Madman Bovary
Claro

Actes Sud
babel
avril 2011
195 p.  7,70 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche o n  l  a  r e l u

« Allons je dois je crois me reposer. Je vais, sinon, casser. »

Préalable : Ce billet va être interminable. Je résume, pour les pressés : MADMAN BOVARY, de Claro, chez Actes Sud, en Babel (poche) 2011, 195 pages, c’est à tomber à genoux. Voilà. Avant : Un jour, une amie m’a apporté 3 cartons de livres. Piochant dedans au gré de mes humeurs, j’ai découvert « Golden Gate », petit tour de force de traduction de Claro, peu après avoir vécu un grand moment avec Madame Bovary. Quelques temps plus tard, elle me signale qu’il existe un roman de Claro autour de Madame Bovary. Méfiante, et ce d’autant plus que « CosmoZ » du dit Claro m’avait refusé son accès avec véhémence (jamais pu dépasser les 50 pages), je répondis que je voulais feuilleter avant d’acheter. Ce que je fis. En même temps je n’ai jamais pu résister à un Babel, ils sont trop beaux ces formats-là, et je suis faible. Le lendemain matin, donc, Madman Bovary prenait sa place près de mon lit. Pendant : Ce matin, j’étais très fermement décidée. Voire résolue. Je déménage bientôt et j’ai pas mal de cartons à faire. Tout avait bien commencé, j’en avais fait trois, je méritais bien une petite pause café. Je me saisis d’un livre au hasard, histoire d’occuper mes yeux pendant 2 mn 12. Pan. C’était Madman Bovary, et il m’a hypnotisée. Impossible de le lâcher avant d’en avoir terminé. Pire, impossible de réfréner les battements erratiques de mon coeur, de calmer ma respiration, de m’empêcher de lire à haute voix. J’ai lu en conduisant (si), en mangeant (pas seule), en parlant à ma belle-mère au téléphone (Mmmm, oui, ah !), j’ai lu même quand je ne lisais pas, parce qu’il y a vraiment dans ces pages quelque chose qui ne ressemble à rien d’autre, et que, sur moi, l’effet a été magistral. Mais quoi ? : Une certaine démence, en premier lieu. Du genre communicative. Joyeuse. Puis déchirante. Excessive. Obtuse. Un jeu avec l’oeuvre de Flaubert, Madame Bovary en grande partie, mais pas seulement, des morceaux de phrases mêlés à une autre narration, des répétitions, des déformations, des assonances, dissonances, tout un tas de jeux avec la langue, le roman, la typographie, avec le lecteur. Des vagues, comme ça, montantes, descendantes. Du rire. Un poil de tension sexuelle. Une jalousie mortelle pour le talent d’un autre. Une admiration éperdue pour le don de son travail. Une réécriture en deux pages de l’intrigue autour d’Hyppolite. Et bien d’autres choses encore… Par exemple ? : « 42 à 66 : Le château de construction moderne, à l’italienne, of course et cetera ! Coup d’éclat ! et tant pis pour ses deux ailes et trois perrons, ce soir je casse la baraque. (Quand j’étais petit, l’expression « sauter les descriptions » m’insupportait déjà, me croyait-on voué à un parcours hippique, attention aux haies, plus haut, plus haut, plus haut, ici une barre, blanche et rouge comme un dégueulis dentifrice figé horizontalement à un mètre vingt du sol, allez, élan, élan, on saute ! Alors que justement les descriptions, qu’elles fussent de corridors ne menant qu’à la désorientation de soi ou d’étangs grouillant d’une faune abjecte, permettaient cette dissolution qu’interdisait la bruyante partie de flipper des dialogues. J’aimais la façon sournoise qu’avait la description de s’exfolier sur la page, cette gangrène qu’elle promenait comme si de rien n’était, comme si le corps soi-disant sain du récit pouvait se passer de digressions infectieuses. Le décor n’était pas planté comme un radis, mais pierre après pierre, et dans chaque pierre il était possible d’entendre roucouler des siècles et des siècles d’érosion, de stupeur. L’oeil pouvait se perdre dans les plis d’une robe et n’en jamais resurgir ((la nuit ((( souvent))) venait tout enterrer)); les paysages se taillaient la part du lion, et le lecteur-lion que j’étais les bouffait tranquillement, os par os, détachant les nerfs et les tendons avec la même application d’un amant dénombrant les taches de rousseur sur le dos ou les cuisses d’Estée qui ne reviendra pas, maintenant les descriptions je les fait sauter – et cetera !) Ce soir c’est la masse critique. » Ah oui : Aussi, le narrateur est crucifié de chagrin d’amour, Estée est partie et c’est dans Madame Bovary qu’il veut s’oublier; pas Emma, il n’est pas tendre avec Emma(*), il l’évoque d’ailleurs à peine, il s’en fout un peu de la sosotte, non, lui, c’est tout le reste, l’oeuvre. Il veut sentir, ressentir, autre chose que la douleur de la perte. Il convoque la Littérature pour calmer son tourment : « Dans le frigo, Madame Bovary m’attend, entre un poireau et une barquette de riz. Je la sauve et l’embrasse. La serre contre mon coeur de pyjama. Viens te coucher, viens me toucher, je n’en peux plus. » (*) « 88. Je regarde donc s’éloigner entre les pages la servante Nastasie qui avait, autrefois, tenu société à Charles pendant bien des soirs, dans les désoeuvrements de son veuvage (c’était sa première pratique, sa plus ancienne connaissance du pays, putain ! elle est raide folle, Emma !)… » Encore un peu ? : Ce jeu du roman dans le roman, tout mélangé, tout vénéré (moment du bal) : « … une torpeur la prenait, elle s’arrêta, c’est magnifique, l’imparfait la fait chavirer et le passé simple la fige, un vertige vous secoue, ça peut durer, ça pourrait durer, ça ne dure pas, le clou l’emporte sur le bois, la pointe sur la fibre. Ils repartirent; et ce point-virgule est un coup de faux dans le fil du temps; et, non mais admirez un peu la souplesse de la virgule, d’un mouvement plus rapide, re-virgule, le vicomte, tiens, prends cette virgule et enivre-toi avec, l’entraînant, encore une virgule pour retarder la jouissance on ne sait jamais, disparut avec elle jusqu’au bout de la galerie, la virgule alors comme un doigt sur l’ombre du clitoris, où, si ce n’est un cri qu’est-ce, haletante, encore un peu juste un peu, elle faillit tomber, virgule-hameçon où la bouche extasiée se laisse accrocher et suspendre, et, tout ne tient plus qu’à un fil, un instant, vaste comme un lit, s’appuya la tête sur sa poitrine et là j’aide tout ce beau monde à mettre un point qui ne saurait être final, parce que la jouissance, même reconduite à son huis lointain, derrière les yeux, sous la peau, ne pense plus qu’à ça, n’a plus qu’un seul impératif en tête et au con, et c’est, comme disait Estée : le refaire. » Alors en fait : Vous l’aurez compris avec ces extraits, c’est un roman très particulier, qui ne plaira pas à tout le monde. En ce qui me concerne il m’a chavirée, et à un moment il fait dire à Flaubert (citation ou licence poétique, aucune idée) : « On peut juger de la bonté d’un livre à la vigueur des coups de poing qu’il vous a donnés et à la longueur du temps qu’on est ensuite à en revenir. » Top chrono. « Aussi, comme les grands maîtres sont excessifs ! Ils vont jusqu’à la dernière limite de l’idée. »

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