens de la formule le sauve de l’ennui. Et nous en même temps.

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