Audur Ava Olafsdottir
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
Points
avril 2014
288 p.  7,50 €
 
 
 
Quelle lectrice êtes-vous Audur Olafsdottir ?

« J’ai très peur de rester la même deux jours de suite. »

La lecture a joué et joue encore un rôle essentiel dans la vie d’Audur Olafsdottir, mais elle n’a accédé que tard à la littérature étrangère, très peu de choses étant traduites en islandais. Il faudra un séjour à Paris, où elle suit des cours d’histoire de l’art dans les années quatre-vingt, et l’acquisition du français, pour qu’elle découvre l’île aux trésors. Ses livres sont baignés de toutes sortes d’influence, et notamment de ces fameuses sagas qui ont enchanté son enfance. Rencontre avec une amoureuse de la France (qui le lui rend bien).

Vous souvenez-vous de vos débuts de lectrice ?
J’avais 4 ans, et on essayait d’apprendre à lire à mon frère aîné qui était dyslexique. Moi, j’étais assise de l’autre côté de la table, je suivais les cours l’air de rien, mais j’ai appris à lire… à l’envers. Il m’a fallu quelque temps ensuite pour tout remettre à l’endroit.

Avez-vous tout de suite aimé ça ?
Oui, tout de suite. J’étais la 4ème de cinq enfants, l’invisible. Cela donne de la liberté. Je lisais beaucoup, mais j’aurais adoré avoir accès à internet, au monde d’aujourd’hui. J’allais à la bibliothèque chaque jour, mais on n’avait pas le droit d’emprunter plus d’un livre à la fois. On avait également beaucoup de livres à la maison. Mon père était ingénieur, mais adorait la littérature et la musique. Il jouait Beethoven chaque soir pendant deux heures. Ma mère était femme au foyer, et lisait beaucoup elle aussi.  

Y avait-il beaucoup de traductions en islandais ? 
Très très peu. Lorsque j’ai quitté la maison, je suis partie étudier en Italie puis en France. Et c’est là que j’ai découvert les écrivains étrangers. J’avais appris le français au lycée, et j’ai pu vite me plonger dans des romans.

Que lisiez-vous avant, en Islande ?
J’adorais les sagas de Laxdaela, où la fille d’un roi celte devient l’esclave d’un viking. Je déteste les vikings, j’ai d’ailleurs écrit l’histoire d’un anti-viking dans « Rosa candida »! Mais j’étais fascinée par cette jeune héroïne, prénommée Melkorka, au point d’avoir donné son prénom à ma fille aînée. J’avais dix ans. Je savais déjà que j’allais écrire plus tard. Mais comme j’aimais beaucoup étudier, que j’étais toujours la meilleure de la classe, et que les bons étudiants deviennent souvent des professeurs… J’ai adoré ce métier, j’ai élevé mes enfants, le temps  a passé. Et j’ai découvert tout à coup que je n’avais pas l’éternité devant moi Alors j’ai commencé à écrire, tard, à 39 ans.  

Vous n’avez lu que de la littérature islandaise jusqu’à 18 ans ?
Oui. Jusqu’à ce que je quitte l’Islande. En Italie, j’ai découvert les écrivains italiens. Puis à Paris les Français. Tout d’un coup, un monde s’est ouvert à moi. Chaque vendredi je regardais Bernard Pivot. J’ai passé beaucoup de temps dans les librairies à Paris. Aujourd’hui encore, ce sont mes endroits préférés.

Par quoi avez-vous commencé ?
Marguerite Duras, Hervé Guibert. J’aimais beaucoup Tahar Ben Jelloun, je suis même allée au Maroc à cause de lui. Jean Genêt qui a écrit « Les Balcons ». J’avais 22 ans. J’avais appris le français à l’école, je pouvais tout lire, mais je ne pouvais pas parler. Encore aujourd’hui, il y a un décalage entre ce que j’arrive à lire, même la philosophie, et ce que j’arrive à dire! Ces années d’ouverture ont été pour moi incroyables. J’ai grandi en quelque sorte en France. Je crois que je portais un regard original sur les choses, un peu comme si je les regardais en biais.

Est-ce que vous lisiez en biais aussi ?
J’étais surtout une véritable éponge. L’Islande était tellement primitive, je n’avais vu qu’une poignée de films par exemple. Et tout d’un coup, je découvrais tout un monde. Mais je n’étais pas encore assez prête, pas assez mûre pour écrire. Et puis un jour, j’ai senti que j’avais des choses à dire, et que j’avais envie de les dire de manière différente. J’ai commencé, j’ai écrit vite et je l’ai publié.

Mais vous avez fini par rentrer en Islande.
Avec un nouveau-né. Il fallait bien que j’aie quelque chose à montrer, puisque je n’avais pas terminé mon doctorat! Et avec tous mes livres. Par la suite, j’ai pris l’habitude d’aller une fois par an à Paris pour faire une cure de cinéma (quatre films par jour) et m’acheter des nouveaux livres.

Vous lisiez de tout ?
Les classiques, Balzac, Zola, les poètes du 19ème siècle. J’aimais la façon de penser des Français très différente des Islandais. Les Islandais ne vont jamais au fond des choses, ils suggèrent, disent oui et non à la fois, n’analysent pas, surtout s’il est question de sentiments.

Sentez-vous une double influence dans votre écriture ?
Il y a un mélange de plusieurs choses. J’écris en islandais, une langue que personne ne comprend. Dans chaque langue, il y a une pensée propre, une philosophie différente. Toute petite, je trouvais bizarre d’être née sur cette île du bout du monde, de parler une langue que si peu de gens comprenaient. Les écrivains islandais n’ont en commun entre eux que la langue. Si il y a quelque chose personnel chez moi, c’est la musicalité de l’écriture. Ce que j’admire chez les écrivains, c’est lorsqu’on arrive à reconnaître leur écriture en lisant trois lignes. C’est mon but.

Il y a l’écriture, mais votre univers aussi qui est particulier
Pendant toutes ces années, avant que je ne me mette à écrire, j’ai vu des films, des expositions, des milliers d’images sont passées par ma tête. Mais je suis aussi imprégnée d’actualité, des journaux. Cette quête de la beauté qu’on trouve dans « Rosa candida » est due au fait que j’ai toujours en tête la souffrance dans le monde. Ces images terribles ne disparaissent que sous des couches d’écriture. Celui qui souffre cherche la beauté. Je suis heureuse personnellement, mais mon âme d’écrivain est souffrante. Cela peut expliquer ma vision du monde.

 Lisez-vous toujours autant ?
J’aimerais beaucoup prendre quelque temps juste pour lire. Je vais arrêter d’enseigner un moment, mais j’aurai toujours besoin d’écrire. J’ai des idées pour les prochains 400 ans. C’est un besoin existentiel.

 Les lectures ne parasitent-elles pas l’écriture ?
Non, je suis sans cesse à la recherche de quelque chose de nouveau, d’original. Je vais dans des librairies, je lis toujours le début et la fin. Et si l’écriture m’intrigue, j’achète, peu importe le sujet. Cela peut être un écrivain totalement inconnu. Je suis allée voir le rayon des best-sellers hier, j’ai lu le début d’une vingtaine de romans, et je n’en ai acheté aucun! Je lis aussi beaucoup de poésie islandaise. Pour être pris au sérieux en Islande, il faut avoir écrit de la poésie. Donc j’ai publié un recueil! En ce moment, j’essaie de savoir comment on écrit une pièce de théâtre. Comme un enfant, je prends un biscuit et je demande après si je peux l’avoir. J’ai écrit trois pièces, et maintenant je vais apprendre comment procéder!  

Lisez-vous encore comme une lectrice lambda ou avez-vous un regard d’écrivain ?
C’est plutôt l’écrivain qui lit. Même à vingt ans, je lisais déjà comme un écrivain sans le savoir. J’aime comprendre comment c’est fait. Je n’ai jamais  pu lire des romans uniquement pour me distraire. Je veux toujours apprendre quelque chose sur le monde, sur moi-même, je veux essayer de progresser. J’ai très peur de rester la même deux jours de suite. Si je n’ai pas le sentiment d’avoir évolué, je ne peux pas m’endormir!

 

 Où, quand, comment ?  

Marque-page ou pages cornées ?
Je mets un billet d’avion ou n’importe quoi pour marquer la page où je me suis arrêtée. Et je corne les passages qui m’intéressent. Parfois je les crayonne.  

Debout, assise, couchée ?
Dans toutes les positions. Et je lis pas mal dans les librairies. Je peux lire très rapidement, comme si je photographiais la page, pour savoir s’il y a quelque chose intéressant.

Jamais sans mon livre ?
Je peux être sans un livre, mais en revanche j’ai toujours un stylo et un papier pour écrire avec moi.

Bruit ou silence ?
Je peux écrire et lire n’importe où, n’importe quand. Comme j’ai longtemps manqué de temps, j’ai pris l’habitude de profiter de de chaque minute, où que je sois.

Un ou plusieurs livres à la fois ?
Plusieurs. Une journée idéale commence en lisant de la poésie. En voyage, j’ai toujours un recueil de poèmes avec moi. Les romans, je les trouve sur place.

Livre papier ou e-book ?
J’ai besoin de toucher le livre. Je me souviens de Fanny Ardant qui affirmait dormir avec des piles de livres.

Combien de pages avant d’abandonner ?
Une cinquantaine. Parfois, si c’est un livre dont on a beaucoup parlé, je le reprends quelques années plus tard.

 

L’Ordonnance

« La Divine Comédie » de Dante

« Les parents » d’Hervé Guibert

« Eden cinéma » de Marguerite Duras

« Laxdaela saga »

Saga de « Njall le brûlé »

Propos recueillis par Pascale Frey 
Photos Audur 
©Alexandre Isard

 
 
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