Nos mères
Antoine Wauters

Editions Verdier
janvier 2014
143 p.  14,60 €
 
 
 
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coup de coeur

sublime

Enfant, quand je faisais référence à toi dans les histoires que j’inventais pour me tenir compagnie, je ne disais jamais maman, ni ma mère, mais bien plutôt nos mères. Comme si j’étais plusieurs enfants et toi plusieurs mères à la fois, et comme si tout ce que je souhaitais finalement c’était ça : diluer nos souffrances en fragmentant nos vies. Jean Charbel

L’introduction de ce premier roman de mon compatriote Antoine Wauters vous plante le décor.

Ce récit se divise en 3 parties.

Première partie :

Nous sommes dans un pays du Moyen Orient déchiré par une guerre civile, au bord de la Méditerranée. Jean Charbel est enfant, il a perdu son père lors des combats. Il vit avec sa mère et son vieux grand-père , cloîtré au second étage de leur maison jaune. Sa mère doit travailler pour les faire vivre et elle protège son fils comme elle peut, en l’enfermant pour lui cacher les horreurs de la guerre et sa tristesse.
Ils se mentent. Elle l’aime, le couvre de baisers, l’étouffe de son amour et l’enferme à nouveau pour cacher sa détresse. C’est un paradoxe mais c’est ainsi en apparence, tout va bien, l’un prend soin de l’autre à sa façon.

Jean pour survivre dans cette solitude, dans cet enfermement va s’inventer des personnages imaginaires, une fratrie, une amoureuse afin de pouvoir tenir, s’évader. Il sourira pour dire que tout va bien c’est sa façon d’aider sa mère à supporter le deuil de son mari, la situation difficile, sa dépression. Son imaginaire va le sauver.

Seconde partie :

Contraste énorme , Jean arrive dans un pays d’Europe, une contrée boisée où tout est calme en apparence. Une apparence relative car il fera la rencontre d’une nouvelle mère – Sophie , sa mère adoptive. Sophie est en proie avec une guerre intérieure, elle porte une douleur, un mal être en elle. Elle aimerait tant aimer Jean autrement.

Troisième partie :

Jean a vieilli, il est écrivain aujourd’hui et il va essayer d’expliquer les raisons qui ont rendus sa mère comme cela.

Un magnifique roman sur la résilience, un merveilleux témoignage d’amour ou comment au delà de ses propres problèmes, si l’on s’intéresse à l’autre, comment on peut soit même aller mieux et même trouver la paix, prendre confiance en soi.

Un somptueux roman sur l’écriture et son pouvoir salvateur.

Une écriture magnifique, tonique, dure et magnifique à la fois. C’est parfois cruel mais tellement rempli d’amour. On ne sort pas vraiment indemne de ce livre, il nous rend certainement plus fort. Il y a beaucoup de poésie et de sensualité dans l’écriture. Beaucoup d’images dans ce récit lumineux rempli d’espoir.

A lire sans modération au plus vite.

Gros coup de coeur.

D’autres avis Anne Argali
LES JOLIES PHRASES

Ne voulant pas nous voir souffrir, ni nous montrer qu’elle souffrent, elles nous retirent ni plus ni moins du monde, nos mères, elles nous coupent l’horizon.

Ou nous faisons diversion, ou nous mourons. Ou nous parlons de tout et n’importe quoi comme nous en avons l’habitude, ou nous mourons encore.

Et elles marchent dans les rues pleines de monde du quartier d’Achrafieh, rebâties avec les moyens du bord pour oublier le plus vite possible ce qui s’y est passé,et, selon les règles du premier sport national – je n’ai rien vu/tu n’as rien vu/personne n’a rien vu -, continuer à vivre.

Les enfants sont dans leurs coeurs tout le temps.

Du reste, pas une seule seconde elles ne se doutent que nous cachons mille choses au fond de nous, totalement dérobées à leur regard, dans une sorte de caisson fragile scellé par un cadenas qui est notre coeur.

la suite sur mon blog Le coin lecture de Nath http://nathavh49.blogspot.be/2014/02/nos-meres-antoine-wauters.html

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coup de coeur

Un texte magnifique, tout en émotions et en sensibilité

« Enfant, quand je faisais référence à toi dans les histoires que j’inventais pour me tenir compagnie, je ne disais jamais maman, ni ma mère, mais bien plutôt Nos mères. Comme si j’étais plusieurs enfants et toi plusieurs mères à la fois, et comme si tout ce que je souhaitais finalement c’était ça : diluer nos souffrances en fragmentant nos vies. »

Dans un Liban en guerre, une guerre qui lui a pris son père, Jean vit reclus dans un grenier. A l’étage inférieur, son grand-père, malade, dépérit. Un étage plus bas encore, sa mère ne se remet pas de la mort de son mari. Elle tente de faire vivre la famille comme elle le peut, et de protéger son fils des horreurs de la guerre. De temps en temps, elle lui rappelle maladroitement qu’elle l’aime, elle l’embrasse, puis l’enferme de nouveau pour rejoindre sa propre détresse. Pendant ce temps, Jean oublie sa solitude en s’inventant des amis et des frères. Plus tard, après un bref passage dans un orphelinat, à l’initiative de sa mère qui veut lui offrir un avenir différent, il est adopté par une jeune femme, célibataire, tout aussi torturée et dépressive que sa mère biologique. Une femme, Sophie, qui refuse de vivre avec l’homme qu’elle aime, qui reste cloîtrée chez elle avec Jean, qui n’ose pas le toucher mais voudrait qu’il l’appelle maman. Une nouvelle fois, Jean est entouré de silence et de solitude, se réfugiant dans son imaginaire. Peu à peu, il trouve sa place auprès d’elle, auprès d’Alice aussi, son amoureuse, et peu à peu il laisse partir ses amis imaginaires. Dans la dernière partie, enfin, on découvre l’histoire et l’enfance de Sophie, dont Jean l’aidera à s’affranchir.

C’est un très beau texte que ce roman, qui a permis à Antoine Wauters, un jeune auteur belge, de remporter le Prix Première. Un texte empli de douceur, de tendresse, de poésie, de musique. Un texte qui met l’accent sur l’importance des mots. Malgré tout, malgré sa brièveté, ce n’est pas un roman facile à lire, de par son sujet, son écriture parfois hachée, son utilisation (pari osé) du pluriel. Mais c’est un texte qui mérite -vraiment- que l’on fasse l’effort d’y entrer, parce que l’écriture autant que l’histoire sont très belles. Parce qu’il parle d’espoir et de lumière, de résilience, d’amour et de confiance, d’écriture et de liens. Parce que, tout en subtilité, il fait naître l’émotion, par petites touches, au détour d’une page. On est parfois déçu par une lecture que l’on a longtemps attendue; Nos mères a comblé toutes mes attentes et m’a touchée, vraiment.

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