Muette
Eric Pessan

Albin Michel
août 2013
224 p.  16,50 €
 
 
 
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fuge en indifférence

Muette fugue ; non pas pour aller retrouver un improbable amoureux, non pas pour parcourir le monde, mais pour se retrouver, loin d’un père qui ne parle, ne lui parle, jamais et d’une mère qui ne la regarde pas, tout en n’étant qu’à quelques kilomètres de chez elle, dans une grange abandonnée depuis longtemps. L’indifférence de la mère est insupportable dans l’épisode de la marche dans le sable si chaud qu’il brûlera la plante des pieds de Muette. Bien sûr, la mère accuse sa fille et la petite de 5 ans le pense vraiment « Et Muette se tait, elle croit sincèrement que tout est de sa faute, qu’elle s’est mal comportée, qu’elle a fichu en l’air la journée de sa mère et la sienne. ». Toujours à rabrouer Muette, fille non désirée, née alors que la mère est juste lycéenne ; « Je n’ai pas choisi, je n’en voulais pas de cette enfant » Ce bébé qui a « gâché » les rêves de la mère. Tout ce fiel retombe sur la petite fille qui écoute sans broncher ces phrases assassines.
Pourtant, il y a eu de l’amour entre elles lorsqu’elle était petite « Muette –petite et confiante- se blottit dans les bras tendus, au chaud….. Muette se relâche, se détend, jure à sa mère qu’elle l’aimera toujours et sa mère jure en retour qu’elle la protégera toute sa vie, »

Bien sûr, les gendarmes la retrouve et la ramène chez elle, mais sa fugue n’a rien changé « Elle va parler et Muette prie pour que cela ne soit ni un reproche ni une demande d’explication. En ce sens, elle est exaucée. Ma pauvre fille, dit la mère, tu es folle. »

Le monologue de Muette est entrecoupé des « gentilles phrases assassines» que certains ont eu la malchance d’écouter de la bouche d’un parent, d’un enseignant, d’un conjoint. Là, elles sortent de la bouche de ses parents et elles paraissent si justes : Arrête cette comédie. On t’aura prévenue, à croire que tu le fais exprès pour nous donner des soucis.
« Muette dépoussière ses pensées, elle y déniche des questions qu’elle n’a jamais formulées, des questions qui se sont heurtées aux regards fuyants et coléreux de son père, à l’empressement de sa mère, maman ? Plus tard maman s’il te plaît. Plus tard j’ai dit, ne traîne pas dans mes pattes.
Epargne-moi la honte. Moi, je t’ai tout donné, tu pourrais me respecter.
Elle n’a eu que ce qu’elle mérite….
Ce livre, presqu’un « hymne » à l’indifférence, fait peur. Toutes ces petites phrases alignées bout à bout ont détruit Muette plus sûrement que des coups.

Muette n’est qu’émotions devant le monde qu’elle découvre à travers les informations. Ces parents ne comprennent absolument pas. Les infos de la télévision ne sont, pour eux, qu’un bruit de fond qui ne désamorce pas leur indifférence, leur petite vie étriquée de ceux qui n’ont pas, qui ont peur de…. Vivre ??? . Si Muette ne parle pas, ce n’est pas par infirmité mais parce qu’elle se l’est imposé et pourtant : «Souvent, Muette parle. Les choses ne se réduisent pas à une grossière simplification, il ne faut pas croire. Manier les mots, Muette sait le faire ; ouvrir la bouche, arrondir les lèvres et tordre la langue pour articuler des phrases, elle y parvient si bien que beaucoup se leurrent et ne voient pas qu’au fond d’elle, elle est Muette.»

Ce livre est dur. Les monologues de Muette sont ponctués par les phrases quotidiennement et banalement assassines de sa mère et ses petites phrases font mal, très, très, mal. Oui, vraiment c’est ce que je retiens de ce livre.

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