Les vies multiples de Jeremiah Reynolds
Christian Garcin

Stock
janvier 2016
160 p.  17 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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Moby Dick au centre de la terre

Vous l’aurez peut-être remarqué, les histoires baleinières ont le vent en poupe. Christian Garcin remonte quant à lui la source du Léthé pour y repêcher Jeremiah Reynolds, aventurier et auteur d’un récit qui aurait inspiré le roman le plus célèbre de Melville. Avec son incomparable talent de conteur, il nous entraîne sur les traces de cet explorateur romanesque.

Tout commence en 1823 dans l’Ohio, par une conférence de John Cleves Symmes, théoricien de « la terre creuse », affirmant que notre astre possèderait une surface interne habitée et accessible par des cratères situés aux pôles Nord et Sud. Alors que Symmes échoue à lever des fonds pour une expédition qui prouverait sa thèse, Jeremiah Reynolds, son jeune admirateur cultivé, pauvre et sans attache, convainc un riche New-Yorkais, le docteur Watson (!), d’affréter un navire pour tenter l’aventure. La vraie vie commence, avec son lot de péripéties. S’il ne trouve pas l’entrée du monde creux, Jeremiah Reynolds est le premier homme à poser le pied sur l’Antarctique au péril de sa vie. En repartant, il fait escale au Chili – où il aurait pu croiser Darwin qui vient y faire des relevés topographiques – et, par amour pour une jolie métisse, s’engage dans une guerre civile au côté des Mapuches. Deux ans plus tard, lassé, Reynolds embarque à bord du Potomac pour un demi-tour du monde en tant que secrétaire particulier du capitaine. En mer, il rêve à la prochaine aventure en se remémorant des histoires de marins burinés entendues dans les tavernes de Valparaiso, à propos d’un cachalot blanc invincible, son nouveau fantasme de baleinier… Mais le vent le ramène vers la terre ferme, à New York cette fois, où il termine ses études de droit, se spécialise dans la cause des minorités et rencontre… Edgar Allan Poe ! Auteur encore inconnu, ce dernier est fasciné par la vie de son nouvel ami, qui lui inspre le personnage d’Arthur Gordon Pym. De son côté, Jeremiah Reynolds publie « Mocha Dick » (1839), alors que le jeune Herman Melville s’embarque comme mousse pour une traversée marchande jusqu’à Liverpool, et que Dumont d’Urville explore le pôle Antarctique (toujours pas de cavité menant au centre de la terre, mais Jules Verne y remédiera). Poe meurt dans son cottage du Bronx où Reynolds finira aussi ses jours parmi ses souvenirs mélancoliques. Entre-temps, Melville aura publié « Moby Dick » sans grand succès… pour le moment.

Quel destin que celui de Jeremiah Reynolds, toujours en avance sur son temps, porté par les rencontres et les hasards, mais demeuré dans le sillage oublieux des légendes ! Il fallait un écrivain de sa trempe pour lui ériger un roman qui nous harponne avec jubilation.

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nuit blanche

Jeremiah Reynolds, aventurier et grand inspirateur

Rendons grâce à Christian Garcin qui dans son nouveau roman a su débusquer un personnage d’aventurier peu commun. Ce faisant, il nous livre également une très bele réflexion sur la soif d’histoires et sur le besoin de tout un chacun d’avoir des rêves, de vouloir élargir son horizon. Mais revenons à notre homme, ce Jeremiah Reynolds qui n’apparaît qu’au quatrième chapitre, au moment où ce «jeune journaliste débrouillard et ambitieux» croise la route de John Cleves Symmes Jr. On l’aura deviné, les trois premiers chapitres relatent le parcours de cet autre personnage, tout aussi haut en couleur, et qui influencera fortement son jeune interlocuteur. Ce vétéran parcourait les Etats-Unis pour expliquer sa théorie de la terre creuse et chercher un financement pour une expédition vers l’Antarctique. Si ce dernier n’obtenait guère de succès dans son entreprise, il n’en réussissait pas moins à convertir quelques auditeurs. Notamment ceux qui, comme Jeremiah, ne pensaient qu’à découvrir le vaste monde. « Reynolds était né dans une famille pauvre du comté de Cumberland, en Pennsylvannie, et orphelin de père dès l’âge de cinq ans. Sa mère, Elizabeth Nicholson, s’était remariée l’année suivante avec un certain Job Jeffries, veuf également, dont le jeune fils, prénommé Darlington, serait l’unique compagnon de jeux de Jeremiah jusqu’à son départ douze ans plus tard sous des cieux plus accueillants. Ils déménagèrent tous ensemble dans le comté de Clinton, Ohio. » C’est là que notre héros suivit quelques études tout en travaillant pour contribuer aux besoins de la famille. Il fut notamment embauché pour transporter des troncs jusqu’à la rivière, mais ne put s’acquitter de cette trop rude tâche. Bravant les quolibets, il assura aux moqueurs que viendrait «le temps où vous serez fiers et honorés d’avoir roulé des troncs d’arbre avec Jeremiah N. Reynolds. » Ce qui peut sembler une forfanterie s’avérera être une vraie prophétie. De 1823, date de la rencontre avec Symmes, jusqu’en 1827, au moment de leur rupture brutale, le jeune apprend beaucoup, s’aguerrit et devient bien meilleur ambassadeur que son aîné. Les années qui vont suivre sont celles de la concrétisation, du moins en partie, de ce grand dessein. Car enfin, il peut embarquer en direction du pôle Sud. Il atteindra les 62° de latitude sud et errera quelques temps le long du cap Barrow, à la pointe nord de l’Antarctique. Si «la théorie de la terre creuse semblait oubliée, et les tentatives den vérifier la pertinence momentanément abandonnées», il va rester un domaine où elle va continuer à faire florès : la littérature. Le Voyage au centre de la terre de Symmes marque le point de départ de nombreux autres livres dont Christian Garcin nous raconte la genèse. Il y a là le «Manuscrit trouvé dans une bouteille», nouvelle d’Edgar Allan Poe que l’on peut considérer comme l’ébauche des Aventures d’Arthur Gordon Pym, le Pellucidar d’Edgar Rice Burroughs (le créateur de Tarzan), La Terre de Sannikov du russe Vladimir Obroutchev ou encore Les Montagnes hallucinées de H.P. Lovecraft, en passant bien sûr par le roman éponyme de Jules Verne. Et si la soif d’aventures, de découverte, d’anticipation ne suffisait pas, voilà qu’apparaît une chasse au grand cachalot blanc, Mocha Dick. On voit déjà poindre Hermann Melville et son célébrissime Moby Dick. Mais Reynolds, qui faut-il le préciser a vraiment existé, ne veut pas vivre les rêves des autres. En 1830, il choisit les champs de bataille et devient colonel pendant la guerre civile chilienne, puis chef militaire des armées mapuches, avant d’embarquer à nouveau pour rejoindre Boston via les côtes chiliennes, le Cap Horn, puis le Brésil avant d’arriver à Boston en 1834. Il rejoindra ensuite New York, sera avocat, fera un peu de politique et tentera vainement d’écrire un chef d’œuvre. Rendons grâce à Christian Garcin d’avoir exhumé ce personnage étonnant dont les pessimistes diront qu’il n’a rien réussi et que seul l’appât du gain le motivait. Mais les plus optimistes, dont je fais partie, admireront l’opiniâtreté, la volonté et le brin de folie sans lequel il est bien difficile d’aspirer à transcender son existence.

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