Les riches heures
Claire Gallen

Editions du Rouergue
La Brune
janvier 2013
224 p.  18 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Splendeurs et misères dans l’immobilier

Il a été le roi du pétrole, mais tout à une fin. Aujourd’hui, accroché à sa copine trop bcbg qui va forcément le plaquer, il regarde l’étendue du désastre. Celui de notre époque, depuis les bulles –financière, immobilière, etc…- jusqu’à la crise. Le premier roman de Claire Gallen décortique implacablement nos aveuglements de libéraux en herbe.

Jeune loup plein d’ambition, Gaëtan s’était mis à gagner plein d’argent. Et il y a cru. Issu d’un milieu modeste, brillant étudiant au parcours sans faute, il a vraiment cru que ce siècle tout nouveau était fait pour des gens comme lui. Avec euphorie, il s’est mis à accumuler les signes extérieurs de richesse : la voiture, l’appartement rue Villebois-Mareuil dans le XVIIème arrondissement de Paris, et la jolie Anna, une vraie gosse de riche.

Son secret : le travail acharné bien sûr, mais surtout Christophe, son mentor. Christophe était un fils de famille qui venait d’hériter d’une société de gestion en patrimoine. « L’heure était aux cadeaux fiscaux mal calibrés, à la pierre reine, et toute une génération sentant approcher l’heure de la retraite se mettait aux calculs de rentier avec l’enthousiasme des convertis. Ils voulaient s’en mettre plein les poches ? On leur en fourrerait jusqu’à la gueule ». Christophe et Gaëtan deviennent des pros de la défiscalisation, et les clients, de plus en plus nombreux, leur font une confiance aveugle. Oui mais.

« Cet été-là nous n’avions plus du tout d’argent ». Anna et Gaëtan sont sur la Côte d’Azur, au Lavandou, dans un appartement minable, parce qu’Anna a voulu à tout prix partir en vacances, rassemblant leurs dernières économies comme on se suicide. Elle va à la plage, veut rencontrer des gens, oublier que ni elle ni Gaëtan n’ont plus de travail, et que Christophe est poursuivi par la justice. Gaëtan passe toutes ses journées au lit. Il réfléchit, fait défiler le film des dernières années pour tenter de comprendre comment les événements se sont enchaînés.

Dans la vraie vie, Claire Gallen est journaliste, et son roman peut être lu comme un excellent documentaire sur les dérives du libéralisme et les mécanismes tordus de la défiscalisation, un mot qui a fait rêver jusque dans la petite bourgeoisie. Mais n’est pas initié qui veut et dans ce roman on voit les moins informés se lancer dans des placements qui ne sont juteux qu’en apparence. Christophe et Gaëtan les y poussaient complaisamment. Jusqu’à ce que l’arnaque éclate au grand jour.

Cela dit, Les riches heures est avant tout un roman, excellent, car Claire Gallen sait créer des personnages auxquels on croit, et construit des scènes où le moindre détail est chargé de sens. Ainsi le repas où se rencontrent les parents d’Anna, les très chics et cools Luc et Sonia, parfaitement à l’aise dans leur arrogance de classe, et les parents de Gaëtan, les timides André et Catherine, engoncés dans leurs habits du dimanche. Une scène d’anthologie, si subtile qu’on peut la lire deux fois de suite, mais oui, juste pour le plaisir !

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coup de coeur

Descente aux enfers

Si je veux être honnête, informée de la parution de ce premier roman, je n’envisageais pas forcément de l’acheter jusqu’à ce qu’il se pose dans mes mains au hasard d’une visite en librairie. Debout devant la table j’ai lu les 2 premières pages… et je suis passée à la caisse!

La première phrase : « La veille de notre départ en vacances la voisine du deuxième étage est venue me trouver pour que je l’aide à noyer ses chats. »

Gaétan et Anna partent en vacances dans le sud de la France. C’est une idée d’Anna. Malgré leur situation financière déplorable elle tient à ces vacances, dernier signe de normalité. A cause du licenciement de Gaétan, ils ont dégringolé l’échelle sociale : plus d’appartement dans les beaux quartiers, plus de voiture neuve, plus de sorties nocturnes et alcoolisées, plus d’amis branchés… plus rien. L’aumône à demander aux parents d’Anna, la vieille bagnole déglinguée, le pôle emploi, les coups de fils hargneux du banquier. Mais Anna tient tout de même à partir en vacances. Elle ne se doute pas que ce séjour au Lavandou va leur coûter cher!

Claire Gallen attrape son lecteur dès le départ avec une écriture simple, presque sèche, ancrée dans le détail, le factuel. Gaétan et Anna évoluent sous nos yeux et tout de suite les fêlures apparaissent. Par petite touches l’auteure plante le décor de cette histoire d’amour qui part en lambeaux. Gaétan a été riche. Il ne l’est plus. Il a perdu ses repères. L’argent lui est venu presque par hasard, grâce au développement fulgurant de la bulle immobilière dans les années 2000. L’arnaque était juteuse, les pigeons consentants, pourquoi chercher plus loin? Mais la folie d’Icare ne sert jamais de leçon et après avoir voler trop haut Gaétan est tombé. Sous le poids du scandale, se relever est difficile. Il faut dire que Gaétan ne fait pas beaucoup d’effort. Il accepte d’être un looser, persuadé que sa réussite était basée sur un malentendu. Ces vacances au Lavandou, Gaétan n’y tient pas mais ce qu’Anna veut…

Cette descente dans le Sud de la France se transforme pour le couple en descente aux enfers. Dans les yeux d’Anna, Gaétan se voit couler à pic. Faut-il qu’il aille jusqu’au fond pour enfin donner un coup de talon et remonter?

J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman. Le style de Claire Gallen m’a été tout de suite familier. L’écriture est maitrisée selon une construction moderne, sans « chichis »: chapitres courts, phrases simples, discours indirect. La connaissance évidente du sujet abordé, la vente d’appartements à des acheteurs affamés de défiscalisation, contribue à ancrer l’histoire dans la réalité de notre époque sans effort. A bien y réfléchir, chacun de nous connaît un Gaétan flambeur et arrogant. Le lecteur identifie très rapidement les personnages et leur mentalité. L’auteure ne cherche pas à rendre Gaétan et Anna forcément sympathiques. Elle tient seulement à raconter leur histoire au plus près, sans jugement. Elle nous donne à voir, à entendre, à sentir la faillite de ce couple. A chacun ensuite de juger s’il le souhaite.

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