Une immense sensation de calme
Laurine Roux

Du Sonneur
mars 2018
121 p.  15 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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coup de coeur nuit blanche o n  l  a  r e l u

Une immense sensation de bonheur

Une des dernières et merveilleuses lectures de 2018, une des premières et merveilleuses chroniques de 2019. Ce livre est un immense bijou de sensations d’une pureté époustouflante. Je n’ai que des mots positifs qui me viennent à l’esprit, tous plus dithyrambiques les uns que les autres et qui semblent pourtant en-dessous de la réalité et qui pourraient sonner comme de la flatterie gratuite. Il n’en est rien, au moins pour la dernière partie de la phrase précédente.

L’histoire est merveilleusement bien pensée, intelligente et tout ce qu’on voudra mais elle n’a aucune importance, en profondeur. Laurine Roux pourrait écrire sur n’importe quoi, tant qu’elle écrit comme ça, on s’en contrefiche allègrement.

Il est question dans ce petit roman, à peine 120 pages, de transmission, de tradition, de partage, d’humanité, d’humanisme, d’oralité, de matriarcat pour ce qui est du pouvoir et du patriarcat pour ce qui est de la force. La narratrice de Laurine Roux est de la trempe de celles à qui l’on raconte, à qui l’on parle, pas de celles que l’on écoute, elle est de celles à qui l’on se confie, à qui l’on confie tous les secrets, toutes les légendes d’une terre aussi hostile et rugueuse que nourricière. A l’inverse, Laurine Roux est de celles qu’on écoute avec respect et passion transmettre tout cela à travers ses mots.

Elle décrit la naturelle force de la nature, sa beauté féroce, brute. Son écriture tient autant du conte que de la poésie qui trouvent ici une sorte de compromis cristallin et évident. Elle repose sur l’expression limpide des sensations, des impressions, des ambiances, de l’environnement où ses personnages ne font que se mouvoir plus ou moins avec aisance ou difficulté, plus ou moins avec force ou faiblesse, plus ou moins avec amour ou solitairement.

Les lignes de vie des protagonistes sont inscrites dans les chemins sinueux des montagnes, ceux qui, par leurs traces, portent tout la force des contes et des légendes.

Il n’y a pas de dialogues dans ce livre, mais la parole est néanmoins omniprésente, y compris, surtout en fait, quand elle passe par les non-dits, par les phrases avortées.

« Une immense sensation de calme » procure une immense sensation de bonheur à la lecture…

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coup de coeur

superbe conte

« A présent, il faut que je raconte comment Igor est entré dans ma vie. C’était la fin de la saison froide, j’avais passé l’hiver dans la maison des frères Illiakov. » Une phrase qui amène une suite réelle, réaliste, idéalisée ou rêvée.
Baba, sa grand-mère « a rejoint le Grand-Sommeil ». Pour payer l’enterrement, elle cède au Comité la cabane et prend la route « Voir jusqu’où la route irait. ». Elle ira jusqu’à la cabane des frères Illiakov. Ils l’ont sauvée d’une mort certaine alors que son « corps avait déjà la raideur d’une planche de bois ». A leur contact et celui d’Olga, la femme de l’un d’eux, elle apprend les rudiments de la vie hors les villes. Elle y restera jusqu’à ce qu’Igor « Igor n’est pas un homme. Il répond à des instincts…. C’est un animal. » vienne payer le poisson séché qu’il a vendu pour eux. Elle est de suite magnétisée par cet homme rencontré près du lac « Mon désir tisse un fil vers lui et bourdonne tout autour de moi. Lui continue simplement de faire ce qu’il a à faire. ». Elle part avec lui, le suit jusqu’au bout.
Au fur et à mesure de ma lecture, j’apprends qu’il y a un avant et un après une guerre où beaucoup périr, les hommes ont été tués. Les terres sont laissées à l’abandon, certains vivent dans la montagne. Baba a raconté à sa petite-fille le grand secret des invisibles, victimes de cette guerre atroce ou créatures de contes ?
Dans cet univers quelque peu inquiétant où le temps ne se conjuguent pas au futur, ni au passé, les deux amoureux vivent pleinement et simplement leur vie au quotidien.
Un livre dur et tendre, sauvage et doux, oxymores, comme cette phrase « Le regard d’Igor abolit mon être. Il m’absorbe et arase toute autre réaction qu’un immense afflux de sang… et c’est à la fois de la peur et de la glace, du miel et de la lavande. ». Un livre où il fait bon se couler, se laisser prendre dans la neige et la glace, puis réchauffer par le feu. La nature sauvage et hostile a la part belle, les humains sont humains, chaleureux.
Une histoire, un conte tragique empli de beauté, captivant et qui procure comme une immense sensation de calme. Comme une impression d’immersion dans un monde inconnu, tragique et pourtant si beau. L’hiver est son cortège, très présent semble enserrer la nature, les humains et les bêtes dans son étau de gel. Pourtant, la lumière y est belle, la longue nuit est éclairée par la cheminée et les bouffardes qui laissent échapper la fumée de l’oubli.
La mort côtoie la vie avec une puissance multipliée par l’environnement hostile et c’est pourtant un livre d’une très grande douceur et sensualité.

« Chaque soir, la même histoire se répétait : le Soleil allumait ici ou là quelques brandons de colère, furieux de devoir quitter le monde, mais déjà la nuit mollissait l’incendie de ses vapeurs mauves, lénifiait sa violence pour laisser place au coassement gris du crapaud. » C’est nettement plus beau que d’écrire le soir tombe, la nuit arrive !
« J’ai caressé ses traits figés sur sa peau froide. Il me semblait que je devais le faire. Une caresse pour une vie. Mes doigts parcouraient son visage et je pouvais sentir tout ce qu’elle avait été. Avec ma main, je lui disais je prends. Elle me donnait sa droiture et sa fatigue, je lui disais je prends. Son passé et ses blessures, je lui disais je prends. Elle me donnait sa beauté et les rares joies arrachées à la vie. Je prenais. Son courage et sa vertu. Je prenais tout. C’était tout ce qui me restait. Longtemps ce serait mes seuls bagages. » Ce fut son dernier adieu à sa Baba avant que les homes l’ensevelissent.
Un coup de cœur pour cette lecture que j’ai ralentie pour mieux en savourer chaque mot, chaque phrase. Laurine Roux, vous m’avez envoûtée le temps de ma lecture et écrire, difficilement, cette chronique contribue à les laisser vivre en moi.
Monsieur Marc Villemain, vous avez le don pour nous faire découvrir de très beaux premiers romans.
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