Mur Méditerranée
Louis-Philippe Dalembert

Sabine Wespieser
août 2019
336 p.  22 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Les héroïnes de l’exil

Voici l’un des romans les plus bouleversants de cette rentrée. S’inspirant d’une histoire vraie, le sauvetage en Méditerranée d’un chalutier rempli de migrants en juillet 2014, Louis-Philippe Dalembert raconte le parcours de trois femmes, une Nigériane juive, une Erythréenne chrétienne et une Syrienne musulmane. A travers leur regard, leur périple vers l’Europe est d’une proximité poignante. En remontant aux origines de leur exil, l’auteur incarne ce mot de « migrant » qui étouffe des histoires particulières.

C’est en Libye, dans un entrepôt servant de lieu de transit, que se rencontrent Chochana et Semhar, la première Nigériane, l’autre Erythréenne. Depuis des mois elles attendent dans cet enfer avec d’autres femmes l’autorisation de monter à bord d’un bateau reliant l’Europe. Toutes ont échoué là après avoir traversé leur pays respectif, puis le Sahel ou le Sahara ; endettées, rançonnées, elles ont failli mourir dans des containers sans air ni eau en traversant le désert, à la merci de passeurs mafieux et d’autorités souvent complices. Battues, violées, réduites en esclavage, humiliées, séparées de leurs compagnons d’infortune, voilà le sort réservé aux femmes qui arrivent en Libye, comme la plantureuse Chochana et la petite et maigre Semhar qui fuient l’une la sécheresse, l’autre la tyrannie. Dima, quant à elle, est partie de Syrie avec mari et enfants. Cette bourgeoise alépine a d’abord vécu l’enfer de la guerre avant de quitter définitivement son pays. La famille a relié Tripoli en avion, mais attend comme les autres le feu vert pour appareiller. Enfin, sur le chalutier qui tangue sous le poids de centaines de migrants africains se noue le destin des trois femmes. Alors que Dima la privilégiée voyage sur le pont, Chochana et Semhar font la traversée dans la cale sans oxygène, où certains meurent asphyxiés dans l’indifférence d’un capitaine inhumain. Cette dernière étape sur le bateau du désespoir est racontée de façon magistrale, épique et tragique, alternant les points de vue pour dire l’angoisse de la traversée des exilés ballotés, secoués, sous la férule de gardes-chiourmes monstrueux. Si les femmes sont les plus vulnérables, leur solidarité, la force de leur union, leur communauté de destin en font des personnages magnifiques sous une plume trempée d’émotion et d’humanité.

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