Michael Cunningham
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282 p.  7,50 €
 
 
 

Rencontre avec Michael Cunningham
 « On a tous besoin d’un miracle ! »

Pour son sixième livre, Michael Cunningham,  lauréat  du prix Pulitzer pour « Les  Heures », calligraphe talentueux de l’introspection, flirte avec le surnaturel. « Snow Queen » est en effet traversé par une lumière céleste,  qui transfigure la vie de trois New-Yorkais à la dérive.

Au début du roman, vos trois  personnages sont tous malheureux : Baret vient d’être plaqué par SMS par  son dernier petit copain , Tyler son grand  frère  a tout du musicien raté, et  Beth, la femme de ce dernier, souffre  d’un cancer en phase terminale. Pourquoi une telle déprime ?
Difficile  en effet de débuter un roman sous des auspices plus sombres ! Ce n’est pas un  parti-pris, mais au fur et à mesure que je progresse comme romancier, je me rends compte  que j’aime écrire sur la perte,  les difficultés que nous traversons tous, et la lumière au bout du tunnel. Je ne supporte une fin heureuse que si mes personnages ont auparavant traversé le pire !

Vos personnages semblent tous  à la recherche  de quelque chose : l’amour, la  chanson parfaite, la façon de vivre ses derniers mois le moins mal possible…..
Oui, ils attendent un miracle,  comme nous tous d’ailleurs !  J’ai voulu décrire  des New- Yorkais qui, à 40 ans, s ‘aperçoivent que leur vie ne correspond pas à celle dont ils avaient rêvé. Au milieu de leur existence, ils  réalisent qu’ils se sont perdus en chemin.

C’est alors que ce fameux miracle finalement se produit ?
En traversant Central Park, Barret découvre dans le ciel une  étrange lumière bleue qui semble le regarder. Il ne sait pas ce que c’est, mais il choisit de  considérer cette apparition comme une révélation mystique. Je  ne suis pas catholique, mais je possède une sorte de foi personnelle dans quelque chose de plus grand que nous. C’est la première fois que j’utilise le surnaturel dans mes livres. Est- ce  vraiment  d’ailleurs une intervention divine, une simple illusion de l’esprit ou une réponse à sa crise existentielle ? Je n’en sais rien mais cette apparition  va changer la vie de Barret et de ses compagnons.

Pourquoi  avoir intitulé votre livre « Snow Queen » ?
Je me suis inspiré de manière très  libre du conte d’Andersen qui raconte l’histoire de deux orphelins,  comme le sont mes deux héros, perdus dans la forêt. Je ne savais pas que Disney allait sortir sa vision de « La Reine des neiges » en même temps que moi ! Mais nous sommes  ici très éloignés  du conte de fées. D’ailleurs, « Snow Queen »  peut  s’interpréter de manière toute différente : snow se réfère  en anglais à la cocaïne, que Tyler cache dans sa chambre et queen, mot d’argot pour les gays, peut s’appliquer à Barret qui multiplie les conquêtes homosexuelles pour ne pas se sentir vieillir.

Dans votre dernier livre, « Crépuscule », vous mettiez en scène un frère et une sœur inséparables . Là encore depuis  la mort de leur mère, frappée par la foudre,  Barret et Tyler  ne semblent faire qu’un. Ce thème de la fraternité vous inspire- t -il tout particulièrement ?
Oui, j’ai une soeur qui m’est très chère ! Plus sérieusement, je trouve qu’on traite beaucoup de l’amour romantique mais moins de l’amour familial, qui, lui, dure toute la vie.  Je parle de la difficulté à  se séparer, à trouver l’amour  et à le conserver  et j’introduis souvent  un troisième personnage dans le duo, ici Beth,  ce qui a le mérite d’offrir de nombreuses  possibilités dramatiques.

Le thème de la maladie est aussi très présent. Pourquoi ?
En tant qu’homosexuel, j’ai survécu à l’épidémie du Sida. J’ai vu beaucoup de jeunes hommes de 20 ans mourir, j’ai milité pour Act Up. J’ai conscience de ma mortalité et de celle des autres, je  connais la culpabilité du survivant,  mais aussi la difficulté  parfois à aimer celui qui va s’en aller. Ce thème qui m’intéresse, on le retrouve en ce moment  dans des séries télévisées comme « Breaking Bad »  et « The big C ».

Pourquoi avoir choisi l’année 2004 et un quartier défavorisé de Brooklyn pour installer votre histoire ?
L’action se passe à Bushwick, au fin fond de Brooklyn, qui devient rapidement un quartier à la mode, mais qui, il y a dix ans, se trouvait presque dans la zone. Je voulais que mes personnages soient coincés, sans intimité, dans un quartier qui leur ressemble. Et l’époque est celle de la réélection de George Bush, l’un des pires présidents des Etats- Unis. A  l’inquiétude de mon trio d’éclopés se juxtapose donc  celle d’une partie de l’Amérique. Le livre  prend fin avec la promesse  d’Obama et pour mes personnages  celle d’une vie peut-être meilleure.

Avez-vous voulu tracer le portrait d’une  génération de New-Yorkais ?
Les frères Meeks  viennent d’un milieu privilégié, ont fait d’excellentes études  mais leur vie n’est pas à la hauteur  de leurs ambitions et dans une ville comme New York,  si préoccupée par le succès, cela  ressemble à une condamnation à mort !  Ils sont pris dans l’autodestruction mais aussi dans l’espoir d’une rédemption. Faut -il mieux réussir dans la vie ou réussir sa vie , c’est un vaste débat.
 

 
 
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