Profil perdu
Hugues Pagan

Rivages
Rivages noir
mars 2018
462 p.  8,90 €
 
 
 
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Nicotine, blues et balles perdues

Années 80. Ancien soldat buriné par la rudesse de l’Algérie mais plutôt en froid avec l’armée, Schneider n’est pas plus bavard que la « Grande muette ». Ses qualités de flic, sa droiture inflexible et taciturne lui valent l’estime des hommes qu’il dirige à la brigade des stups, autant que la haine de collègues d’autres unités plus tordus que lui, à qui il fait de l’ombre. Au cours d’une enquête prise en charge par son groupe, Schneider perd un de ses hommes, gagne la femme de sa vie et déclenche une guerre des polices.
Voilà bien trois raisons pour Pagan de s’enfoncer dans un univers qu’il connaît fort bien, puisqu’il a été flic lui-même. Trois fils conducteurs qu’il nous déroule sans débander dans une ambiance glacée, enfumée, teintée au mal de vivre et sonorisée au jazz.
Certes, j’ai été deux ou trois fois surpris par des… maladresses (je ne résiste pas à la tentation d’en citer une, dont la lourdeur grammaticale rend presque laborieuse une scène de sexe qui se voulait torride : « Elle l’engloutit tout entier, et presque aussitôt, en ruant et pilonnant à toute force du bassin, elle se mit à crier sans retenue, en proférant des choses qu’il ne lui serait jamais venu à l’esprit qu’elle pût seulement en soupçonner l’existence, même par ouï-dire » … ). C’est d’autant plus dommage que le style, syncopé juste ce qu’il faut et sans trop d’emphase, balance pas mal tout le long du bouquin.
Quoi qu’il en soit, Pagan suscite mon empathie pour son flic solitaire viril et secret, baroudeur revenu de tout aimanté par une beauté brute. Les méandres de l’enquête se suivent parfois un peu laborieusement mais qu’importe, le polar me séduit surtout par l’ambiance : la focalisation sur Schneider et sa pulpeuse Cheroquee est une belle plongée dans le secret d’une âme torturée, errant à la frontière du désespoir absolu, rattrapée au bord du vide par une passion partagée corps et âme qui lui donne, in extremis, une raison de vivre encore un peu malgré la noirceur du monde.
Plutôt de la bonne came, quoi. Du blues classique qui pulse, un peu lentement peut-être, mais efficacement.

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