Miss Sarajevo
Ingrid Thobois

BUCHET CHASTEL
litt fr qui viv
août 2018
224 p.  16 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Y a-t-il un temps pour les reines de beauté ?

C’est un petit bijou de délicatesse et de mélancolie que ce roman d’Ingrid Thobois qui, dans une écriture sensible, superpose les temporalités et les lieux, scrutant les arrière-plans et le hors-champ des vies brisées pour révéler la complexité des êtres familiers.

Joachim, photoreporter solitaire et sans attache, spécialisé dans les zones de conflits mondiaux, doit retourner à Rouen, sa ville natale, pour régler quelques formalités après la mort de son père qu’il n’avait pas revu depuis vingt ans. Dans le train qui le ramène de Paris en Normandie, redoutant d’entrer à nouveau dans l’appartement familial, il se remémore le drame qui a fait voler en éclats son existence : le suicide de sa sœur adolescente. Cet événement et l’atmosphère morbide et suffocante dans laquelle se sont figés ses parents l’ont décidé peu après à partir à Sarajevo. On est en 1993 et Joachim arrive dans une capitale yougoslave assiégée par les forces serbes ; il y est hébergé par la famille d’Inela, future lauréate du concours de beauté « Miss Sarajevo », un défi courageux et un acte de résistance extraordinaire de la part d’une population sacrifiée qui refuse d’être oubliée.

 

Ingrid Thobois, comme Jérôme Ferrari dans « A son image », nous livre une réflexion sur la mémoire et la photographie, cette dernière étant pour son héros une « thanatopraxie qui ne dit pas son nom ». En effet, Joachim, dont Sarajevo est le premier terrain de guerre, hésite à immortaliser les habitants sous les bombes et le blocus, comme si photographier les vivants était une condamnation à mort, ou la déformation d’une réalité trop complexe et singulière. Ce qui est important se joue ici hors-cadre, ce sont les émotions, les sensations, l’observation silencieuse. Invisible et indicible, l’essentiel est contenu dans le quotidien ordinaire où se tissent la liberté ou l’aliénation, à Rouen comme à Sarajevo. L’auteure fait œuvre de dentellière, entrecroisant les fils de son histoire, faisant apparaître, dans les pleins et les vides qui la composent, les différentes strates du temps, de la tragédie à la résilience, là où tout coïncide, se rassemble et se redresse, délesté du poids de la mort et délivré de la peur.

 

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