Par amour
Valérie Tong Cuong

Le Livre de Poche
janvier 2017
384 p.  7,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Sauve qui peut

« Par amour ». À lui seul, ce beau titre du onzième roman de Valérie Tong Cuong résume tout de son œuvre patiemment tissée avec autant de régularité que de générosité depuis son premier texte « Big » publié il y a vingt ans. Plus que des romans, Valérie Tong Cuong offre des rendez-vous à ses lecteurs qui sont l’illustration parfaite de ce qu’écrivait Jean Cocteau: « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Cet amour-là, sincère et intègre, Valérie Tong Cuong le porte à fleur de mots, tant à ses personnages qu’à ceux qui la lisent. Elle aborde sans relâche l’humanité de chacun, au cœur de toutes les vérités, sans faux semblants. La preuve à nouveau avec cette histoire chorale voire symphonique– forme qu’elle affectionne – où pour la première fois elle s’attaque avec maîtrise à la grande histoire pour y dérouler entre 1941 et 1945, les parcours extraordinaires de deux familles françaises ordinaires confrontées aux désastres de la Seconde Guerre mondiale entre le Havre et l’Algérie.

Une forte tension dramatique

Par son alacrité et son regard acéré sur cette époque de toutes les ambiguïtés, «Par amour» s’inscrit dans les pas du chef-d’œuvre posthume d’Irène Némirovski : « Suite française ». Mais c’est à une « Suite havraise » que nous convie Valérie Tong Cuong. En 1941, la ville portuaire du Havre est le théâtre d’une situation inouïe pour ne pas dire dantesque. La population qui est alors sous le joug de l’occupant nazi, se retrouve sous le feu des bombardements anglais. Oui vous avez bien lu, anglais. C’est au total 132 bombardements planifiés par les alliés qui détruiront la ville et tueront ses habitants. Voilà le décor est campé, il réunit les conditions les plus extrêmes pour que se déroule une histoire à forte tension dramatique.

Se réfugier en Algérie

Émélie et Muguette sont sœurs et s’aiment en dépit de leurs différences. Mariées, elles ont chacune deux enfants. Elles incarnent à leur façon cette France de l’époque divisée par l’occupation. D’un côté la patriote qui refuse la défaite et la reddition, de l’autre celle qui se soumet à l’ennemi plus par naïveté que par lâcheté, surtout par désir de paix. Muguette est frivole d’esprit et fragile de santé, son mari est prisonnier de guerre, elle fait le choix de ne plus avoir peur et se résigne à mettre ses enfants en sécurité, loin, très loin, jusqu’en Algérie. Des centaines d’enfants furent ainsi arrachés à leurs familles et évacués de l’autre côté de la Méditerranée.

Qu’aurions-nous fait à leur place?

Sans juger, Valérie Tong Cuong dissèque avec beaucoup de compassion et de mansuétude les raisons ou les circonstances exceptionnelles qui amènent des gens ordinaires à faire des choix qui les engagent et peuvent les mettre en péril. Elle s’interroge sur les angles morts de nos vies qui nous poussent soit à renoncer ou au contraire à combattre. Au fil de ces 400 pages saisissantes d’humanité où les destins se nouent, d’entêtantes questions taraudent notre esprit : qu’aurions-nous fait nous même en ces temps de guerre ?  Qu’est-ce qui fait de nous des héros ou des lâches ? Serions-nous restés ou aurions-nous pris la fuite ? L’amour de nos proches aurait-il été une force ou une entrave ? Que sommes-nous prêts à faire pour protéger nos enfants ou nos conjoints? Leur mentir, les éloigner, s’en séparer?

C’est dans les interstices des silences de sa mère havraise, qui a connu l’enfer de cette guerre, puis qui a voulu l’oublier que Valérie Tong Cuong confie avoir puisé l’inspiration de cet envoûtant roman. Elle a mis en mots les maux du passé et a approfondi son sujet à travers une enquête fouillée doublée d’une recherche bibliographique rigoureuse. La charge émotionnelle de ce roman est puissante tout autant que sa portée humaniste pour mieux penser le présent où la guerre aujourd’hui dans notre pays n’est plus une notion du passé. Mais celle hélas d’un possible futur.

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