Otages intimes
Jeanne Benameur

A Vue d'Oeil
18/19
février 2016
320 p.  21 €
 
 
 
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nuit blanche

très beau

Etienne revient de loin : le roman débute par son retour en France après sa libération. Car Etienne est photographe dans les pays en guerre et s’est fait enlever pour devenir un otage. Dans quel pays? Combien de temps? L’auteure ne le dévoilera pas mais cela importe peu, le roman est ailleurs. Etienne va se ressourcer dans son village d’enfance auprès de sa mère, Irène, qui a attendu son fils comme elle a attendu son mari, disparu un beau jour en mer. Irène qui s’accord le droit de jouer de nouveau du piano, tandis qu’Etienne se souvient de cette partition qui le faisait tenir durant sa captivité : une musique jouée à trois instruments, par un trio d’amis presque frères et sœur : Etienne, Enzo l’italien et Jofranka, la petite fille qui revenait de loin et qui aide désormais les femmes victimes de tortures sexuelles dans les pays en guerre à attaquer leurs bourreaux devant le tribunal de La Haye. Mais le retour à la vie est difficile, le sentiment de captivité est persistant. Etienne repense à Emma, qui a rompu, ne supportant plus l’attente de son retour. Enzo pense à Jofranka : mariés puis divorcés, il n’a pas su l’empêcher de partir loin, comme Etienne. Il y a ceux qui partent comme Jofranka, Etienne et son père, et ceux qui restent à l’instar d’Irène, Enzo et Emma. Mais devient-on otage lorsqu’on part et qu’on se fait enlever ou la sensation de captivité peut elle simplement être dans nos peurs, nos souvenirs, nos regrets? Un roman intimiste, vrai, sur des valeurs fondamentales : l’amour, l’amitié, la famille, les échecs et les possibles.

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coup de coeur

A lire

Etienne, photographe de guerre est bloqué devant un tableau familial qui le touche au point d’oublier de fuir et sauver sa peau, de se retrouver otage. « Le visage de la femme qui l’avait fait s’arrêter en plein milieu du trottoir, au lieu de courir vite se mettre à l’abri comme les autres », il l’a chassé de sa mémoire pendant le temps de son enfermement, surtout ne pas y penser, survivre jour après jour ou, plutôt, repas après repas. Otage, enfermé dans quelques mètres carrés, sans visibilité, sans autre attente que le repas. Il est transformé en marchandise. Libéré, il retourne dans son village, chez lui, dans la maison de son enfance. Otage il a été, otage il reste. Pendant son enfermement, « il s’était tenu loin de lui-même », maintenant, il faut briser le mur. Etienne fut un otage physique, « commercial » puisque considéré comme une marchandise par ses ravisseurs De qui ou de quoi sommes-nous otages ? C’est la question que pose ce livre. D’ailleurs Emma le dit ce mot terrible lors de sa rupture avec Etienne « A chaque fois que tu pars, jusqu’à ton retour, je t’attends…. Je me sens prise en otage, moi, ici ! ». Cette sensation de ne plus s’appartenir, de dépendance, de dépossession de sa vie. Etienne a connu cela dans sa chair, dans son âme. Irène, la mère d’Etienne, la veuve qui a attendu son mari que la mer a englouti n’a t-elle pas été otage, je préfère le mot captive, de ces arrivées ponctuées de trop de départs ? seule dans le village de montagne Le retour au village de l’enfance, dans sa maison, auprès de sa mère est pour lui, une nécessité vitale. Il a besoin de se cogner à son enfance, à sa mère, aux deux autres comparses que sont Jofranka et Enzo, les amis, mais, aussi, besoin de leurs corps pour s’en servir comme étais pour mieux se reconstruire, pour mieux sauter dans l’avenir. Le paysage joue un très grand rôle dans ce livre, il est une des balises de leur enfance. Jean Benameur nous offre un livre où tout semble avoir été travaillé pour employer le bon mot au bon endroit, rien à jeter. L’écriture presque visuelle est d’une grande puissance. Oui, elle utilise la puissance des mots pour parler. Elle ne joue pas dans la grandiloquence, le paysage, les personnages ne s’y prêtent pas. Son écriture très travaillée, très fine, très intériorisée donne beaucoup de force à ce livre. Un très bon Benameur.

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