Minuit, Montmartre
Julien Delmaire

Grasset
litterature française
aout 2017
224 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

« La tournée du chat noir » : vous connaissez certainement cette belle lithographie que l’on rencontre reproduite sous forme de posters, cartes postales, porte-clefs, et même tee-shirts lorsqu’on arpente les ruelles de Montmartre. Eh bien, elle est l’oeuvre d’un dénommé Théophile Alexandre Steinlen, artiste anarchiste qui a dédié son œuvre à la misère des petites gens de Montmartre : ouvriers, marchands, prostituées, cabaretiers « … le peuple de la Butte était saisi sur le vif, dans le labeur des jours. Des charbonniers déchargeaient des sacs d’une carriole. Un vendeur de journaux à la criée, haut comme trois pommes, brandissait une gazette. Une marchande de savon tranchait dans un gros bloc, à ses côtés, un rémouleur aiguisait une serpette. Un allumeur de réverbères … hissait sa perche vers le candélabre ; sur la chaussée, deux poulbots le contemplaient, les prunelles en extase.» Il a en outre dessiné, peint, sculpté et recueilli un nombre infini de chats dans son atelier de Montmartre.
Il s’était installé avec sa femme sur la Butte au 21 rue Caulincourt vers 1883 mais cette dernière mourut en 1910. Il fit alors la rencontre d’une femme noire, Masseïda, originaire du Sénégal, de l’ethnie Bambara, ancienne danseuse de revue, qui lui servit de modèle et qui devint sa gouvernante et sa compagne.
Dans son dernier roman, Julien Delmaire évoque à la fois l’errance de cette femme dans les rues mal éclairées et malfamées de Montmartre où elle attire comme un aimant les regards des hommes et la rencontre avec Steinlen, le quotidien difficile d’une vie rongée par l’alcool, la pauvreté et les ravages de la guerre.
L’auteur met en scène un Montmartre sur le déclin où le préfet de Seine, Justin Germain Casimir de Selves, ose à peine mettre les pieds pour s’encanailler : les cabarets ferment peu à peu, les airs de java s’évanouissent dans l’air, l’électricité remplace petit à petit l’éclairage au gaz des réverbères ; les moulins, les ateliers d’artistes, les baraques de planches sont détruits un par un : « Tout devait être méthodiquement cadastré, arasé, haussmannisé. », les potagers qui nourrissaient Paris abandonnés, les charrettes tirées par les chevaux disparues, les chemins boueux transformés en rues goudronnées sur lesquelles les premières voitures atteignent les quarante kilomètres heure, l’âne Lolo du Lapin agile est mort ! Les jeunes hommes partent au front dont ils ne reviennent pas. « En ce temps, Montmartre avait tout d’une jungle, les fauves avaient le surin en alerte et il fallait être un peu fou pour poser son chevalet au milieu de pareils coupe- gorge. »
Et Steinlen n’a plus le courage de nettoyer sa pierre à lithographie devenue bien trop lourde pour lui… « Ça fait un bail, tu sais, que l’bon Dieu a tourné le dos à la Butte et c’est pas près de changer. » se désole le peintre qui reçoit encore quelques commandes de journaux : le Gil Blas, Le Mirliton, L’Assiette au beurre… Mais « Steinlen n’en peut plus des caricatures », il veut reprendre ses pinceaux et peindre.
Beaucoup de nostalgie émane de ces pages à la fois poétiques et sensuelles. On y croise des figures célèbres comme Apollinaire, Valloton, Lautrec, La Goulue, Chocolat au cirque Bostock…
Le quotidien est difficile : la nourriture manque, l’absinthe et la syphilis tuent à petit feu de même que le froid mordant de l’hiver contre lequel il est difficile de lutter. Même les couleurs viennent à manquer…
Masseïda est très touchante : elle repense à ses années africaines, à cette terre dont elle a été arrachée et elle y repart, en pensée, se plongeant dans des songeries infinies. Elle s’occupe du logement, des chats et pose pour Stenlein : « La chevelure de Macha. Noir corbeau. Cordages silencieux. Le front de Massa. Oued paisible. Noix de cajou. Le ventre de Massa. Vésuve clandestin. Terre brûlée. »
Un beau roman dont l’écriture délicate et imagée (certaines pages sont de vraies splendeurs) fait renaître la bohème de cette Belle Époque finissante et les petites gens qui se battent pour survivre tant bien que mal…
Un Montmartre que l’on aurait bien du mal à reconnaître maintenant qu’il est devenu un des endroits les plus huppés de Paris où l’immobilier a flambé.
On a envie, après la lecture de ce livre, d’aller flâner rue Norvins et rue des Saules, de longer tranquillement la rue de l’Abreuvoir et l’allée des Brouillards. Avec un peu d’imagination, on croiserait peut-être César Van Hove, l’allumeur de réverbères qui « parle aux candélabres, aux chats et à la lune » et l’on devinerait la présence d’une jeune femme noire suivie d’un chat disparaissant dans la brume du soir…

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coup de coeur

C’est grâce aux conseils de ma libraire chez qui je vais pour mon Club de Lecture (le premier mercredi de chaque mois), que j’ai pu lire, en avant-première, « Minuit, Montmartre » de Julien Delmaire, romancier et poète français que je ne connaissais pas et qui a commencé à publier ses ouvrages en 2013. Je dois dire que ce fut une jolie découverte pour ce livre dévoré en une seule soirée.

On commence par faire la connaissance de Théophile Alexandre Steinlen, un vieux dessinateur habitant la rue Caulaincourt avec son chat, un matou nommé « Vaillant » (et il méritera bien ce nom).
Nous sommes en 1909, à Montmartre, où on suit une magnifique jeune femme noire, Masseïda, qui ne sait plus où aller. Elle erre dans les rues et sa beauté attire la concupiscence des hommes qui la voient et qui l’on entendue chanter – car elle a une voix envoûtante.
A bout de forces, elle arrive chez le peintre qui accepte de l’accueillir après un épisode sulfureux avec un modèle noir, Pampelune.

Mais la guerre approche à grands pas et La Belle Époque n’en est plus une.
On découvre que Steinlen a aussi été appelé « le peintre aux chats » car c’était un de ses sujets favoris avec, notamment, des affiches comme « La Tournée du Chat Noir ». Mais son talent n’était pas limité à cela car il peignait aussi des portraits.

C’est dans ce cadre que Masseïda va lui proposer de devenir son modèle : « Masseïda n’ignorait rien du trouble qu’elle faisait naître chez les hommes, lorsqu’elle dansait, qu’elle chantait. Elle savait les arrière-pensées, pressantes, malsaines qui virevoltaient dans son sillage. Son reflet dans le regard des mâles valait de l’or. Elle n’avait jamais vendu son corps, (…), mais elle deviendrait modèle. Elle vendrait son reflet ». (page116).

Elle devient aussi le dernier amour du peintre mais elle fait également connaissance avec ce poison qu’est l’absinthe, poison dans lequel elle plonge de plus en plus souvent, pour oublier son passé, jusqu’à ce que Steinlen s’en aperçoive.

Entre-temps, on part à la découverte de ce Montmartre avec la vie de bohème des artistes. C’est un voyage à la rencontre de personnages tels que Aristide Bruant, Apollinaire, Félix Fénéon, Toulouse-Lautrec, La Goulue, dont nombreux sont ceux qui tirent le diable par la queue. C’est aussi l’époque des allumeurs de réverbères, dont l’un, César Van Hope, accomplit sa tache méticuleusement jusqu’à la retraite en étant le témoin anonyme de bien des scènes.
On va ainsi de cabarets en studios de peintres, bien souvent des taudis.

On attache beaucoup d’importance à la si belle et généreuse Masseïda dont le douloureux passé resurgit parfois et la plonge dans le désarroi.

C’est un récit poétique, émouvant, plein de découvertes. On observe aussi avec un grand bonheur le chat « Vaillant » qui sait rameuter sa troupe quand le besoin s’en fait sentir. Et en parlant de chats, car il en est beaucoup question dans ce livre (les amoureux de ces petits félins y trouveront leur bonheur), c’est avec eux que Steinlen va connaître une grande gloire avec ses toiles représentant, non seulement, « Le Chat Noir » mais aussi un tableau qu’il considère comme peut-être son chef-d’œuvre car il représente une myriade de chats de toutes races. Pour lui c’est une apothéose (j’ai relevé une citation).

En conclusion, un grand merci à ma libraire pour cette jolie découverte d’un Paris auquel on ne pense peut-être plus, de ce Montmartre où ne restent plus que quelques peintres principalement attachés à « croquer » le touriste.

Si le rythme de ce livre est lent, c’est certainement une volonté de l’écrivain pour bien nous faire apprécier toutes les descriptions ainsi que l’ambiance qui règne dans ce milieu si particulier. Au fait, on y voit même le clown Chocolat…

De plus, cet épisode de la rencontre de Steinlen avec Masseïda est méconnu, mais elle y intervient largement, elle la modèle d’ébène qui donne une grande sensualité à cet ouvrage, par son tempérament de feu, sa volonté acharnée de s’en sortir et d’aider son bienfaiteur.

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Une belle découverte, celle de l’écriture de Julien Delmaire qui nous emmène sur la butte de Montmartre.

Nous sommes en 1909, Montmartre compte encore des petites ruelles, des cabanes en planches, ateliers de peintre. Monttmartre qui s’allume le soir grâce aux allumeurs de réverbères. Montmartre et ses bistrots, ses filles de joie, un monde d’artistes parfois désenchantés.

Un Montmartre où l’absinthe faisait des ravages, la siphylis en daisait d’autres..

Un matou se promène, c’est Vaillant le chat de Théophile Alexandre Steinlen. Une femme noire, convoîtée pour sa beauté et sa voix magnifique, Masseida essaie d’oublier son passé. Elle est désenparée et finira par trouver refuge chez le maître de Vaillant.

Théophile Alexandre Steinlen est le dessinateur de la célèbre affiche « Le chat noir ». Les chats sont ses principaux modèles, il changera ses habitudes avec Masseida qui posera pour lui.

Ce sont les belles années, Théophile deviendra son amant…

Le rythme est lent pour nous permettre de savourer l’ambiance régnant à l’époque à Montmartre. On se promène au « Lapin Agile » , au « Moulin de la Galette », on y rencontre « La grande Goulue », Aristide Bruant, Apollinaire, Toulouse Lautrec..

C’est la découverte de Montmartre avant l’assainissement, avant l’arrivée de l’électricité, on y croise des prostituées, des macs, et on boit un verre ou plus d’absinthe pour oublier.

J’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture, une écriture poétique.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases

Le visage de Masseïda était noyé de larmes. Avec précaution, comme l’on suture une plaie, la main dispersa les pleurs de part et d’autres des joues.

Elle était lionne et ne s’enfuirait plus. Dût-elle griffer, égorger un à un les fantômes et les bruits. Aucun flic, aucun mac, aucun mâle ne pourrait l’arrêter. La lionne de Montmartre s’avançait dans la nuit.

Sur la table, au milieu d’une surface claire et granuleuses, une femme noire dormait. Sa peur, sa fatigue, son destin, reposaient dans la trame blanche du papier.

Le pinceau courbait les paysages, pliait les chairs. La chevelure de Massa. Noir corbeau. Cordages silencieux. Le front de Massa. Oued paisible. Noix de cajou. Le ventre de Massa. Vésuve clandestin. Terre brûlée. La couleur encadrait la silhouette mais ne l’enfermait pas. Les seins de Massa. Bijoux de la Terre. Ocre sombre. Ebonite. La couleur n’existait plus, pure condensation de l’obscur, elle ruisselait sur la toile comme sur le toit d’une prison.

Retrouvez Nathalie sur son blog.

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