critique de "Mathias et la Révolution", dernier livre de Leslie Kaplan - onlalu
   
 
 
 
 

Mathias et la Révolution
Leslie Kaplan

P.O.L
fiction
janvier 2016
256 p.  16,90 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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Il est assez difficile de donner vie, dans un roman, à des idées politiques sans que cela soit prétexte à longs développements didactiques, très vite lassants. Leslie Kaplan échappe à ce danger et construit, avec intelligence et virtuosité, un réseau de personnages qui se croisent et s’entrecroisent, dans un Paris où circulent des rumeurs d’émeutes, quelque part en banlieue. Mathias, le personnage principal, rêve à la Révolution, à la vraie, pas celle de 89 mais celle de 92 ; à une Révolution qui a bien laissé, dans Paris, des traces mais semble en avoir fort peu laissé dans la tête de la majorité qui nous gouverne ou dans celle qu’on appelle silencieuse ; à une Révolution dont il s’étonne qu’elle n’ait pas lieu de nouveau tant les injustices de notre société rappellent et amplifient celles de l’Ancien Régime. Et pourtant les gens avec lesquels il engage une conversation plus ou moins brève, et qu’il retrouvera, plus tard et ailleurs, continuant à réfléchir aux sujets qu’ils ont ensemble abordés, portent en eux une conscience assez aiguë de l’injustice sociale, de l’impossibilité à continuer longtemps encore à la supporter. Ils incarnent, par leur comportement parfois plus que par leurs propos, la situation faite aux femmes, la solitude des personnes âgées ou des immigrés, l’éducation des enfants, l’obscénité des temples de la consommation et bien d’autres problèmes encore. Tous ne sont pas des révoltés : passent un académicien verbeux et satisfait, une vieille femme et son fils nostalgiques d’un pouvoir fort. La beauté du livre vient de ce que les différents protagonistes ont une soif de rencontre et de dialogue, une capacité d’écoute, une joie de vivre aussi, qui ne s’attachent pas seulement au présent mais s’ouvrent sur l’espérance d’un avenir. Ce qui est la plus belle manière de renvoyer à leur néant tous les défaitistes, tous les prophètres auto-proclamés du déclin de la France qui tirent de confortables revenus de leurs déplorations. Et d’affirmer aussi la richesse d’une culture et d’une mémoire pour en finir avec l’abêtissement généralisé auquel on veut nous réduire : oui, la Révolution a eu lieu et elle peut nous donner des leçons pour la Révolution à venir. Le livre de Leslie Kaplan a été adapté, en 2015, au Théâtre du Nord, à Lille.

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