Que de l'oubli
Pauline GUÉNA

ROBERT LAFFONT
août 2013
300 p.  21 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

On n’oublie rien

Ce roman m’a laissée longtemps songeuse. Après avoir tourné la dernière page, j’ai beaucoup réfléchi. Je tentais de relier les personnages entre eux. De me souvenir, de comprendre, comme lorsque vous visionnez un film et que, proche de la fin, vous vous dites, en vous-même, « Ah oui, voilà pourquoi il a agi comme cela au début », et que soudain tout s’explique, tout s’éclaire… On n’oublie pas « Que de l’oubli ». D’une part, parce que c’est un roman où l’on se reconnaît presque à toutes les pages. D’autre part, parce que ses personnages, même si l’on ne fait qu’effleurer leurs vies, sont terriblement attachants. Ils appartiennent à notre quotidien. On pourrait les croiser dans la rue. Ils pourraient même être toi, moi, nous, vous.

Il y a d’abord Gabriel, vingt-cinq ans, qui s’est engagé très jeune dans l’armée et qui voit sa dernière heure arriver. Il est à bord d’un camion qui explose en Afghanistan, et c’est de cet événement que démarre le récit. Autour de lui, gravitent six personnages principaux, connectés les uns aux autres. Il y a Géraldine, sa mère, qui s’est patiemment attachée à fabriquer la famille parfaite, mais qui connaîtra la destruction; Alice, sa tante, éternelle insatisfaite.; Mark, son père. Il y a aussi Harper, sa toute jeune-belle mère, grisée d’ambition, assoiffée de pouvoir, et Emma, qui part aux Etats-Unis pour décrocher le rôle de sa vie. Il y a enfin Alex, le meilleur ami de Mark, qui rêve d’écrire un livre historique.

« Que de l’oubli » est difficile à résumer. Il ne raconte pas d’histoire, mais fait plutôt la lumière sur des instants de vie, chargés d’émotion. À travers sept parcours, l’auteure a voulu raconter la perte des premières ambitions. Petit à petit, chacun construit son existence comme il l’a toujours rêvé. Avec raison, avec justesse. En fonction de ses désirs et de ses aspirations. Et un matin, c’est le réveil, brutal. Un retour sur soi, quinze ou vingt ans plus tard, lorsqu’on se rend compte qu’on a vécu, engoncé, dans un schéma gribouillé à l’avance, et que le destin nous échappe.

On peut être décontenancé par le ton de Pauline Guéna. C’est une écriture déroutante, très recherchée. Derrière chaque récit, il y a une analyse en profondeur. Elle aborde des thèmes forts : la guerre jusqu’à la mort, la maternité jusqu’à la détresse, le handicap jusqu’à la solitude, l’amour jusqu’à la folie, la séparation jusqu’à la déchirure, l’amitié jusqu’à l’oubli. Elle explore, elle creuse, elle remue la vie de ses personnages. Rien n’est dit au hasard. Rien ne reste en surface. Elle a l’art de cultiver le suspense et l’incertitude, chapitre après chapitre. Et si l’on a parfois l’impression que les récits s’entremêlent et nous perturbent, nous laissant dans l’incompréhension la plus totale, finalement, tout se retrouve et se rattache. C’est brillant, intelligent, subtil, intimiste, et délicieux.

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