critique de "Trois saisons d'orage", dernier livre de Cecile Coulon - onlalu
   
 
 
 
 

Trois saisons d'orage
Cecile Coulon

Viviane Hamy
df-contemporain
janvier 2017
272 p.  19 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Tragédie

Mon premier Cécile Coulon, Prix des Libraires 2017, waouh, belle référence ! Généralement, j’aime beaucoup les livres récompensés par ce prix, des valeurs sûres que je lis chaque année.
Alors…
Incontestablement, Cécile Coulon a du talent, une écriture, un style. Son récit est puissant, décidé, abrupt, tranché. Il a en lui de l’énergie, de la vigueur, une forme de violence aussi. Cela dit, on frôle parfois une certaine froideur dans la présentation des lieux mais aussi dans celle des personnages : on ne s’y attache pas, on les voit de loin, comme des petites marionnettes manipulées par le destin… C’est cette « distance » qui m’a peut-être un peu gênée au départ, ce côté « détaché » de l’écriture, sans émotion, qui, cependant, à y bien réfléchir, sert parfaitement le propos : les personnages, comme les lieux évoqués, gardent leur part de mystère, préférant confier au silence leur sentiments, leurs craintes, leurs obsessions et leurs passions.
Comme dans une tragédie, on sait à l’avance que tout va mal se terminer ou à peu près : le village nommé « Les Fontaines » est dominé par un massif effrayant « les Trois-Gueules », « un défilé de roche grise, haute et acérée, divisé en trois parties, en trois sommets successifs qui ressemblent à s’y méprendre à trois énormes canines. » Une menace semble planer créant une tension dramatique plus présente dans la seconde partie du récit. Difficile de savoir quelle forme le mal prendra mais la bête est là, prête à bondir…
Après la Seconde Guerre Mondiale, l’entreprise d’extraction de minerai Charrier Frères s’est implantée dans ce lieu où la pierre est d’une qualité exceptionnelle. Les ouvriers au visage blanc de poussière sont surnommés « les fourmis blanches ». Ils s’installent au village et grossissent les rangs des quelques agriculteurs natifs du pays. Les cent cinquante habitants passent rapidement à mille. Pourtant, cette nature effrayante fait peur aux gens de la ville : elle noie, brûle, asphyxie, tue, elle est magique et sublime, hostile et superbe, un paradis mêlé d’enfer ou bien l’inverse. Certains hommes de la ville disent « qu’il ne faut pas aimer la vie pour vivre aux Trois-Gueules . »
C’est là, qu’un médecin originaire de Lyon, André, vient s’installer dans une maison somptueuse « La Cabane » qui domine le village. Il y passera sa vie. Bien sûr, il connaît les histoires effrayantes qui planent sur ces terres de légendes et de superstitions d’un autre âge, refusant de trop y croire, et pourtant…
Trois saisons d’orage est l’histoire d’André, de son fils Benedict qui deviendra lui aussi médecin, de sa belle-fille Agnès et de la fille qu’ils auront Bérangère ; c’est aussi l’histoire de Valère, fils de paysans, de natifs de la région, de gens qui ne sont pas nés en ville, qui sont d’ici.
Un récit tragique raconté par Clément, un homme d’église qui n’a pas d’histoires à lui mais qui connaît celles des autres, les secrets, les mystères, qui observe, écoute et sait se taire car toutes les vérités ne sont pas faciles à entendre.
Encore une fois, un texte au premier abord à l’image des lieux et des gens dont il parle, austère, un peu froid, comme distant et qui, au fur et à mesure de la lecture, s’ouvre, se révèle dans toute sa splendeur, sa beauté et sa puissance.
Une très belle lecture que l’on n’oublie pas !

Lire au lit : http://lireaulit.blogspot.fr/

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Trois saisons d’orage

Voilà un roman qui correspond bien aux Edts V.Hamy, dense, fort, à connotation sociale.
C’est une saga familiale qui se passe sur trois générations. Le lieu se trouve en moyenne montagne où des carrières attirent de nombreux ouvriers.
Le maire, des frères artisans de la pierre et le médecin vont faire d’un petit hameau perdu , un village où se mêleront ouvriers et paysans .Bien géré , ce village attire de plus en plus de monde, jusqu’aux promoteurs…
Le médecin laissera la place à son fils, de courageux fermiers en feront de même avec leurs enfants ; le plus fort, et courageux d’entre eux , dès l’enfance trouve son âme sÅ“ur dans la petite fille du médecin fondateur ; les familles se développent en même temps que le village.
Mais , bien sur, il y a une trame romanesque qui grandit aussi au rythme du village. Soudain monte une grande tension qui oblige à tourner les pages avec un zeste d’appréhension jusqu’au drame pressenti.
C’est un vieil homme de Dieu qui raconte : »Seul un homme qui n’a pas d’histoire peut raconter celle là ».
Une bien belle lecture

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur nuit blanche

Orage, Ô désespoir

Les Fontaines, au lieu dit Les Trois Gueules, est un village sclérosé sur lui-même jusqu’à l’arrivée des frères Charrier qui viennent y installer une carrière de pierre. Arrivent avec eux des ouvriers (les si merveilleusement nommés « fourmis blanches ») qui viennent s’installer et surtout André. Il est médecin et trouve en ce lieu un nouveau port d’attache, un havre de paix. Il s’installera dans une maison quittée par une famille dont un des enfants est mort dans son sommeil.

André a beau ne pas être né sur place, il y fait son trou. Et l’arrivée d’Elisa, un amour passager d’une nuit de déprime, avec un fils, Bénédict, n’entachera pas la réputation d’André. De toute façon, Elisa, incapable de vivre autre part qu’en ville, ne restera pas. Elle laissera Bénédict apprivoiser le village et embrasser la profession de son père à défaut d’avoir pu apprivoiser son géniteur.

Bénédict, à son tour, ramènera une femme de la ville mais sa fille, Bérénice, naîtra au village, dans la maison de ses parents et grands-parents. Bérénice grandira dans l’amitié puis l’amour de Valère, fils de paysans, éleveurs de vaches.

Tout semble donc de passer sous les meilleurs auspices : le village se développe, tant économiquement qu’humainement, les familles de Bérénice et de Valère vont indubitablement se rapprocher malgré l’écart social qu’il peut y avoir entre une famille de médecins, respectés et regardés avec déférence, au même titre qu’un maire ambitieux ou qu’un curé proche de ses paroissiens, et une famille de paysans dont les aînés sont bêtes à manger du foin et les cadets plus aptes à reprendre les rênes de la ferme.

Bérénice et Valère sont les deux facettes du village, le trait d’union entre toutes les strates sociales : grâce à eux le village pourra pérenniser son évolution.

Le grain de sable, l’orage le plus foudroyant des trois saisons, celle des aïeuls, celle des parents et celle des enfants, toutes comportant leur lot de tragédies, viendra de la rencontre d’Agnès, la femme de Bénédict et la mère de Bérénice, avec Valère.

Ah Dieu que l’écriture de Cécile Coulon me ravit à chaque nouveau livre un peu plus. Ces « Trois saisons d’orage » surpasse, pour moi, les précédents en tout. En terme de narration, en terme de style, Cécile Coulon rend une nouvelle fois une superbe copie. Si son récit est linéaire en terme de chronologie, elle sait parfaitement où créer les césures entre les différentes périodes de son histoire pour conserver une part de mystère à la tragédie qui prend forme sous nos yeux.

Ah Dieu que Cécile Coulon étonne aussi dans le savant mélange qu’elle opère des codes de Molière et de Racine. On retrouve déjà ces références dans les prénoms des personnages principaux : Valère, Elisa (ou Elise), Bérénice et Agnès. Chacun porte en lui les prémices de ce qui va se passer : Valère et l’aspect séducteur de ses rôles chez Molière, le drame des tragédies de Racine à travers Bérénice. Mais seuls Agnès et Valère prennent pleinement conscience de leur situation. Bérénice ne voit pas, ne sent pas ce qui se prépare, ce qui va arriver, elle est complètement étrangère au drame que sa seule présence rend inévitable.

Cette conscience offerte par Cécile Coulon à ses deux personnages principaux fonctionne admirablement bien : à la lecture du livre, on a littéralement l’impression qu’après avoir mis en place le cadre de son récit et sans toutefois faire disparaître les autres protagonistes, elle braque les projecteurs sur Agnès et Valère. Ce qui est d’autant plus logique que se sont leurs actes ou non actes à partir de cet instant qui va dicter, non pas le fait que la tragédie ait lieu ou non, on sait qu’elle aura lieu, mais le sens qu’elle va prendre et les conséquences qu’elle aura sur la famille de Bérénice et/ou sur le village.

Bénédict est un peu médecin malgré lui, par atavisme, par mimétisme avec son père. Agnès, par son métier, joue un peu les femmes savantes dans ce village sans prétention plutôt habité par les ouvriers et les fermiers. Valère joue les séducteurs, on en attend ni plus ni moins de lui, luttant contre ses propres envies… Entre comédie par moment (dans le sens de fable) et tragédie dans son ensemble, les Trois Gueules renferment ce qu’il faut de décor théâtral pour que la pièce se joue et se dénoue devant nous.

Les personnages de Cécile Coulon sont écorchés vifs et aucun d’entre eux ne trouve de repos, de quiétude, bien au contraire. Au fil des pages, au fur et à mesure des événements, leurs carapaces se fissurent mais n’éclatent jamais. Ils resteront pourtant blessés, cassés, écrasés parfois à jamais au sein d’un récit humain et déchirant.
Je pense que ces « Trois saisons d’orage » sont à ce jour mon livre préféré de Cécile Coulon… Ce récit ressemble à ces chemins de randonnée en montagne : il y a toujours plusieurs voix ou voies qui s’offrent au lecteur mais seule Cécile Coulon sait qu’elles sont celles que son récit devra emprunter.

Retrouvez Garoupe sur son blog 

partagez cette critique
partage par email