Sauf les fleurs
Nicolas Clément

BUCHET CHASTEL
août 2013
80 p.  9 €
ebook avec DRM 2,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

On n’échappe pas à sa propre histoire

En général, parmi les premiers romans de la rentrée littéraire, il y a principalement deux catégories : les gros pavés qui font le buzz avant même d’être lus et dont, après coup, chacun s’accorde à dire que, tout compte fait, ce n’était pas si terrible que ça. Et puis il y a quelques pépites, appelées à faire leur chemin plus doucement mais plus sûrement aussi, portées par le bouche à oreille, qui allonge la vie de ces livres magiques qu’on se passe de mains en mains, qu’on offre aux vrais amis, qu’on savoure soir après soir tout seul dans son fauteuil.

Ainsi ce curieux « Sauf les fleurs », petit bijou qui révèle une nouvelle voix dans le paysage littéraire français. Nicolas Clément –retenez le nom- a choisi de se glisser habilement dans la peau d’une jeune femme porteuse d’une histoire tragique. « Nous étions une famille de deux enfants, plus les parents ». Ainsi commence ce court texte poétique où les mots couvrent une infinie douleur. La narratrice enfant vit dans une ferme, avec son petit frère qu’elle aime d’une passion farouche, sa mère qu’elle voudrait sauver et son père, sorte d’ogre qui fait régner terreur et silence. Tout est dans la phrase ici, et la tragédie qui se prépare résonne de suggestions, non-dits, chuchotements et peurs approchées mot à mot. Nicolas Clément possède le don des formules qui claquent. « J’écris cette histoire pour oublier que nous n’existons plus », confie la narratrice en préambule, et ces quelques tableaux d’une enfance mutilée prennent le lecteur à la gorge.

Voilà donc le « village enseveli », la ferme et son jardin brouillon « entrelacé de coloquintes », la neige en hiver et l’école qu’il faut rejoindre à pied, l’époque des foins avec son odeur d’herbe coupée, et dans le doux soir qui tombe le retour à la ferme aux côtés du chien Sony : « Je n’arrive pas à parler de Papa qui fauche notre enfance, fouette nos lèvres, crache sur Sony et revient se moucher dans nos vies, le premier qui se sauve marque une maman ».

Ici, tout est langage -et la petite fille comprend parfaitement celui du chien Sony- et le langage dit tout. « Depuis des lustres, Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets ».

La mort de la mère, la découverte des livres et l’étude d’Eschyle, la rencontre d’un garçon qui la sauve et l’emporte, l’inscription à l’Université sont autant d’événements qui précipitent bientôt la vie et pourraient faire croire à un nouveau départ. Mais on ne s’échappe pas aussi facilement de sa propre histoire, et il faut un jour rentrer, pour le pire : « La ferme approche. La peur me remet sous alarme –je n’avais donc rien lâché de ce qui me faisait mal ».

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