Un monde à portée de main
Maylis de Kerangal

Verticales
août 2018
288 p.  20 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’art de l’illusion

L’auteure de « Réparer les vivants » publie un roman d’apprentissage, dans tous les sens de ce terme ; l’initiation à l’art, à la vie et à l’amour d’une jeune peintre en décor. Doublé d’une réflexion sur l’émotion esthétique, ce beau roman est envoûtant et poétique.

Paula Karst est une jeune fille d’aujourd’hui : après quelques années d’études flottantes, elle s’inscrit à l’Institut de peinture de Bruxelles afin de devenir peintre en décor ; une formation pour acquérir les techniques du trompe-l’œil, apprendre l’observation, la maîtrise du geste, « l’art de l’illusion ». Son diplôme en poche, elle accepte tous les chantiers qu’on lui propose : le ciel d’une chambre d’enfant, l’écrin d’une exposition d’antiquités égyptiennes, l’enseigne d’un chocolatier, les stalles d’une église, avant de se faire un nom dans le décor de cinéma, en travaillant notamment pour les studios romains de Cinecitta, temple du factice. Mais c’est avec le fac-similé de Lascaux que Paula aura la révélation artistique et amoureuse de sa vie.

Un univers en trompe-l’œil

Les personnages évoluent dans cet univers du trompe-l’œil, dans les décors qu’ils créent ou dupliquent, au risque de s’y fondre eux-mêmes. Parmi eux, la jeune Paula cherche un ancrage dans la réalité ; elle se déploie et se révèle entre Paris, Bruxelles, Rome et Moscou, toujours plus loin dans un inconnu qui trouve sa source au fond d’une grotte de la Vézère. Dans un style ample et pointilliste à la fois, la romancière s’approprie le jargon pictural avec une poésie des mots justement dosée ; et, munie d’un sens de la profondeur et du détail, elle explore l’art du faux qui vise paradoxalement à la représentation de la réalité : ici, tout est dans le regard et dans le trouble que l’imitation suscite. « Un monde à portée de main » illustre prodigieusement la réflexion immémoriale sur l’essence de l’art et de la littérature, cette énigme du monde ou ce motif dans le tapis que ceux qui gardent les yeux grands ouverts ont la chance d’entrevoir.

 

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 Les internautes l'ont lu

Peut-être pas la bonne pioche pour moi, à l’occasion des #MRL18 #Rakuten que je remercie. Je me réjouissais vraiment à l’idée de retrouver la magnifique plume de Maylis de Kerangal.

J’avoue avoir eu des difficultés à rentrer dans cette lecture, le sujet m’intéresse pourtant mais je pense que les longues envolées lyriques décrivant de manière magistrale et somptueuse le monde de la peinture; ustensiles, tons, nuances, couleurs, matières …. n’ont pas réussi à me toucher.

Peut-être est-ce un peu trop documenté , un peu trop précis pour la non initiée que je suis.
Je l’ignore, la fatigue peut-être aussi mais ce fut un début laborieux.

Voici le sujet. Paula Karst (son nom prendra tout son sens en cours de récit), Jonas et Kate sont amis. Ils ont étudié ensemble d’octobre 2007 à mars 2008 à l’institut de peinture, rue du Métal à Bruxelles, le monde du trompe l’oeil, de l’illusion.

C’est principalement le parcours de Paula Karst que nous allons suivre. Elle surprend ses parents en voulant s’inscrire dans cette voie, elle s’immergera corps et âme dans l’apprentissage de cet art. On peut en effet parler d’un art car c’est une discipline exigeante demandant de s’investir complètement, c’est physique et mental à la fois. Il faut véritablement s’imprégner du sujet, se fondre en lui pour pouvoir reproduire par exemple l’effet du bois, du marbre. Il faut observer, rendre la patine, le poids du temps, les défauts.. Reproduire et non créer.

On suivra le parcours des étudiants avec leurs doutes, leurs joies mais aussi une grande solitude, il n’y a place pour rien d’autre que l’apprentissage et le travail.

Ensuite Paula travaillera commençant par de petits boulots, partant pour l’Italie, un travail pour une expo, chez un coiffeur puis de fil en aiguille à Portofino, restaurant tantôt une résidence, un hôtel particulier pour arriver à Cineccita, c’est le monde du cinéma, le haut lieu de l’illusion, de la tromperie, du factice.. Elle y découvrira d’autres techniques puis passera par Moscou avant en 2015 de participer au projet du fac similé de Lascaux 4, passage qui m’a vraiment réconciliée avec le roman.

L’écriture de Maylis de Kerangal est virtuose, elle manie la langue et les mots à merveille. Un vocabulaire riche, des mots choisis, un travail très bien documenté. Les phrases sont longues, parfois trop longues pour moi mais il en reste du moins une véritable performance.

L’art du trompe-l’oeil, l’approche de la création peut aussi je le pense être en parallèle, l’art de l’écriture, l’art d’avoir un monde à portée de main.

Ma note : 7/10

Les jolies phrases

Le trompe-l’oeil est la rencontre d’une peinture et d’un regard, il est conçu pour un point de vue particulier et se définit par l’effet qu’il est censé produire.

Elle s’aime d’avance en apprentie manches retroussées prête à en découdre, en artisane bûcheuse ayant choisi une voie modeste pour pénétrer au coeur de la peinture – apprendre le dessin, acquérir une parfaite connaissance des techniques et des produits, commencer par le commencement -; elle aime raconter qu’il faut en passer par là pour se placer ensuite devant une toile, un mur, n’importe quel support, et que ce qui importe arrivera plus tard, ailleurs, dans un autre monde, celui des artistes – et c’est là qu’elle se trompe, et de belle manière.

…l’idée que le trompe-l’oeil est bien autre chose qu’un exercice technique, bien autre chose qu’une simple expérience optique, c’est une aventure sensible qui vient agiter la pensée, interroger la nature et l’illusion, et peut-être même – c’est le credo de l’école – l’essence de la peinture.

Je croyais que je voulais être peintre. Paula sursaute ; je veux peindre, c’est tout!

Il y a des formes d’absences aussi intenses que des présences, c’est ce qu’elle a éprouvé en pressant son front sur le grillage, tendue vers ce monde qui s’ouvrait là, occulte, à moins de dix mètres, une grotte où l’on avait situé rien de moins que la naissance de l’art.

Paula s’est demandé si les peintures continuaient d’exister quand il n’y avait plus personne pour les regarder.

Retrouvez Nathalie sur son blog 

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coup de coeur

Madame de Kerangal,
Je viens de finir votre livre et pour tout vous dire, je l’ai trouvé d’une très grande beauté.
Je l’ai commencé un soir alors que j’avais une grosse journée derrière moi. Et dès la première page, je l’ai refermé. Pourquoi ? Parce que cette première page – celle qui décrit Paula descendant l’escalier – je l’ai trouvée tellement parfaite dans cette espèce de mimétisme génial entre ce que l’on nomme communément le fond et la forme que je me devais d’attendre d’être plus reposée pour en apprécier toute la splendeur. Car Paula Karst, on la VOIT dévaler les marches : votre phrase mime si magnifiquement ce mouvement, le long d’un escalier en colimaçon – j’ai vu ça comme ça – qu’on sent jusqu’à l’air qu’elle déplace. Elle est là, à portée de main, elle aussi. Quel magnifique portrait de personnage ! Une page et tout y est.
Et le lendemain, je me suis laissée aller au plaisir, à l’éblouissement. J’avais aimé (j’allais dire, comme tout le monde) Réparer les vivants, mais là, Madame de Kerangal, votre écriture a encore gagné en maturité : vos phrases sont amples, rythmées, sensuelles et généreuses. Elles donnent, se donnent, s’offrent à ceux qui comme moi s’en délectent.
Je ne connais guère d’auteurs contemporains qui aient une plume aussi somptueuse que la vôtre. Je relis peu de livres, sauf quelques « classiques » triés sur le volet, mais le vôtre, je l’ai relu, par gourmandise, et je le relirai encore.
Je parle beaucoup de l’écriture – c’est mon dada – mais si vous le voulez, abordons le sujet que vous avez choisi, il vous va si bien…et je dirai plus loin pourquoi…
Vous devez connaître les jeunes adultes pour en parler comme vous le faites, vous exprimez si bien leurs gestes, leurs mimiques, leurs tics et leurs trucs. Combien de fois je me suis exclamée : « c’est vraiment ça ! », reconnaissant les jeunes qui m’entourent au quotidien. J’avoue aussi m’être projetée dans les haussements de sourcil du père découvrant d’un air toujours un peu étonné les nouvelles inventions de sa fille. En effet, Paula, l’héroïne, décide, après avoir tenté quelques expériences post-bac, de se lancer dans des études d’art, enfin plus exactement de copiste : elle veut apprendre à recopier la nature, à peindre des décors en trompe-l’oeil. Créer l’illusion. Reproduire le réel à la perfection de façon à ce que l’oeil se méprenne, fasse fausse route avant de rétablir la vérité. Le marbre cerfontaine, l’écorce du tulipier, l’écaille de la tortue. Paula doit être capable de tout reproduire et il va lui falloir se soumettre à un travail acharné et à une discipline de fer pour atteindre la perfection. En sera-t-elle capable ? Elle s’est inscrite dans une école rue du Métal à Bruxelles et très vite, elle songe à abandonner. Travailler debout pendant des heures en respirant des odeurs de térébenthine : un cauchemar ! C’est son coloc Jonas qui va lui faire comprendre que pour peindre les choses, il ne suffit pas de les voir, il faut les connaître, intimement, les incorporer : « Apprendre à imiter le bois, c’est « faire histoire avec la forêt », « établir une relation », « entrer en rapport ». Il lui faut, pour accéder à l’essence des choses, au coeur de ce qu’elle peint, être sensible à « la vitesse du frêne » à « la mélancolie de l’orme », à « la paresse du saule blanc ». Ce sera pour elle la seule façon d’accéder à ce monde magnifique et de découvrir toute la beauté et la vérité de ce qui est là, à portée de main…
L’art du trompe-l’oeil n’a plus aucun secret pour vous, Madame de Kerangal : vos mots et vos phrases rendent si bien les mouvements, les attitudes, les corps et les matières que l’on s’y tromperait. Vos phrases ont en elles la forme du réel, le rythme du monde et la syntaxe de la vie. Elles nous ont même donné la clef d’un univers auquel nous n’avions pas accès bien qu’il soit là, sous nos yeux. C’est toute la puissance de la littérature, celle de nous permettre de voir, par le biais de la fiction, ce qui est là, près de nous, mais que nous ne voyons pas.
Nous avons besoin qu’un magicien nous ouvre avec ses mots la voie vers ce monde qui est le nôtre.
Merci, Madame de Kerangal, de nous enchanter ainsi !

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Trop technique

Sentiment mitigé, mis à part peut-être le passage sur la découverte de Lascaux, le reste ne parvient pas à me convaincre. Une écriture riche et puissante, comme d’habitude, mais souvent indigeste … même quand on aime et pratique la peinture et c’est mon cas. Cela en devient étouffant. Paula, héroïne sans en être une, en perd son humanité et son charme, dans ce catalogue de couleurs et autres pinceaux. D’un chantier à l’autre, je me suis lassée, ennuyée, j’ai tourné certaines pages pour voir si cela s’améliorait plus loin. En vain !
Trop de descriptions inutiles, trop de technique, pas d’émotions, peu de réels sentiments à mon goût. Bref, je n’ai rien retrouvé de ce que j’avais aimé dans Tangente vers l’est, qui reste mon roman préféré de Maylis de Kerangal.

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