critique de "Une bouche sans personne", dernier livre de Gilles Marchand - onlalu
   
 
 
 
 

Une bouche sans personne
Gilles Marchand

Aux forges de Vulcain
août 2016
260 p.  17 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Une bouche sans personne

Thomas est comptable, il a 47 ans, il passe ses journées dans les chiffres et depuis dix ans ses soirées dans le bar de Lise dont il est secrètement amoureux, c’est devenu un rituel. Il y rencontre ses amis Thomas et Sam. Un disque des Beatles, le plus souvent, un morceau qu’on écoute et nos amis ont pris l’habitude de combler ensemble leur solitude.

Thomas écrit un roman dont il parle peu. Ecorché de la vie suite à un accident, il parle de ses deux enfants perdus – enfants qu’il n’a jamais eu…

Sam, orphelin a atterri dans ce bar depuis la mort de son père, étrangement depuis peu il reçoit régulièrement des lettres de ses parents disparus…

Notre narrateur quand à lui, porte toujours une écharpe autour du cou quelque soit la saison cachant des cicatrices… Un soir, par maladresse, il renverse son café brûlant. Le liquide s’échappe dans son cou et sur l’étoffe qui l’entoure. Troublé, il rentre chez lui.

Ses amis lui disent qu’entre amis on peut tout se dire. C’est peut-être le moment de se libérer de son lourd secret. En effet, peu à peu une brèche s’ouvre et notre narrateur va peu à peu nous raconter son histoire , le tout au départ d’une photo jaunie, celle de papi Pierre-Jean.

Le récit semble léger d’apparence, loufoque , fantasque par moments. mais détrompez-vous il est beaucoup plus profond.

Il nous raconte entre autre comment on récolte les nouilles en carrière, ce qui se passe dans son immeuble suite au décès de la concierge pour la gestion des déchets. Ceux-ci s’accumulent dans la cage d’escalier comme son lourd fardeau qui, au plus il se libère de son secret, au plus profond des strates de souvenirs il creuse, obligeant à creuser une galerie pour se rendre chez lui comme au plus profond de son âme.

C’est étrange au plus il se livre, au plus le bar se remplit, de plus en plus de monde vient pour l’écouter. Bienvenue dans le monde de l’imaginaire, de l’absurde, un monde ressemblant étrangement à celui de Boris Vian, une filiation qui correspond à mon sens à merveille à l’auteur.

J’avoue m’être un peu perdue dans cet univers décalé durant la lecture, me demandant où Gilles Marchand voulait m’emmener mais il le savait lui, il m’a mené comme un funambule (oui je sais c’est facile – second titre de l’auteur) sur un fil tendu auquel je me suis accrochée jusqu’au bout du récit. Croyez-moi il savait exactement où il voulait nous mener. Et au final j’en suis enchantée.

Avec poésie, extravagance, l’imaginaire de Gilles Marchand nous parle dans ce premier roman très réussi du poids des secrets, de la solitude et de l’amitié.

Une belle découverte au final, le second « Un funambule sur le sable » a rejoint ma PAL car j’ai vraiment envie de connaître l’univers de cet auteur.

Ma note : 8/10

Les jolies phrases

Ce morceau, cette ambiance, je prends conscience que nous avons tous nos secrets, nous sommes effectivement ici chez nous.

Je me souviens qu’après ces siestes tu me proposais d’aller au café, parce que les amis c’est ce qu’il y a de plus important dans la vie, et que les amis c’est dans les cafés qu’on les trouve.

L’Histoire n’est pas juste.

L’écharpe m’a permis de masquer cette différence. Elle soulève d’autres questions mais il est plus facile de vivre avec des questions qu’avec une différence.

J’ai trouvé mon écharpe comme un voile qui transforme la réalité.

La présence de tous ces anonymes me permet de me détacher de ce que je leur raconte. A travers eux, mon histoire devient ‘une histoire ». C’est peut-être ce dont j’avais besoin pour avancer.

C’était l’école qui me renvoyait le plus le reflet de ma différence.

Ne pas s’encombrer de la réalité, transformer son présent pour oublier son passé.

Le discours d’adieux c’est la main du noyé qui se dresse une dernière fois à la surface de l’eau parce qu’il sait que dans quelques instants si l’on parle encore de lui, ce sera uniquement au passé.

Nous avançons et nous jetons au rebut tout ce que nous estimons inutile, tout ce qui nous embarrasse. Nous pensons faire place nette, mais au final, nous ne faisons que déplacer, éloigner.

C’est peut-être ce dont j’avais besoin pour avancer. Je ne suis qu’une bouche, une espèce de lien avec un autre temps qui se dépossède de ce qu’il a sur le coeur. Mon histoire leur appartient et se mêle à leurs propres souvenirs.

retrouvez Nathalie sur son blog 

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Rendez-vous manqué…

Je ne peux pas dire, les premières pages ne m’ont pas déplu. J’ai aimé l’atmosphère assez tristounette de ce début de roman qui met en scène un narrateur avouant dès la première ligne : « J’ai un poème et une cicatrice. » Cet homme, un comptable solitaire, se rend chaque soir dans un café pour discuter avec les rares clients qui sont devenus, au fil du temps, des amis : Lisa, la serveuse, Sam et Thomas. Se dessine alors le portrait d’un homme meurtri qui n’attend plus grand-chose de la vie et cache une mystérieuse cicatrice et certainement un passé bien lourd. Un jour, empêtré dans son écharpe, il renverse du café sur ses vêtements. Thomas se lance : « Pourquoi n’enlèves-tu pas cette foutue écharpe ? » L’autre accuse le coup. Parler de son passé n’est pas son fort, parler tout court d’ailleurs n’est pas dans ses habitudes. Mais, le lendemain, il revient au café avec la photo de son grand-père, Pierre-Jean, et commence à raconter. Une délivrance commence pour lui… Est-ce parce que je connaissais le poème dont est tiré le titre du roman et du coup, très vite, j’ai deviné la fin ? Non, je crois surtout que, si j’ai trouvé assez amusant le glissement progressif dans un univers étrange et absurde, au début en tout cas, hélas, je pense que trop, c’est trop. Cela m’a semblé souvent forcé et, il faut bien le dire, artificiel, comme relevant du procédé. On perd de vue l’intrigue principale pour prendre un chemin de traverse qui nous mène à une digression, puis à une autre sans que tout cela soit vraiment justifié, fondamental ou porteur de sens, comme si ces longs passages se voulant très farfelus ne servaient finalement qu’à retarder la révélation finale, sans apporter grand-chose à l’histoire. Non, vraiment, j’ai eu du mal à traverser ce livre malgré des pages amusantes sur l’univers de l’entreprise notamment. Un avis donc mitigé pour cette œuvre qui aurait certainement gagné en force en s’allégeant de quelques pages et en limitant, je pense, cette tendance actuelle à placer dans un même lieu des gens ou des choses disparates ou « improbables » comme disent les quatrièmes de couverture pour faire « coup de folie », « original à tout prix ». Si l’auteur s’amuse à jongler avec les mots et les situations, le lecteur, lui, s’épuise, s’enlise et finit par se lasser. Enfin, quand je dis le lecteur, je parle pour moi car c’est un livre qui a trouvé son public et c’est bien là l’essentiel… Retrouvez Marie-Laure sur son blog

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coup de coeur

Une bouche qui parle ainsi n’a besoin de personne : nous sommes tous cette bouche là

L’histoire semble simplissime : une personne qui porte en lui une cicatrice et un poème fréquente assidûment, tous les soirs, les mêmes personnes, dans le même bar, depuis dix ans. Il y a Lisa, la barmaid, Sam et Thomas, avec lesquels il parle, joue aux cartes, bois… Et puis il y a tout le reste : tout ce que Gilles Marchand a mis de sensible, de beau, de merveilleux, de fantastique, de surréaliste, j’en passe et des meilleurs, dans son roman. Il y a tellement de choses qu’on ne sait pas par quoi commencer. Par la fin peut-être, pour le remercier des larmes versées à la fin du livre, des larmes chargées de sensibilité, de pureté, d’intelligence, de mémoire. On peut être amené à pleurer à la lecture d’un livre par excès de pathos. Rien de ce genre ici. Gilles Marchand sait où il va et comment y aller avec son lecteur, sans le heurter, sans le brusquer, en le préparant doucement à la fin qui ressemble pour le personnage principal, dont on ne connaît pas le prénom, un nouveau commencement. Il y a d’abord les liens d’amitié entre Lisa, Sam, Thomas et « Je » (c’est ainsi que j’ai décidé d’appeler le narrateur, parce que son anonymat en fait l’un d’entre nous, en fait un personnage universel qui partage avec le lecteur sa propre expérience pour lui en faire don, Je est un autre nous même). Je est amoureux de Lisa mais n’ose pas, n’ose rien, à cause de la cicatrice qui lui barre le menton et qu’il cache avec des écharpes. C’est cette amitié sincère et pure qui poussera Je à raconter son histoire. Celle-ci prend ses racines dans la Seconde Guerre Mondiale et dans la relation de Je avec son grand-père qui se retrouve à devoir l’élever. Il n’aura de cesse, ce grand-père qu’on aimerait tous avoir eu en plus de nos propres grands-parents, de rendre la vie de Je plus acceptable, quitte à la maquiller à l’outrance des habits du surréalisme que Je reprend d’ailleurs avec merveille tout au long de son récit. Il y a du Raymond Devos dans l’écriture et dans l’esprit de Gilles Marchand, un surréalisme pourtant tellement ancré dans la réalité ! Une prouesse que l’on rencontre tellement rarement… J’avais eu la chance de pouvoir poser un jour une question à Raymond Devos. Il passait à la radio et j’avais appelé le standard. Ma question avait été retenue et j’avais pu la lui poser en direct. Je pourrai aujourd’hui la poser à Gilles Marchand : « Quand vous écrivez vos histoires, êtes-vous dans votre monde imaginaire ou dans la réalité ? ». Gilles Marchand ne cesse de jouer sur le sens des mots, parfois en s’amusant de leur sens premier, parfois du sens figuré. Il crée alors des décalages pittoresques et pourtant emprunts de tellement de profondeur. Il y a aussi le public qui envahit peu à peu le bar de Lisa pour assister au récit de Je. Ce public de client de plus en plus nombreux prend place chaque soir dans le bar, empiète dans la rue, transformant le café en théâtre, la vie de Je en pièce et endossant le rôle du chœur antique. Ce public est aussi composé des fantômes du passé de Je. Il y a les ordures qui s’accumulent dans l’immeuble de Je, jusqu’à envahir les étages, jusqu’à devoir créer des tunnels pour pouvoir passer : c’est le poids du passé de Je qui s’entasse et dont il doit se libérer pour continuer à vivre. Il y a le métier de Je et ses relations avec ses collègues : malgré toutes ses tentatives pour passer inaperçu, son mutisme et sa froideur ne font qu’attirer les regards sur lui, de façon énigmatique forcément puisqu’il ne veut rien dire, ne rien laisser paraître sous son écharpe. Je se replie sur lui-même pour se protéger mais il ne fait que bloquer en lui son passé, jusqu’à l’étouffement, jusqu’à s’en libérer pour pouvoir mieux vivre avec lui. « Une bouche sans personne » est un livre sur le partage, sur l’ouverture aux autres. C’est un livre sur le passé et sur l’avenir. C’est un livre nécessaire parce que Gilles Marchand va chercher au fond de son âme et de celles de ses lecteurs le talent de raconter l’indicible, avec une touche d’humour qui n’est jamais déplacée, avec une gravité qui n’est jamais lourde, avec un style qui ne passe jamais à côté de son propos, avec une légèreté indispensable aussi, avec une profondeur de circonstance, avec un univers qui vous transportera très très loin… En résumé : qu’est-ce que vous faites encore à lire ce billet ? Vous n’êtes pas déjà chez votre libraire pour vous ruer sur cette merveille ?

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