Raymond Mauriac, frère de l'autre
Patrick Rödel

Le festin
les confidences
mars 2018
247 p.  19,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Frère de…

C’est en Bordelais curieux que Patrick Rödel s’est penché sur Raymond Mauriac. Ne croyez pas qu’il s’agisse d’une coquille. Nous ne parlons pas de François, le prix Nobel de littérature, mais bien de son frère ainé, Raymond, qui fit une carrière d’avoué auprès de la Cour de Bordeaux. A priori, rien que de très banal dans le destin de ce fils de famille bordelais qui va reprendre l’étude d’un oncle et gérer les affaires de la famille. Sauf que Raymond écrit. Il publie même en 1934, à 54 ans, son premier roman « Individu », qui recevra le Prix du premier roman, suivi deux ans plus tard par « Amour de l’amour ». Et puis plus rien.
Patrick Rödel mène l’enquête sur deux fronts. D’abord celui de la création littéraire pure. Il devient Raymond. Il est cet avoué qui rêve d’écriture et qui partage sa vie avec les personnages qu’il invente pour échapper à un quotidien qui l’ennuie.
Mais il est aussi Raymond, le frère de l’autre, pour reprendre le titre de cette biographie à équidistance entre imaginaire et réalité. Et l’on découvre qu’être le frère de François Mauriac, quand on veut être écrivain, se révèle impossible. Avec une grande acuité et une grande finesse, Patrick Rödel montre comment la figure de François, qui ne sera jamais proche ce frère-ci, lui porte ombrage. D’abord Raymond l’écrivain n’a pas le droit de s’appeler Mauriac. Son frère lui enjoint de prendre un pseudonyme et il signera ces romans sous le nom de Raymond Housilane, du nom d’une métairie de la famille. Mais évidemment dans le milieu cela se sait, au point que Raymond, gagné par l’amertume au fil du temps, ne saura jamais s’il est édité pour faire plaisir à son frère et si c’est également à lui qu’il doit son prix du premier roman. François le grand homme qui ne parle jamais de son frère écrira de lui, après sa mort, que  » le roman l’avait tenté lui aussi. »  » Tenté « , mot ambigu entre tentative et tentation, ébauche ou pêché, qui dit entre les lignes comment François perçut l’œuvre de son frère.
On s’interroge souvent sur la difficulté à être « le fils de ». Patrick Rödel met ici à jour la difficulté à être « Le frère de ». Ce lien fraternel si fort qui voit la rivalité triompher quand l’affection fait défaut. En fait, et c’est terrible de l’écrire pour Raymond Mauriac, mais sa vie, entre pesanteur bourgeoise, désirs contrariés et fidélité aux valeurs de la famille, ressemble terriblement à un roman de son frère. Et c’est tout l’intérêt de ce livre original et très documenté de nous faire passer derrière le miroir des Mauriac.

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