Mayacumbra
Alain Cadeo

La Trace
septembre 2019
415 p.  21 €
 
 
 
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coup de coeur

La poésie faite Homme !

« Mayacumbra », dernière page, dernier mot, clap de fin, livre refermé, silence… Un silence fait de mots, les mots d’Alain Cadéo. Ils continuent de résonner, de courir, de sautiller. Dans ce dernier roman de l’auteur, j’ai retrouvé toute la poésie de ses précédents écrits et plus encore, un roman aux allures de conte initiatique.
Comme dans un conte, en effet, le héros, Théo vingt-sept ans, semble mener une quête. D’où vient-il ? De loin. Où va-t-il ? Très haut. « Ailleurs », « là-bas », étaient mes deux credo, mon moulin à prières, ma grinçante crécelle faisant trembler, grincer les dents de la maisonnée. » Que fuit-il ? Que souhaite-t-il ? Sur son chemin semé d’embûches, il rencontre des personnages pour le moins marginaux, aussi originaux que les noms dont ils sont affublés : Solstice,Cyrus, Lorino, Biribine, Rolombus… Il tombe amoureux d’une femme, jolie mais déjà mariée, au prénom qui chante et sent le bonheur : Lita. Tous sont là, près de lui, dans sa recherche d’on ne sait quoi. Et le volcan endormi, à l’abri duquel il a installé sa cabane, veille : « Théo est enfin sûr d’avoir gagné la confiance de la Corne de Dieu. Cette énorme masse minérale vit et respire au même rythme qu’eux… C’est une complicité. Ils n’ont plus de secrets, aucune zone d’ombre. L’homme, l’animal, la pierre, la chair, ne font qu’un. Théo est fier d’être l’ami, le familier, le camarade d’un géant. » Et son âne Ferdinand, compagnon de grimpette, est là aussi « … avec ses flancs qui battent comme une cornemuse… »
Lire un roman d’Alain Cadéo, c’est se noyer dans un tourbillon d’expressions finement choisies, s’immerger dans un dédale de phrases ondulantes, se laisser couler au milieu de personnages lunaires, traverser des paysages paradisiaques, écouter un volcan gronder. Ses mots sont une berceuse, ses digressions loin de gêner transcendent le texte et mêmes les quelques grossièretés parfois utilisées ajoutent quelques aspérités vivantes à la poésie de la langue. Lire un roman d’Alain Cadéo c’est accepter de dévaler ses écrits au rythme de sentiers cabossés, de boire à une source d’eau fraîche sur le chemin, c’est tout oublier pour suivre son tempo, c’est côtoyer des êtres blessés qu’il ausculte au plus profond de l’âme, c’est se fondre dans l’irréel d’une histoire aux accents d’authenticité.
« Un livre… c’est comme un dessert… ou mieux une tablette de chocolat… S’il est bon tu peux le goûter n’importe où… il t’emporte… T’es même pas obligé de le finir… Un bon livre, ça se croque tout seul, par petits bouts, le reste se devine… Et toi, tu salives, tu anticipes, tu cours derrière tes images. » Mais moi, « Mayacumbra », je l’ai fini. Je l’ai goûté, je l’ai croqué, j’ai salivé. Mais j’ai refusé d’anticiper, j’ai refusé de deviner, je suis allée au bout. Je n’ai pu m’arrêter, emportée par le rythme, le chant des mots, les odeurs du plateau. Et je n’ai pas regretté. Comment imaginer le fabuleux bouquet final de ce feu d’artifice qu’est « Mayacumbra » ?
Un véritable coup de foudre, un bijou préservé dans un écrin aux couleurs d’améthyste – décidément, j’aime beaucoup les couvertures des Editions La Trace – et sublimé par la très belle préface de Sylvie Le Bihan.

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Un conte initiatique

Retrouver la plume d’Alain Cadéo est toujours un cadeau, cet orfèvre des mots, magicien de la langue se mérite. Il nous propose ici un grand voyage, celui de Théo qui a tout quitté, sa famille, es habitudes pour errer sur la route et enfin se poser ici à Mayacumbra il y a trois ans.

Mayacumbra, un village insitué entouré de forêts, de brume au pied d’un grand volcan assoupi, La Corne de Dieu. Quelques habitations de fortune que je visualise en bidonvilles d’Amérique du Sud autour du Kokinos, genre de grande épicerie générale, là où l’on se retrouve pour boire un verre, manger un morceau, là où on peut louer une chambre, chez Cyrus et la mère Talloche.

Un village triste, où la boue, la gange , les nuages bas, brumes et brouillard sont légion. Mayacumbra c’est un hameau loin de tout à la fin de pistes difficiles où l’homme vient se cacher, se terrer, se perdre.

Cadéo nous dépeint une sacrée galerie de personnages. Chaque habitant du village vivant là a emmené avec lui ses secrets, cherchant sans doute à se faire oublier du monde. Il y a Raymond Sovignac, un drôle de curé, Giacomino, l’errant à la valise jaune, Solstice le garagiste, trafiquant à ses heures et ami de Théo, Rolombus le Manouche, le vieux Biribine, Arnosen le flic un peu dérangé obsédé par les oiseaux, Moreno et surtout Lita. Lita mariée trop jeune à Moreno, un mélange du peuple des bois vivant au village, l’amoureuse de Théo, une de ses raisons de vivre.

Théo, lui, il a choisi le volcan, la Corne de Dieu , cet endroit que tout le monde craint au village, sauf Lita qui l’y rejoint de temps à autre en secret. C’est qu’après la source et le chemin tortueux, tout en haut du volcan, Théo a trouvé son hâvre de paix.

Il y a construit une cabane et y vit avec son compagnon, son âne Ferdinand. Ensemble ils affrontent le Capitan, les éléments.

Là, loin du monde, il se sent fort, c’est le volcan qui lui donne sa force. Sa raison d’être c’est Lita mais aussi les mots, les livres et l’écriture vitale pour lui. Au village on le surnomme Loco, le fou mais peu importe car c’est ici qu’il s’est trouvé.

C’est dans un monde onirique que nous conduit la plume de Cadéo, un conte initiatique, philosophique, poétique. La quête de Théo est la recherche de lui-même, sa solitude, sa vie en partie d’ermite lui donne la paix, sa raison d’être. Il puise son énergie dans le volcan, dans la nature et la beauté des lieux.

Cet équilibre tient à peu de choses et tout basculera peu à peu lorsque son ami Solstice viendra se cacher deux jours près de lui et lui annoncer l’arrivée d’un étranger , un muet au village. Le mal n’est jamais très loin, un changement progressif se met alors en marche, le volcan aussi donnera des signes.

Cadéo manie la langue avec beaucoup d’adresse, la beauté des mots, l’accord des sons, procurent un tourbillon d’émotions. Il crée des expressions, joue avec la langue. C’est beau. Le chemin de la vie est parfois tortueux, l’auteur dépeint à merveille la nature, la beauté de celle-ci mais aussi l’âme humaine. Il faut cependant prendre garde de ne pas réveiller le volcan qui sommeille en chacun de nous.

Un roman à déguster, prendre le temps de se laisser porter et de laisser retomber les mots au plus profond de soi.

Les jolies phrases

Le plus pénible est d’être un nénuphar, car, aussi beau et éclatant soit-il, il est fermement tenu dans la boue par ses racines. Il donne l’impression de voguer comme une île, alors qu’il fait des ronds dans l’eau. La soi-disant « liberté » est, quoi que l’on fasse, où que l’on aille, toujours soumis à un mouvement pendulaire relié à un cordon ombilical plus ou moins long. Et même celui qui s’affranchit par la distance de son point de naissance, ne fait que tournoyer autour de son nombril.

Quel est le con qui pourrait dire que les mots ne sont rien ?

Le grand désir a cela de parfait : il ouvre l’infini. Et rien n’est comparable à ce saut dans le vide.

Tout ce que je sais, c’est que nos vies, où qu’elles soient, sont faites de détails et qu’on y tient à ces détails. Après, il y a les grands événements, les joies, les secousses, les drames. Mais ce qui nous sert de condiments, qui refait toujours surface, de sont ces battements de cils, des riens qui sont nos habitudes, nos rites, dont on aime parfois jusqu’au goût un peu rance, un peu éventé, mais qui ont la saveur des choses familières.

L’homme qui a faim de compagnie n’est plus en mesure de juger. Il suit, il assiste, justifie, va même essayer de comprendre ce qui anime les faits et gestes du souffrant, du tordu, du malade. Pire, il devient l’autre.

Il n’y a guère que le poisson rouge, idiot ou triste philosophe, pour ne jamais quitter la bulle qui lui sert d’océan. L’idiot tourne en rond et s’imagine qu’il est au coeur du monde. Le philosophe lui aussi tourne en rond, mais lui, prétentieux, il s’imagine qu’il maîtrise le Monde.

La pensée est une incorrigible errante, une sublime vagabonde. C’est plus fort qu’elle, il faut toujours qu’elle se barre dans tous les sens. Je m’étais pourtant juré de la dompter. Rien à faire, cette bohémienne n’en fait qu’à sa tête.

Mais au fond, toute vie n’est-elle pas un entassement d’images, un trésor que nous feuilletons mentalement, avec l’idée toujours tenace que l’une d’entre elles, qui nous échappe en permanence, contient toutes les autres par sa perfection?

Retrouvez Nathalie sur son blog 

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Mayacumba , entité universelle, magnifiée

Ouvrir « Mayacumba » pressentir la solennité, bien au-delà d’une première de couverture, plénitude des cimes. « A l’origine dans l’aube mouvante, quelques troncs noirs étranglent encore la lumière fade de la vallée. » L’incipit est un accueil chatoyant. Boucles verdoyantes, poétiques, liturgie du verbe. Alain Cadéo est cette entité universelle. Offrant à l’hôte de ses pages l’opportunité rare d’un voyage initiatique. Les mots rentrent en scène, en alliance avec l’auteur qui, subrepticement, à pas veloutés devient le guide du minéral, du régénérant. Il dépose, habile et sage, les gouttes de cette rosée grammaticale, épiphanie des grandeurs. La beauté est déjà là. Majuscule d’un pictural, révérence pour Giono, Pagnol, Bosco, à ces observateurs du frémissement existentiel. Alain Cadéo est un pèlerin. Délivrant son aura de Babel, posant cette pierre mémorielle, en gestuelle d’humilité. Le don d’écriture est salvateur. Le lecteur prend son bâton, marche vers le hameau « Mayacumba » Idiosyncrasie d’une micro société. Les habitants sont des paravents contre les affres du vrai monde consumériste et superficiel. Dans cet espace où se côtoie les fardeaux lourds d’un passé renié, les espérances et les solidarités. La philosophie s’élève cosmopolite, hédoniste, cynique. On aime plus que tout le subtil des noms des protagonistes : Théo, Solstice… qui gravitent dans cette histoire. Des clins d’œil malicieux, petits cailloux semés, éclats de rire intenses. La tonalité de la trame veloutée, épicurienne est une boîte de crayons de couleurs. « Sa foi est illimitée. Il a même construit une petite chapelle en pierres, table ronde, dans laquelle il se love comme un loir. « Mayacumba » est un refuge parabolique. Un antre où tous sont une farandole, un feu de St Jean. Un lieu vivifiant où le liant est cet apôtre contrant l’énigmatique volcan « La Corne de Dieu » et ses sauts d’humeur. Les soudés d’un même destin s’observent, s’entraident. « Un seul être suffit à mettre tout en place. Pierre angulaire de ce nouveau monde. Lita justifie tout. » La voici la belle enfant, l’amoureuse de Théo, celle qui déploie son magnétisme, emportant la palme de la pureté jusqu’au plus extrême des chemins. Théo, 27 ans, dont l’âge est un secret, est le fil rouge de cette histoire. Cet homme fuyant ses démons, le mercantilisme, vivant seul, au plus près de « La Corne de Dieu » avec son âne Ferdinand, ses mystères et son amour fou pour Lita. Les pages s’accrochent aux étoiles, à l’authenticité, à la beauté d’un volcan imprévisible. Le summum est là. « Celui qui ne connaît pas cette joie de veilleur, caché de tous, retenant sa respiration, identifiant le moindre bruit, dans de très longues nuits d’amour à la lisière des mondes, ne sait rien de la joie cristalline que l’on peut éprouver à rester puissamment attentif, sous l’acupuncture glacée des étoiles. Théo construit sa maison. « Il veut que chaque bloc autonome soit à lui seul une vivifiante architecture. Ce qu’il cherche à obtenir c’est cet assemblage de force… Un point d’orgue, un centre de gravité… » Macrocosme, refuge alloué à l’ex-voto emblématique. Tout est beau dans cet entre monde, dans cet aller-retour entre les personnages que l’on aime de toutes ses forces. « Ainsi chacun avec ses propres mains a le pouvoir de mettre au monde ce qui le hante le plus… Le crâne humain est un chantier en friche, un mortier d’alchimiste. » Ce récit est transcendant. Ecoutez l’attentive délicatesse des regards qui se croisent, les bruissements des feuillages sentimentaux. L’éclatante ferveur d’un volcan, symbiose d’un travail à polir pour s’affranchir. L’honnêteté du verbe placé dans son axe le plus juste, aux voix de « Mayacumba » prières laïques, encre d’une lave qui se donne en oraison. Dire à Alain Cadéo le pouvoir ésotérique de son écriture de lin et de saveurs. Combien cet éclat de lumière est une mappemonde humaniste, sociologique et sentimentale. Les voix de ses seigneurs sont un écho vibrant pour le lecteur qui défie le chimérique et se prend à vouloir atteindre lui aussi ce lieu de transhumance intérieure. Ce récit est un secret à garder pour les jours sans. Son pouvoir de séduction est magistral, tout se passe en invisibilité. « Mayacumba » est un baume au cœur. Publié par les Editions La Trace qui nous prouvent une nouvelle fois leur haute qualité éditoriale. Edifiant, rare, culte.

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