critique de "Les Oiseaux morts de l'Amérique", dernier livre de Christian Garcin - onlalu
   
 
 
 
 

Les Oiseaux morts de l'Amérique
Christian Garcin

Actes Sud Editions
romans, nouvell
janvier 2018
224 p.  19 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Cartographie du temps

L’écrivain voyageur Christian Garcin nous emmène à Las Vegas, mais loin du célèbre Strip où s’alignent casinos, hôtels et restaurants lumineux ; ici, on explore les lisières de la ville, les bas-fonds habités par des paumés, des vétérans, des junkies, toute une faune de laissés-pour-compte composant l’envers du décor de « Sin City », la ville du péché.

Des vétérans dans les tunnels…

Ils sont trois à vivre dans le même collecteur d’eaux de Las Vegas, l’une de ces larges canalisations souterraines. Trois vétérans de deux guerres : le Viêtnam et l’Irak. Hoyt Stapleton a passé trois ans dans l’enfer du Viêtnam, tandis que ses deux jeunes compagnons d’infortune se sont connus dans une association de vétérans d’Irak et d’Afghanistan. Ils vivotent, solidaires, ressassant le même passé, les mêmes traumatismes de ces guerres vaines qu’on leur a vendues emballées dans une histoire de Bien contre le Mal. De cette rhétorique usée jusqu’à la corde, ils en sont revenus sans illusions, avec les séquelles habituelles ; cauchemars chroniques, alcoolisme, violence, et résignation : « C’était une petite vie misérable et paisible ». Heureusement pour Hoyt, il y a les livres récupérés dans les poubelles du Blue Angel Motel, oubliés par les voyageurs, qui lui ouvrent les portes de la rédemption.

… aux tunnels du temps.

L’autre activité favorite de Hoyt est de voyager dans le temps par la pensée. Après avoir épuisé les sauts dans des avenirs apocalyptiques, il décide de remonter le temps et d’aller faire un tour du côté de son enfance. Là, il se poste dans un recoin de la maison maternelle pour observer un quotidien révolu. A force de concentration, il découvre certains faits que sa mémoire avait enfouis, il enquête sur les transformations de son ancien quartier, cherche à retrouver des voisins, et revit sa dernière et pire bataille. Il théorise une conception du temps non linéaire, qui bifurque, prend des virages, où événements et noms se télescopent pour faire surgir des fantômes sur les mêmes lieux qui diffèrent. Christian Garcin aime ses personnages et nous les fait aimer, figures de héros déchus représentant l’envers d’une Amérique où il pleut des oiseaux morts. Un beau roman sensible sur la mémoire, les hasards et la poésie.

 

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 Les internautes l'ont lu

« Nous naissons et nous sommes désorientés par l’impensable du réel. »

Hoyt Stapleton est un rescapé de la guerre du Vietnam. Il cohabite avec deux autres vétérans (Irak, Afghanistan) dans les canalisations autour de Las Vegas. Traumatisés, laissés pour compte par la société de consommation portée à son paroxysme à Las Vegas, ils vivent au jour-le-jour, chacun entouré par ses petites habitudes. Hoyt, le plus âgé, est un fervent lecteur de poésie et voyage dans le temps. Ce dernier n’étant pas physiquement au point, c’est mentalement qu’il a d’abord visité de nombreux futurs (tous sombres), avant d’explorer son enfance. A sa grande surprise, il met au jour des évènements dont il avait perdu tout souvenir et bientôt se produisent des sortes de télescopages entre les trames de l’espace-temps…
Je ne connais pas l’oeuvre de Christian Garcin mais j’imagine qu’on trouve dans ce roman ce qui doit la traverser livre après livre : d’abord il parle d’ailleurs, de tous les ailleurs. On est ici en Amérique mais ce que vivent Hoyt et ses comparses se décline aisément et on se glisse dans cette ambiance comme victime d’un envoûtement, presque surpris de se sentir ainsi soumis à l’avidité de savoir.
Le registre n’est pas celui de la Science-fiction et Hoyt est avant tout quelqu’un de profondément désenchanté. Néanmoins tout concourt à maintenir un doute et on frétille de joie avec les petites pierres qui s’amoncellent peu à peu, paradoxe de Fermi après mondes parallèles, le tout fermement ancré dans des voies d’évacuation d’eau et des losers si attachants.
Un roman très juste et très touchant.

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