Par les écrans du monde
Fanny Taillandier

Le Seuil
fiction cie
août 2018
256 p.  18,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Par les écrans du monde

On se souvient tous de ce que l’on faisait le 11 septembre 2001, impossible d’oublier ces images tournant en boucle sur tous les écrans du monde, nous montrant et remontrant encore les avions fonçant dans les tours du WTC.

C’est un récit fiction exigeant que nous propose Fanny Taillandier, mieux vaut entreprendre sa lecture reposé pour ne pas se perdre dans ce labyrinthe reliant les trois personnages centraux dont elle nous invite à suivre leur destin, ce à des époques différentes.

Chassé-croisés dans le temps et dans l’espace. Un roman bien documenté qui nous questionne tout le long du récit.

Lucy et William reçoivent le matin même un coup de fil de leur père leur annonçant qu’il va mourir.

Lucy est mathématicienne brillante, travaillant dans le haut de la tour sud du WTC chez Aon, une grosse compagnie d’assurances britannique. Son job, modéliser les risques. Lucy a une réunion très importante ce matin mais c’est des décombres du sous-sol du WTC qu’elle nous livrera ses réflexions.

Son frère William est responsable de la sécurité de l’aéroport de Boston d’où sont partis les avions. C’est un vétéran de l’Air Force, il interprétait les images des drônes lors de la mission Hope en Somalie. Il avait trop d’images dans la tête et avait démissionné suite à un syndrome post-traumatique.

Enfin il y a Mohamed Atta, celui qui a piloté l’avion qui s’est crashé dans les tours. Qui était-il vraiment ? C’est lui qui aurait coordonné les attentats, c’est sur ce jeune égyptien que pèsent les responsabilités.

Avec pas mal de documents, Fanny Taillandier nous expose la genèse de l’islamisme. Depuis la naissance du Hamas, de l’histoire de Ben Laden. Elle nous expose comment s’est peu à peu répandu le mal, insidieusement comme des métastases.

Réflexions intenses sur l’opération Hope en Somalie mais aussi sur ce qui est prévisible ou non. Peux-t-on anticiper en modélisant tous les risques ? Quel est le poids des images ? Ne voyons-nous pas ce que l’on veut bien nous montrer en passant à côté de l’essentiel ? Qu’en est-il de l’instrumentalisation des images ?

La construction est super bien faite. Au départ des méandres d’un labyrinthe se tissent nos réponses. C’est exigeant, mieux vaut je le répète le lire à tête reposée pour ne pas passer à côté car c’est vraiment passionnant et très intéressant.

Une fiction qui questionne comme je les aime.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases

Et, parce que nous voulons tout voir, nous acceptons d’être vus. Nous acceptons donc un rapport politique de surveillance absolue. Nous admettons le pouvoir de la carte, alors qu’elle n’a que le pouvoir que nous lui donnons …

C’est ça ! Le pré crime : arrêter les criminels avant qu’ils ne le soient, c’est exactement ce qu’on voudrait…

La mathématique devenait doucement l’horizon de compréhension du monde. Le risque était le nouveau nom de l’avenir.

A cette époque, il croit encore en Dieu, puisqu’il doute de lui-même.

Les cellules cancéreuses se métastasent au terme de multiples transformations qui chacune paraît anodine ; mais qui à la fin sont mortelles. Ce sont des mutations infimes, des erreurs légères de traduction. Par exemple : le mot traduit par « lutte » désormais se traduit par « guerre ». Ça paraît anecdotique, mais peu à peu cela change tout. Le message ne touche plus les mêmes destinataires.

Car tout comme les radios, attestent les textes sacrés des lois très saintes validées par le Prophète que la paix soit sur Lui, mais en pire, les télés sont la porte d’entrée des démons dans les esprits, dans les sens, dans les foyers.

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coup de coeur

Effroyables vérités

Le 11 septembre 2001, par beau temps, deux avions assomment l’Amérique et envahissent le monde.
Dix sept ans plus tard, Fanny Taillandier commet le meilleur livre sur la catastrophe. Une gageure pourtant de réussir un ouvrage sur cet aspirateur à fantasmes, cette machine à fabriquer des théories du complot, ce Titanic terroriste, devenu presque objet pop à force d’être décliné en tout, partout, par tous, boite Campbell du terrorisme moderne.
S’emparer d’un tel monstre, de telles ruines est plus que risqué. Mais Taillandier y parvient sans fléchir, sans trembler, et nous fait revivre les heures sombres, celles qui précèdent, celles qui suivirent, avec justesse, brio, et ce qu’il faut de brièveté pour ne pas passer à côté de son sujet.
En dehors de son simple bilan humain, lourd et connu, le 11 septembre 2001 a défini le début du siècle, sans qu’on le devine alors, en préfigurant les dizaines d’horreurs qui allaient, en Europe notamment, nous meurtrir, nous endeuiller, nous condamner à la commémoration comme manière d’être, et de subir.
Fanny Taillandier ausculte les faits, et les acteurs, surtout. Le contrôleur au portique de sécurité de l’aéroport de Boston, qui a vu passer Mohamed Atta, l’égyptien éphémère pilote de ligne, sans l’arrêter. L’employée d’une compagnie d’assurance qui prend son boulot dans une des tours et finit dessous, piégée, blessée, vivante, Mohamed Atta lui même, terroriste besogneux mais efficace quand même, tous acteurs, personnages, maillons de cette chaîne de l’horreur moderne. Mais Taillandier ne s’arrête pas là, pointe du doigt les failles des services de renseignement, nous rappelle tout ce qu’ils ont loupé, comme de fait exprès, tout ce qu’ils ont négligé, oublié, ou placé sous le tapis, en pensant que le pire ne pouvait arrivait, pas chez eux, pas comme ça.
L’auteure nous rappelle, et c’est le moment, la haine des américains pour les cadavres, leur manie de capter toutes les images, pour mieux les contrôler, leur farouche désir de ne jamais exposer le corps des leurs, pour la Nation, pour la « liberté », pour nier le mal, peut-être aussi.
L’auteure pointe du doigt les dysfonctionnements responsables en partie de l’épouvantable tragédie. A se penser originellement au dessus de tous, les Etats Unis ont fini en pièces, en poussière, en gravats. Le monde à leur chevet, révolté et solidaire, pour mener par la suite des guerres de vengeance, mal préparées, jamais achevées, qui n’auront que permis de fabriquer d’autres monstres.
« Par les écrans du monde », une sorte de « par Toutatis », moderne, ce « Jesus Christ » prononcé par les témoins de l’avion contre la Tour… »Par les écrans du monde », interjection parfaite d’une époque d’images perpétuelles. Et encore, en 2001, pas de Facebook, pas de smartphone, imaginez ce que cela aurait donné sinon…les gens prisonniers des tours auraient filmé leur agonie, sans doute…pour quel résultat, pour quelle vérité?
Que s’est il passé le 11 septembre 2001 ? Plusieurs versions s’opposent encore, aujourd’hui. Fanny Taillandier replace les faits dans leur contexte, replace les faits, tout court. Parce qu’ils sont là, têtus, aussi nets que le ciel ce jour de septembre là, sans nuage, vide, quasi sublime.

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