Une chance folle
Anne Godard

Minuit
septembre 2017
 14 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Quand la chair parle

Quand un style rencontre une histoire, qu’un roman bouleverse à ce point son lecteur, on peut parler de choc littéraire, et ça n’arrive pas souvent.

Grande brûlée

Magda a été gravement brûlée quand elle n’avait que quelques mois : un accident domestique qui laissera des cicatrices à vie. Tout le monde s’est emparé de son histoire, à commencer par sa mère dévouée qui l’a accompagnée pendant ses nombreux séjours hospitaliers, au cours desquels les opérations se sont succédé. Magda a vécu au rythme des greffes, des cures thermales, corps dolent, meurtri, exposé et mis à nu sans répit. La blessure physique se double d’une douleur morale, celle d’une enfant différente suscitant la curiosité, dont on panse les plaies sans penser à l’invisible, car l’autocensure fait barrage à la plainte. Elle s’est trop souvent entendu dire qu’elle avait eu « une chance folle » : cela aurait pu être pire. Et puis, c’est terrible pour ses parents, d’ailleurs on ne sait pas qui est le plus à plaindre, de la fille ou de la mère, l’une s’étant approprié la douleur de l’autre, recueillant pitié et admiration de tous.

La réparation

Ce roman, c’est l’histoire de Magda racontée par Magda, une tentative de faire sien son corps par la parole, d’occuper enfin sa place dont la mère s’est emparée dans une fusion toxique. Magda ne veut plus jouer le rôle de vaillant petit soldat qui lui a été assigné d’office. Elle qui s’est presque excusée d’exister, de déranger, prenant sur elle les dysfonctionnements de la famille, raconte ses tentatives de se construire son identité, pas celle qu’on a voulu lui façonner à coups de bistouri ni de culpabilisation inconsciente. Avec des phrases serrées, hachées de virgules, on ressent la nécessité de la parole qui étouffe d’avoir été si longtemps bridée. Il est temps que le corps détesté et subissant devienne sujet, un « je » révolté et libéré. La chair se fait verbe, dit enfin la souffrance enfouie et le trop-plein maternel, l’étouffement familial contre la volonté d’être soi, rien que soi, dans un roman nécessaire et remarquable.

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