Ma dévotion
Julia Kerninon

Editions du Rouergue
août 2018
299 p.  20 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Féroce et savoureuse mise à nu d’une relation

« Si je t’avais parlé à temps, Frank. Si je t’avais, une seule fois, dit quelque chose au lieu de simplement faire, toujours faire, toujours tout faire, si j’avais su utiliser les mots qui étaient pourtant, sous leur forme écrite, ma compétence la plus achevée, si j’avais su les dompter pour qu’ils portent ma voix, rien de tout cela ne serait arrivé, n’est ce pas ? C’est pour ça que je parle, maintenant, et que tu dois m’écouter ».

Ce roman est une longue confession, le discours d’une femme qui tente enfin, au crépuscule de sa vie de se dire la vérité. La vérité sur sa relation avec l’homme qui a le plus compté pour elle et qui n’était ni un père, ni un frère ni même un mari. Un homme qu’elle appelle son meilleur ami. Alors qu’ils ne se sont pas vus depuis vingt-trois ans, Helen et Frank se croisent par hasard à Londres. Les deux octogénaires ne savaient même pas qu’ils habitaient si près l’un de l’autre. Cette rencontre déclenche alors chez Hélène la nécessité de ce récit, les yeux dans les yeux. Car Frank est l’homme avec lequel elle a vécu le plus longtemps, mais également celui sur lequel elle a veillé, dont elle a fait naitre la vocation avant de le soulager de tous les soucis matériels qui auraient pu entraver l’expression de son art. Si Frank Appledore est devenu un peintre aussi célèbre, c’est aussi à Helen qu’il le doit.

Je ne vais rien raconter ici, le plaisir du lecteur étant de découvrir peu à peu le cheminement de cette relation, depuis Rome où les parents diplomates des deux adolescents sont en poste lorsqu’ils se rencontrent, jusqu’en Normandie où ils vivront leurs dernières années ensemble, en passant par Amsterdam et Boston. Sachez simplement qu’on a l’impression d’assister à une mise à nu des sentiments, avec une force que l’on rencontre rarement. Hélène gratte la surface, brise les apparences, arrache les peaux mortes pour tenter d’arriver à la vérité, malgré les couches de mensonges accumulés. A commencer par ceux qu’elle s’est fait à elle-même.

« Tu ne cessais de revenir vers moi. C’était ma position dans le monde – j’étais le lieu où tu revenais. Comme d’autres font des voyages de santé dans leur village de naissance, il me semblait que toi, tu revenais irrésistiblement dans mes parages, comme si c’était moi ta maison, moi ton essence, ton centre. C’était moi qui te protégeais, depuis toujours, et, avant tout, je te protégeais de toi-même. Tu ne m’avais rien demandé, c’est exact – mais, Frank, depuis le premier jour de notre rencontre, ton incompétence m’appelait comme une sirène dans la brume ».

Tout est d’une précision machiavélique, depuis l’étude des ressorts psychologiques qui guident ces deux êtres aux caractères bien trempés, élevés au sein de familles habituées à mentir jusqu’à l’irrésistible engrenage qui aboutit au drame, car drame il y a eu. Je le disais en préambule, on est ici dans la veine de Buvard, on se sent en terrain familier, la férocité est toujours là, mais la plume a (encore) gagné en force, la narration en densité pour livrer un fantastique roman.

Un énorme coup de cœur !

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