Joël Dicker
Editions de Fallois
Fallois poche
juin 2014
700 p.  9,20 €
 
 
 
Quel lecteur êtes-vous Joël Dicker ?

Près de deux ans après sa parution, « La Vérité sur l’affaire Harry Québert » sort en poche, dans une collection créée pour l’occasion par l’éditeur de Joël Dicker, Bernard de Fallois. On ne change pas une équipe qui gagne et parions que le jeune auteur suisse va à nouveau squatter les listes des meilleures ventes. Mais avant de devenir écrivain, Joël fut un lecteur-vagabond…

Etiez-vous un enfant-lecteur ?
Oui, vers l’âge de trois ans j’ai lu Proust ! Plus sérieusement, un des premiers livres dont je me souvienne, c’est « La gloire » de Janusz Korczak, un pédagogue polonais, que mon grand-père m’avait offert. J’étais très fier, car il y avait 40 chapitres (d’une page) et j’avais réussi à le terminer. Ensuite, j’ai éprouvé un gros choc avec « Le dernier loup d’Irlande » d’Elona Malterre. C’est l’histoire d’une amitié entre un garçon et un loup, et je suis désolé de vous gâcher la fin du livre, mais je dois vous dire que le loup meurt ! C’est le premier qui m’a fait pleurer.

Votre génération a connu les débuts des game boy et autres consoles. C’était une tentation ?
Je n’y ai jamais joué et on n’était pas aussi fou que les enfants d’aujourd’hui. De toute manière, j’avais une mère libraire, un père professeur de français, donc impossible d’échapper à la lecture. Et j’écrivais aussi, puisque de 9 à 17 ans, j’ai été le rédacteur en chef et le rédacteur tout court de « La gazette des animaux. » Je travaillais sur l’ordinateur de mon père, face à un mur de classiques et, sans même le vouloir, je mémorisais les titres et tous les noms des auteurs. Cela me faisait rêver. C’est ainsi qu’à 7 ans, j’ai ouvert les « Faux monnayeurs », en pensant que c’était une histoire de pirates. Inutile de vous dire que je n’ai pas dépassé les deux première pages. Pareil pour « Tristes tropiques » ! Mais cela me fascinait, il me semblait que ces livres cachaient un étrange mystère.

Y avait-il beaucoup de livres pour enfants chez vous ?
Par la force des choses, puisque ma mère les rapportait à la maison. Elle nous lisait aussi beaucoup d’histoires. Aujourd’hui encore, c’est ce que je recherche lorsque je lis, et c’est ce que j’essaie de faire quand j’écris: retrouver ce plaisir de la narration. Elle nous racontait une histoire sur plusieurs soirs, s’arrangeait pour finir sur un suspense et on devait attendre le demain pour découvrir le chapitre suivant.

Et plus tard, quels furent vos coups de cœur ?
J’ai été bien sûr embrigadé dans la littérature française, parce qu’elle était au programme scolaire. A la fin du collège, j’ai découvert la littérature russe. Je devais avoir quatorze ans, c’était un peu trop tôt, il y a beaucoup de choses que je n’ai pas comprises, ni même assimilées. Mais j’éprouvais déjà une certaine fascination pour l’ambiance, le thé qui fume dans le samovar, le poêle qui chauffe, la neige, le froid.

Votre mère vous conseillait ?
Oui, et elle me conseille toujours d’ailleurs. A l’époque, il y avait moins de livres pour adolescents qu’aujourd’hui. On passait directement de la littérature pour enfants à la littérature pour adultes. Ah oui, un de mes autres grands chocs, ce fut « Racines » d’Alex Haley, pour lequel il remporta le prix Pulitzer. Il raconte l’histoire de sa famille, qui commence en Afrique et se poursuit aux Etats-Unis. C’est une fresque incroyable.

Avez-vous eu l’impression de progresser dans vos lectures ?
Pas du tout! J’ai toujours mêlé la littérature pour enfants et celle pour adultes. Et aujourd’hui encore, je ne me lasse pas des livres de Roald Dahl. Un dimanche pluvieux, un coup de déprime, je lis « La potion magique de Georges Bouillon » et je repars pour la vie. Je me mets très peu de barrière, je n’ai aucun snobisme.  

Quels sont les autre grands chocs que vous avez éprouvés ?
Romain Gary. Je voulais un serpent et mes parents refusaient en me disant, « tu n’as qu’à lire « Gros câlin » d’Emile Ajar. Je suis tombé dessus chez ma grand-mère, et intrigué je l’ai ouvert. Dans le passage sur lequel je tombe, le narrateur va chez une pute. Et c’était écrit pute, un mot que je n’avais absolument pas le droit de prononcer ! Mais j’avais le droit de le lire à l’évidence et cela a marqué le début de ma fascination pour Gary. Pour son œuvre et pour sa vie. Je n’ai pas tout lu, mais presque. Beaucoup plus tard, j’ai découvert Albert Cohen. J’ai mis du temps, car jamais un livre ne m’avait paru aussi ennuyeux que « Belle du seigneur ». Et puis un jour de 2008, je me trouvais au Canada, je me suis lancé. Ce fut une révélation.

Pouvez-vous lire et écrire en même temps ?
Parfois, je n’ai pas la tête à lire, parfois je peux faire les deux. En ce moment je bouquine « Le temps où nous chantions » de Richard Powers, et j’écris. C’est un très bon livre qui me pousse à me poser des questions. La force de « Belle du seigneur » par exemple, c’est qu’en enlevant une dizaine de pages, le livre pourrait se passer en 1800, en 1900, en 2000. C’est absolument extraordinaire, hors époque. Mon « Québert » en revanche est complètement écrasé par des dates. Et voilà que je lis Powers, qui se passe entre les années 30 et 80, mais il n’y a jamais de dates et ça m’agace, car j’ai trop de lacunes sur cette période, et ça me bloque. Alors que faire ? La lecture est un bon guide quand on écrit.

Que vous ont apporté la lecture, puis l’écriture ?
« Pourquoi pas ? » est une question qui a rythmé mes échecs scolaires, car j’ai passé mon temps à demander aux profs pourquoi je ne pourrais pas faire comme ci plutôt que comme ça. Et cela jusqu’à l’université. J’en ai souffert, mais dans la lecture, comme dans l’écriture, j’ai enfin trouvé la liberté qui me manquait ailleurs.

 

Où, quand et comment ?

Marque-pages ou pages cornées ?
Marque-pages. Ou, plus souvent, je me souviens du numéro de page. Corner les pages me rend fou. Je suis très soigneux avec mes livres, mais comme je voyage beaucoup maintenant, il leur arrive d’être un peu écrasés dans les valises.

Debout, assis, couché ?
Couché, je m’endors. Et comme à Genève, il n’y a pas de longs trajets en métro, je peux donc lire assis tranquillement chez moi.

Jamais sans mon livre ?
Absolument. Il y a toujours des piles ici et là, où je peux piocher un livre avant de sortir.

Bruit ou silence ?
Le bruit ne me dérange pas. Je peux lire partout. Et j’écris toujours en musique.

Un livre ou plusieurs à la fois ?
Un. Je suis absolument incapable d’en lire plusieurs à la fois, je mélange tout.

Combien de pages avant d’abandonner ?
J’abandonne souvent. Je renonce rarement. Je les laisse, puis j’essaie de les reprendre. « Belle du seigneur » par exemple, je l’ai recommencé dix fois pour franchir les 100 premières pages. Si je peine, je vais poursuivre jusqu’à ce que j’accroche. Et en tout cas, il faut que je comprenne pourquoi je ne veux pas continuer pour que j’abandonne!

 

L’Ordonnance du Dr. Dicker

Les Pauvres Gens de Dostoïevski

Belle du Seigneur d’Albert Cohen

La potion magique de Georges Bouillon de Roald Dahl

Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras

 

Propos recueillis par Pascale Frey

 
 
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