C’est déjà la rentrée !

 

 

 

 

 

 


Rien d’autre sur terre de Conor O’Callaghan, traduit de l’anglais par Mona de Pracontal, paraîtra le 13 septembre aux éditions Sabine Wespieser

Quand il ouvre à la gamine terrifiée par la disparition de son père, le prêtre et narrateur de ce premier roman en sait déjà long sur elle. Le village entier se perd en conjectures sur cette famille par comme les autres, revenue depuis peu en Irlande et installée dans le pavillon-témoin du lotissement en construction.

En voici le début :

« C’est vers ce moment-là que la porte s’est mise à battre. Le bois tremblait sous les coups. Le rabat intérieur de la boîte aux lettres, en laiton, a tremblé lui aussi. Même les fourchettes et les couteaux, dans leur tiroir ouvert, et la vaisselle dans l’égouttoir, ont comme vibré un instant. Personne ne venait jamais à une heure pareille. Début de soirée, par le mois d’août le plus chaud de mémoire humaine.

De l’autre côté de la porte, sur le seuil au milieu de nulle part, se tenait une histoire que tout le monde connaissait déjà. Et la forme que prenait cette histoire, comme on dit, le soir en question ? Essoufflée, la peau sur les os, une gamine d’une douzaine d’années. Elle avait le ventre, le sternum et la naissance des côtes à l’air. On aurait dit quelqu’un qui n’a pas mangé correctement ni respiré d’air frais depuis des années. Elle avait les dents jaunes, les ongles noirs et trop longs. Sa peau était brûlée par le soleil, à l’exception de lignes blanches à l’emplacement des bretelles. Elle était marquée par endroits, aussi, sa peau : des égratignures, des plis, des stries de crasse et des mots.

De vrais mots qui étaient griffonnés sur sa peau par douzaines, en bleu, effilochés sur les bords, brouillés par la sueur et quasiment illisibles. Les plus flous ressemblaient à des hématomes. Les mieux préservées faisaient comme de petites reprises censées ravauder les endroits où le tissu de sa chair s’était élimé. Et les mots ne se limitaient pas à ses mains et poignets. Elle en avait partout et il était difficile de ne pas regarder.

« Entre. »

Elle portait des chaussons panda en peluche et un pantalon de survêtement gris clair couvert de poussière noire et de taches de nourriture, avec un blouson d’aviateur pour homme qui faisait facilement cinq tailles de trop. Elle portait aussi un rouge à lèvres d’une curieuse teinte marron-rouge, qui n’avait pas été mis très soigneusement et accentuait encore son allure de sauvageonne. Ses cheveux, noir de jais, ondulés et assez longs, lui tombaient au milieu du dos. Mais, à en juger par leur aspect, elle ne les avait pas lavés depuis plusieurs semaines. »

 

 


Hôtel Waldheim de François Vallejo
paraîtra le 30 août aux éditions Viviane Hamy

Lors de ses séjours avec sa tante à Davos, à l’hôtel Waldheim, l’adolescent Jeff Valdera n’aurait-il été qu’un pion sur un échiquier où s’affrontaient l’Est et l’Ouest au temps de la guerre froide ?

En voici le début :

« Personne n’arriverait à croire qu’une survivance des moyens de communication les plus archaïques comme une carte postale puisse bouleverser un homme, moi, la vie d’un homme, la mienne ; une carte postale.

Inhabituelle dans mon courrier. Je tombe dessus ce matin. Tout de suite frappé par ses particularités, pour ne pas dire ses anomalies : un modèle ancien, aux couleurs défraîchies, la partie réservée à la correspondance d’un blanc jaunissant. J’ai pensé : une de ces histoires où une lettre égarée parvient à une adresse donnée, parfois en l’absence de son destinataire disparu pour cause de déménagement ou de décès, après vingt ou trente ans d’errance.

Ce n’est pas le cas, le nom de Jeff Valdera, le mien, précède mon adresse actuelle, d’ailleurs récente. Le timbre, d’un rouge vif, porte la mention de l’année en cours, le tampon, noir, net et frais, indique la date du 1er février dernier. Nous sommes le 3.

Je cherche une trace du signataire : nouvelle anomalie, il n’apparaît pas à la place usuelle, sous le message, pas plus ailleurs, introuvable. Le message, parlons-en, est-ce un message ? Réduit à une brève question, inscrite en travers, dans une langue à la fois familière et fautive : « Ça vous rappel quelque chose ? »

La personne se croit-elle suffisamment reconnaissable pour se dispenser de signer ? Cette graphie ronde et soignée ne m’évoque aucun proche, ce français approximatif non plus. Le vouvoiement impose une certaine distance.

La provenance de l’envoi me fournit une première indication : le timbre porte la mention Helvetia, le tampon précise le lieu d’expédition, Zurich, Suisse. Anomalie supplémentaire, la face illustrée, divisée en quatre vues égales séparées par deux lignes blanches, l’une verticale, l’autre horizontale, ne figure pas, comme on s’y attendait, un monument ou un paysage zurichois.

Non seulement un expéditeur anonyme m’adresse aujourd’hui une carte vieille de plusieurs années ou dizaines d’années, mais il m’envoie de Zurich des images d’une autre ville du pays, distante de cent ou deux cents kilomètres, Davos, que je ne peux pas le nier, j’ai reconnue instantanément.

Mon trouble vient autant de l’impression de familiarité immédiate que m’ont procurée ces quatre photos que du décalage temporel et de l’écart spatial opérés sournoisement par mon interlocuteur. »

 

 


Tous les hommes désirent naturellement savoir de Nina Bouroui paraîtra le 22 août aux éditions Lattès

Ce roman est l’histoire des nuits de la jeunesse de Nina Bouroui, de ses errances, de ses alliances et de ses déchirements. L’histoire d’un désir qui est devenu une identité et un combat.

 En voici le début:
« Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, maheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la Seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant ils sont mes miroirs. Nous formons un seul cœur, une seule cellule. Nous sommes vivants.

J’ai vécu en France plus longtemps que je n’ai vécu en Algérie. J’ai quitté Alger le 17 juillet 1981, avant la décennie noire, j’avais quatorze ans. Combien d’amis, de voisins, de connaissances tués depuis? Rien ne m’a suivie rue Saint-Charles, ma première adresse à Paris. Je me tiens entre mes terres, m’agrippant aux fleurs et aux ronces de mes souvenirs. Seule la mer relie les deux continents. Ma mémoire est photographique. Elle restitue la couleur et le grain de peau des corps qui se baignaient au large de Cherchell. Je ferme les yeux et je traverse Oran, Annaba, Constantine. Dans mes images rien n’a changé et rien ne changera.

Je pourrais tracer sans me tromper le plan exact de l’appartement d’Alger, le couloir et les chambres, le salon et la bibliothèque, les bandes de lumière qui striaient le carrelage et que je prenais pour des signaux lancés par les habitants d’une autre planète, rêvant qu’ils me choisissenet et m’enlèvent.

J’assemble tout ce que je sais de ma famille comme j’assemblerais des morceaux d’un objet brisé pour le recomposer. Du désordre naît un ordre. Dans les silences se télescopent les échos du passé. Je veux savoir qui je suis, de quoi je suis constituée, ce que je peux espérer, remontant le fil de mon histoire aussi loin que je pourrai le remonter, traversant les mystères qui me hantent dans l’espoir de les élucider.

Je m’interroge souvent sur la personne que j’aurais pu être si j’étais restée en Algérie, sur celle que je serais si j’acceptais d’y retourner. Quand je dis «la personne», je pense à mon identité amoureuse.

Je cherche dans mon passé des preuves de mon homosexualité, des reliquats, mon enfance est ainsi, orientée de cette façon, à la manière d’un astre ou du versant d’une montagne.

Paris s’ouvre à moi. Rue du Vieux-Colombier, le Katmandou, club réservé aux femmes dans les années quatre-vingt, est aujourd’hui devenu  un théâtre. Les larmes et les disputes y étaient nombreuses. J’y ai appris la violence et la soumission. Il me suffit de fermer les yeux pour que ressurgisse le décor qui abritait mes nuits et de tendre la main pour saisir la main de celle que j’étais. Je n’ai pas perdu ma jeunesse, je viens d’elle et elle m’annonçait. »

 

 


Asta
de Jon Kalman Stefansson, traduit de l’islandais par Eric Boury, paraîtra le 29 août aux éditions Grasset

 

Reykjavik, au début des années 50. Sigvaldi tombe fou amoureux d’Helga. Le couple va avoir deux filles en deux ans, Sesselja puis Asta. Un avenir radieux leur semble promis. Vingt ans plus tard, Asta fait des études de théâtre à Vienne. Lorsqu’elle apprend le décès de sa sœur, elle se sent coupable de n’avoir pas répondu à ses lettres…

 En voici le début:

 « Helga et Sigvaldi, les parents d’Asta, ont choisi son prénom avant sa naissance, persuadés qu’ils auraient une fille, ils l’ont trouvé dans Gens indépendants, un livre de Halldor Laxness, paru en 1934-1935. Ils ont lu ce roman pendant qu’Asta grandissait et se développait dans le ventre de sa mère, et la fin les a fait pleurer. Même Sigvaldi a versé des larmes, lui qui ne l’avait pas fait depuis l’enfance, et qui s’en croyait désormais incapable. Tous deux ont pleuré quand Bjartur, le père d’Asta, la prend dans ses bras, épuisée et presque morte, pour continuer à monter avec elle sur la lande impitoyable: « Cramponne-toi à mon cou, ma petite fleur », dit Bjartur. « Oui, murmure-t-elle. Toujours – jusqu’à mon dernier souffle. Je suis ta fleur unique. La fleur de ta vie. Et je ne vais pas mourir tout de suite. »

Bien sûr qu’ils ont pleuré. Ces lignes, la fin de ce livre, auraient le pouvoir de faire pleurer les pierres. On serait toutefois tenté de se demander si ce n’était pas par… insolence… qu’ils lui ont donné le prénom d’un personnage de roman certes très séduisant, mais qui a vécu et péri dans l’ombre de son père où peu de choses prospéraient en dehors de l’obstination, du malheur et de la cruauté qu’engendre parfois l’incapacité qu’ont certains êtres de se mettre à la place d’autrui. Je te baptise Asta parce qu’une autre Asta a péri sur une lande glaciale, en crachant du sang, sacrifiée sur l’autel de son père.

La proposition venait de Sigvaldi. Helga a d’abord hésité puis s’est rendu compte qu’en retirant la dernière lettre du prénom, il reste le mot dst qui signifie amour en islandais, et elle a accepté. Leur choix n’était pas uniquement un hommage à la fascination qu’exerçait ce merveilleux livre et aux émotions puissantes qu’ils avaient resesnties en le lisant, mais également, et sans doute tout autant, en tout cas dans l’esprit de Helga, il était censé leur rappeler et signaler au monde à quel point l’amour est toujours à portée de main. La vie d’Asta était née de l’amour et elle grandirait entourée d’amour. »

 

 


Les jours de silence
de Philip Lewis,
traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut, paraîtra le 23 août aux éditions Belfond
Henry Aster s’était promis de ne jamais retourner dans son village natal, où il n’avait jamais trouvé sa place. Il revient pourtant s’installer avec sa famille dans cette région et sombre dans le chagrin…
En voici le début :
« Mon père fut l’un des deux enfants nés à l’hôpital en parpaing d’Old Buckram durant le froid mordant de l’automne 1939. L’autre enfant, un garçon qui ne vécut pas assez pour recevoir un nom et une âme à sauver, fut enterré par sa mère sur une colline près de la ville, quand le dégel permit de lui creuser une tombe digne de ce nom. Point de cérémonie ni d’hymne. Un gros rocher lisse trouvé dans la rivière lui tint lieu de pierre tombale, si l’on peut dire. On laissa le garçon à son repos éternel auprès d’un Dieu absent, avec pour seule prière celle de sa mère. Elle demanda que l’enfant soit pardonné pour le péché originel et accepté au ciel dans l’attente de la venue des autres, quand le Seigneur, dans Sa sagesse, les rappellerait à Lui.

Old Buckram, où débute cette histoire est une petite ville de montagne achromatique, nichée très haut au cœur des Appalaches. Elle se situe en position précaire, aussi loin que l’on puisse aller au nord et à l’ouest tout en restant à l’intérieur des frontières officielles de la Caroline du Nord. En 1799, la ville comptait 125 habitants, et, en 1939, le nombre avait grimpé jusqu’à 400. C’est une ville aux rues et trottoirs solitaires, rarement empruntés. Ses quelques misérables commerces – une quincaillerie désuète, un comptoir d’aliments pour bétail, un cordonnier, une boutique de vêtements dégriffés, un café, et un tailleur de pierres tombales – ont du mal à survivre avec leur maigre clientèle, et ferment tôt les sombres jours d’hiver, avant que la neige de se mette à tomber. C’est une ancienne ville ferroviaire, où le train ne passe plus depuis des années. Une ville semée de petites églises, édifices simples de brique rouge logés sur les collines ou dans les vallons, une ville dont l’unique entreprise de pompes funèbres enterre presque tous les morts. C’est une ville de fantômes et de superstitions. On y trouve les marches du Diable, le rocher de la Langue de serpent et Abbadon Creek, qui emporta dans l’oubli une famille entière lors de la crue de 1916. Aux confins de la ville, sur le plateau, derrière la rivière, s’étendent les Barrowfields, où, par quelque mystère, rien ne pousse naturellement, à l’exception d’une mousse grise qui recouvre tout et grimpe sur les éminences rocheuses et les souches pétrifiées dont les habitants les plus crédules pensent qu’elles indiquent des tombes remontant à des temps immémoriaux. D’autres disent qu’un vent violent s’éleva sur les montagnes mille ans plus tôt et arracha tous les arbres, balayant la couche fertile de la terre, si bien que rien n’y pousserait plus jamais. Presque tous pensent que la zone est hantée. Personne n’a jamais pique-niqué sur les Barrowfields : là-dessus, il n’y a pas de doute. »

 


Le testament de Dina
de Herbjorg Wassmo, traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon, paraîtra le 5 septembre aux éditions Gaïa

Des années après « Le livre de Dina » qui l’a fait connaître un peu partout, mais surtout chez elle, en Norvège, voici la suite, « Le testament de Dina ». On a hâte de le découvrir, et pour vous faire patienter,
en voici le début 
:

« 1890. Neuf jour après la Saint-Jean. Huit jours après qu’un incendie eut réduit en cendres le domaine de Reinsnes et fauché deux vies.

La grande église en pierre de Strandstedet était bondée. Le froid qui descendait de sa voûte étreignait l’assistance. Les paroles prononcées. Le cercueil. Les respirations à l’unisson.

Le bruit des pas légers dans la nef. Le murmure des chaussures d’été sur le tapis. Karna descendit l’allée centrale. Devant les portes, elle s’arrêta. Sans que personne sur les bancs n’ose se retourner. Ni bouger. Ni feuilleter son livre de cantiques. Ou remuer les pieds. L’organiste ne leva pas les mains. Et les orgues demeurèrent muettes.

Puis les gonds des vieilles portes en chêne gémirent. Le soleil inonda l’intérieur de l’édifice, mais la lumière n’atteignit par le cercueil posé sur le catafalque dans le chœur. Debout, face à l’entrée, le pasteur, Johan Gronelv, était le seul en mesure de voir l’apparition sous le porche de l’église. La jeune fille vêtue de noir sur le seuil. La petite silhouette en contre-jour.

Etait-ce prévu ?

Il n’adressa d’abord aucun signe aux hommes chargés de porter le cercueil. Ceux-ci semblaient comme paralysés. Aucun regard n’était échangé. La flamme des cierges sur l’autel et dans le chœur vacilla. Les mèches noires luttaient pour ne pas s’éteindre.

Le temps peut se mesurer. Encore faut-il pour cela avoir un repère. Et il était hors de question pour ceux qui en avaient une de sortir leur montre. On ne pouvait décemment pas laisser voir que l’on pensait à l’heure dans la maison de Dieu. C’est pourquoi on en guettait d’autant plus le son des cloches.

Jamais personne n’avait assisté à une telle oraison funèbre. Prononcée par une gamine qui plus est. On pouvait se sentir offensé d’un tel sacrilège, ou bien floué en découvrant que, jusqu’à ce jour, on ignorait qui était vraiment la morte. Mais qui aurait pu l’imaginer ? C’était trop incroyable. Trop choquant. En attendant, le temps suivait son cours.

Jusqu’à ce que la petite silhouette sur le seuil se retourne. Le visage semblable à du carton ciré, les yeux grands ouverts. La lumière dans son dos absorbait le roux de sa chevelure, à l’exception des petites mèches sur le devant qui avaient refusé de se laisser emprisonner dans les nattes. Une couronne de barbelé duveteuse et incandescente.

Le pasteur la sonda du regard, puis il fit un signe de tête à l’organiste. Mais avant que la musique ne retentisse, un cri plein d’autorité jaillit depuis le porche.

-Sortez grand-mère Dina ! »

 


Françoise Dolto, une journée particulière
de Caroline Eliacheff
paraîtra le 22 août aux éditions Flammarion

 

Caroline Eliacheff raconte la « journée fictive où tout est vrai » de celle qui voulait depuis toujours devenir un médecin d’éducation et qu’elle a bien connu: elle a assisté aux consultations de Françoise Dolto à la pouponnière d’Antony, avant d’en reprendre le flambeau pendant quinze ans.

 En voici le début:

 « Exceptionnellement, cette nuit-là, Françoise a mal dormi. Boris, son mari, l’a réveillée plusieurs fois sans le vouloir. Sa tête ne marche plus très bien, et son corps aussi le lâche. Sa maladie, c’est la vieillesse. Bien qu’il ait publié son testament professionnel, Le Corps entre les mains, il reste taraudé par l’inquiétude de ne pas avoir tout dit, tout transmis. Boris, le médecin kinésithérapeute de génie chez qui les danseurs et acrobates du monde entier venaient se faire réparer, est tombé en se levant. Ele a dû l’aider, et il n’aime pas ça. Elle non plus d’ailleurs; elle préférait quand il essayait, sans succès, de la rendre jalouse!

De tous les humains qu’elle a rencontrés, il est le plus intelligent et le moins cartésien… Il est russe. Elle devrait peut-être travailler moins et s’occuper davantage de lui, mais il n’en est pas question. Lui, qui a passé sa vie à recevoir des patients, à enseigner, à lire et à s’informer de tout, reste maintenant à la maison entre sa chambre et le salon. Lectures (un peu) et télévision (beaucoup), il ne sort quasiment plus. Depuis que leurs trois enfants devenus adultes sont partis, le salon coupé en deux, où Catherine et son frère aîné Grégoire dormaient autrefois, a retrouvé sa première destination. C’est là qu’on peut voir les statuettes de chouettes en tous genres (effigies de la déesse de la Guerre et de la Défense des cités), cadeau facile pour ceux qui savent que Françoise affectionne cet animal doux et mystérieux qui ne lui ressemble que par un trait physique: les yeux ronds.

Françoise a préparé le petit déjeuner (pain grillé, beurre, confiture de fraises, fruits et café), qu’ils prennent ensemble dans la cuisine, mais le téléphone sonne déjà.

Elle décroche dans le couloir, n’ayant pas eu le temps d’atteindre son bureau. Tiens! C’est la voix de la jeune femme qui l’a réveillée à 2 heures du matin. L’échange avait été bref:

-Madame Dolto, je ne vous connais pas, mais je vous appelle parce que je vais me suicider!

-Ah bon, vous êtes vraiment décidée?

-Oui…

-Mais alors, pourquoi vous m’appelez?

La personne avait raccroché… Françoise s’était rendormie presque aussitôt, tout en pensant qu’elle devrait vraiment mettre sa  ligne téléphonique sur liste rouge. »

 

 

A son image de Jérôme Ferrari
paraîtra le 22 août aux éditions Actes Sud

 

Ce roman en forme de requiem pour une photographe défunte est aussi l’occasion d’évoquer le nationalisme corse, la violence des guerres modernes et les liens ambigus qu’entretiennent l’image, la photographie, le réel et la mort.

En voici le début :

« La dernière fois qu’elle l’avait vu, dix ans plus tôt, il rentrait chez lui et elle l’accompagnait. Depuis que le car de Belgrade les avait déposés à la gare routière, il n’avait pas dit un mot. Et puis il s’était arrêté, toujours en silence, pour s’accouder à la balustrade d’un pont sur le Danube dont les bombardements de l’Otan de 1999 ne laisseraient bientôt subsister que les piliers. Antonia se tenait en retrait, l’appareil photo à la main, et elle le regardait. Il portait un treillis déchiré sur lequel il avait cousu ses galons de sergentet, sous l’insigne de la JNA (armée populaire yougoslave) dissoute, un écusson serbe à l’aigle bicéphale flanqué des quatre sigma lunaires. A ses pieds était posé un grand sac militaire ne contenant rien d’autre qu’une édition hongroise du Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész, le premier volume d’une traduction serbo-croate des œuvres complètes de Bukowski et quelques cassettes de R.E.M. et Nirvana, dont il ne se rappelait même plus la dernière fois qu’il les avait écoutées. Il se tenait la tête dans les mains. Il ne regardait pas les eaux noires du fleuve, le ciel chargé de pluie. En passant près de lui, un groupe de très jeunes gens qui s’avançait sur le pont avait ralenti et éclaté d’un rire incompréhensible en le toisant ostensiblement. Antonia avait pris la photo, la dernière du reportage qu’elle lui avait consacré et qui ne serait jamais publié. Il avait d’abord semblé ne pas réagir. Et puis il avait relevé la tête et Antonia avait vu qu’il pleurait. Il avait ramassé son sac et, alors qu’elle s’apprêtait à le suivre, il l’avait arrêtée d’un signe de la main et elle était restée sur le pont à le regarder s’éloigner jusqu’à ce qu’il eût disparu et qu’il fût trop tard pour d’autres adieux.

Ce vendredi soir d’août 2003, sur le port de Calvi, elle le reconnut immédiatement. Dragan marchait dans sa direction, au milieu de la foule des touristes, avec un autre sous-officier de la Légion étrangère et son uniforme était maintenant impeccable. Elle s’arrêta. Quand il croisa son regard, il lui sourit et vint l’embrasser avec une chaleur qui ne pouvait être feinte. Elle était si troublée qu’elle ne réalisa pas tout de suite qu’il s’adressait à elle en français. Il désigna l’appareil qu’elle portait en bandoulière. Il y a des choses intéressantes à photographier ici ? Elle se mit à rire. Non. Vraiment rien d’intéressant. Elle prenait des photos de mariage, maintenant, et c’était la raison de sa présence à Calvi. Des photos d’alliances. De familles émues. De couples, évidemment, beaucoup de couples, devant des massifs de fleurs, des voitures de luxe ou des couchers de soleil sur la Méditerranée. »

 

Manhattan Beach de Jennifer Egan, traduit de l’anglais par Aline Weill,
paraîtra le 16 août aux éditions Robert Laffont

A presque douze ans, Anna Kerrigan accompagne son père chez Dexter Styles, un homme qui semble crucial à la survie de toute la famille. Derrière sa maison, elle aperçoit l’océan, qui l’émerveille, autant que le mystère pesant qui lie les deux hommes… Des années plus tard, son père a disparu et le pays est en guerre. Un soir, Anna croise de nouveau le chemin de Dexter Styles et commence à comprendre la complexité de la vie de son père.

En voici le début :

« Ils avaient fait tout le chemin jusqu’à la maison de Mr Styles avant qu’Anna s’aperçoive que son père était nerveux. D’abord, elle avait été distraite par le trajet, en filant sur l’Ocean Parkway comme s’ils mettaient le cap sur Coney Island, quatre jour après Noël alors qu’il faisait incroyablement froid pour aller sur la plage. Ensuite, par la maison : un palais de deux étages en brique dorée, avec des fenêtres sur tous les côtés, un claquement bruyant de stores à rayures jaunes et vertes. C’était la dernière maison de la rue, une impasse donnant sur la mer.

Son père gara la Model J en douceur et coupa le moteur.

-Chérie, dit-il, ne louche pas sur la maison de Mr Styles.

-Bien sûr que non.

-Tu le fais, là.

-Non, dit-elle. Je plisse les yeux

-Loucher ou zieuter, c’est pareil.

-Pas pour moi.

Il se tourna soudain vers elle.

-Arrête !

C’est à ce moment-là qu’elle comprit. Elle l’entendit déglutir, la gorge sèche, puis sentit un piaillement d’inquiétude dans son estomac. Elle n’avait pas l’habitude de voir son père anxieux. Distrait, oui. Préoccupé, sans doute.

-Pourquoi il n’aime pas qu’on zieute, Mr Styles ?

-Personne n’aime ça.

-Tu ne me l’as jamais dit.

-Tu veux rentrer dans la maison ?

-Non, merci.

-Je peux te ramener, tu sais.

-Si je zieute ?

-Si tu me donnes la migraine que je sens venir.

-Si tu me ramènes, dit Anna, tu seras affreusement en retard.

Elle crut qu’il allalt la gifler. Il l’avait fait une fois, sa main atteignant sa joue, invisible comme un fouet, lorsqu’elle avait laissé échapper un chapelet de jurons qu’elle avait entendus sur les quais. Le fantôme de cette gifle hantait encore Anna, ce qui avait pour étrange effet de renforcer son audace, par défi.

Son père se frotta le front, puis se tourna vers elle. Sa nervosité avait disparu ; elle l’avait calmé.

-Anna, dit-il. Tu sais ce que j’attends de toi.

-Bien sûr.

-Que tu sois gentille avec les enfants de Mr Styles pendant que je lui parle.

-J’avais deviné, papa.

-Ça ne m’étonne pas.

Elle sortit de la Model J les yeux écarquillés, larmoyants au soleil. Ça avait été leur voiture jusqu’après le krach boursier. A présent, elle appartenait au syndicat, qui la prêtait à son père pour les affaires qu’il lui confiait. Anna aimait l’accompagner quand elle n’était pas à l’école : aux champs de courses, à des repas de communion et des fêtes religieuses, dans des immeubles de bureau où des ascenseurs les propulsaient aux derniers étages – parfois même au restaurant. Mais jamais dans une maison comme celle-ci. »

 

 



La vraie vie
de Adeline Dieudonné paraîtra le 29 août aux éditions de l’Iconoclaste

Le père est chasseur de gros gibier, la mère est transparente, soumises aux humeurs de son mari. Mais un jour, un violent accident vient faire bégayer le présent, et plus rien ne sera jamais comme avant.

 

En voici le début :

« A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petite frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres.

Des daguets, des sangliers, des cerfs. Et puis des têtes d’antilopes, de toutes les sortes et de toutes les tailles, springboks, impalas, gnous, oryx, kobus… Quelques zèbres amputés du corps. Sur une estrade, un lion entier, les crocs serrés autour du cou d’une petite gazelle.

Et dans un coin, il y avait la hyène.

Tout empaillée qu’elle était, elle vivait, j’en étais certaine, et elle se délectait de l’effroi qu’elle provoquait dans chaque regard qui rencontrait le sien. Aux murs, dans des cadres, mon père posait, fier, son fusil à la main, sur des animaux morts. Il avait toujours la même pose, un pied sur la bête, un poing sur la hanche et l’autre main qui brandissait l’arme en signe de victoire, ce qui le faisait davantage ressembler à un milicien rebelle shooté à l’adrénaline du génocide qu’à un père de famille.

La pièce maîtresse de sa collection, sa plus grande fierté, c’était une défense d’éléphant. Un soir, je l’avais entendu raconter à ma mère que ce qui avait été le plus difficile, ça n’avait pas été de tuer l’éléphant. Non. Tuer la bête était aussi simple que d’abattre une vache dans un couloir de métro. La vraie difficulté avait consisté à entrer en contact avec les braconniers et à échapper à la surveillance des gardes-chasse. Et puis prélever les défenses sur la carcasse encore chaude. C’était une sacrée boucherie. Tout ça lui avait coûté une petite fortune. Je crois que c’est pour ça qu’il était si fier de son trophée. C’était tellement cher de tuer un éléphant qu’il avait dû partager les frais avec un autre type. Ils étaient repartis chacun avec une défense.

Moi, j’aimais bien caresser l’ivoire. C’était doux et grand. Mais je devais le faire en cachette de mon père. Il nous interdisait d’entrer dans la chambre des cadavres.

C’était un homme immense, avec des épaules larges, une carrure d’équarisseur. Des mains de géant. Des mains qui auraient pu décapiter un poussin comme on décapsule une bouteille de Coca. En dehors de la chasse, mon père avait deux passions dans la vie : la télé et le whisky. Et quand il n’était pas en train de chercher des animaux à tuer aux quatre coins de la planète, il branchait la télé sur des enceintes qui avaient coûté le prix d’une petite voiture, une bouteille de Glenfiddich à la main. Il faisait celui qui parlait à ma mère, mais, en réalité, on aurait pu la remplacer par un ficus, il n’aurait pas vu la différence. »

 

 


Swing Time
de Zadie Smith, traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson, paraîtra le 16 août aux éditions Gallimard

Deux petites filles métisses d’un quartier populaire de Londres se rencontrent lors d’un cours de danse. Elles se perdront de vue avant de se retrouver des années plus tard…. Un roman, le cinquième de Zadie Smith, très attendu.

En voici le début :

« Ce fut le premier jour de mon humiliation. Mise dans un avion, renvoyée en Angleterre, installée dans un appartement à St John’s Wood, au huitième étage, qui donnait sur le terrain de cricket. L’endroit avait été choisi, je crois, à cause du concierge, qui éconduisait les curieux. Je restai enfermée. Le téléphone sur le mur de la cuisine sonna et sonna, mais j’avais pour consigne de ne pas répondre et de laisser mon portable éteint. Je regardai un match de cricket, un sport dont je ne connais pas les règles, ce qui ne me changea pas vraiment les idées, mais c’était toujours mieux que d’observer l’intérieur de cet appartement de luxe, entièrement conçu pour être d’une neutralité parfaite, où chaque angle était arrondi, à l’instar d’un iPhone. Lorsque le match s’acheva, j’examinai l’élégante machine à café encastrée dans le mur, et les deux photos de Bouddha – l’un en bronze, l’autre en bois -, et le cliché d’un éléphant s’agenouillant près d’un petit garçon indien, lui aussi à genoux. Les pièces, décorées avec goût dans les tons gris, étaient reliées par un couloir recouvert d’une moquette en laine tissée plat immaculée. Je fixai les stries du revêtement.

Deux jours se déroulèrent ainsi. Le troisième jour, le concierge appela pour dire que la voie était libre. Je jetai un coup d’œil à mon téléphone, posé sur le comptoir en mode avion. J’étais restée injoignable durant soixante-douze heures, et je me souviens avoir eu le sentiment que cela aurait dû être considéré comme un remarquable exemple de stoïcisme et d’endurance morale de notre époque. J’enfilai ma veste et descendis. Dans le hall, je croisai le concierge. Il en profita pour se plaindre amèrement (« Vous n’avez pas idée de comment c’était ici, ces derniers jours – on se serait carrément cru à Picadilly Circus ! »), même s’il semblait évident qu’il était partagé, voire un peu déçu : il regrettait que l’agitation soit retombée – il s’était senti très important l’espace de quarante-huit heures. Il m’annonça fièrement avoir conseillé à plusieurs personnes de « se secouer », avoir dit à tel ou tel qu’ « ils se mettaient le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate » s’ils croyaient pouvoir passer. Je m’appuyai contre son comptoir et l’écoutai déblatérer. J’avais quitté l’Angleterre suffisamment longtemps pour que de simples expressions familières me semblent exotiques, presque incompréhensibles. Je lui demandai s’il pensait qu’il y aurait plus de monde le soir et il répondit que non, il n’y avait eu personne depuis la veille. »

 

 


Onze jours de Lea Carpenter, traduit de l’anglais par Anatole Pons
paraîtra le 6 septembre aux éditions Gallmeister

Pennsylvanie, mai 2011. Sara apprend que son fils Jason, parti combattre avec les forces spéciales américaines, est porté disparu en Afghanistan. Confrontée à l’interminable attente, elle plonge dans ses souvenirs…

En voici le début :

« Dans la chambre, Sara cherche ses chaussures de course. Elle ne les a pas portées depuis un moment ; elle a l’impression de ne jamais avoir le temps, alors qu’elle ne sait plus exactement ce qui remplit ses journées, à part l’attente. Les voisins lui apportent leurs nouvelles soupes, et elle fait semblant de les apprécier, mais dès qu’ils sont partis elle les vide dans l’évier en inox brillant.

Elle sort un vieux T-shirt de l’Académie navale et se dirige vers la porte. Là où ils vivent à présent, l’allée est longue, presque huit cents mètres, et elle connaît un bon parcours pour aujourd’hui. En traversant le jardin de la ferme d’à côté, elle peut récupérer un chemin au bout de leur potager. Et par ce chemin elle peut gagner leur étang, où elle a déjà pêché une fois, et rejoindre la route principale. La route principale conduit à un bois, et de l’autre côté du bois se trouve l’autoroute. C’est là qu’elle peut faire demi-tour. Jardin, chemin, route principale, autoroute. Si elle arrive essoufflée à l’autoroute, elle est sûre de pouvoir rentrer en stop. Elle est devenue une sorte de célébrité à présent. Tout le monde veut l’aider.

Depuis longtemps, elle a pris l’habitude de porter un bonnet quand elle court. Lorsqu’elle l’enfile, elle regarde les lacets que son fils lui a laissés la dernière fois qu’il est venu. Ils sont d’un rouge éclatant. « Courir, c’set fun, maman, lui a-t-il dit. Ne prends pas ça autant au sérieux. » Il l’appelle toujours maman même si c’est un homme aujourd’hui. Il a vingt-sept ans. Il est porté disparu depuis neuf jours. Enfant, il jouait avec des cuillères, pas des armes, même s’ils en avaient aussi chez eux. Son père lui avait acheté comme cadeau de naissance un Boss calibre 16 fabriqué pendant l’entre-deux-guerres. « Il doit apprendre à ne pas avoir peur d’en tenir un », avait-il dit. Mais les cuillères le captivaient. Il aimait les disposer en rang sur le sol. Pour son troisième anniversaire, un de ses parrains lui avait offert une grande boîte métallique de cuillères en plastique multicolores, et très vite l’expression « boîte à cuillères » était devenue synonyme de tous les enchantements, comme par exemple (en regardant du football) : « Cette passe était meilleure qu’une boîte à cuillères » ; ou bien (le matin de Noël) : « Il n’y a rien que j’aime autant que les guirlandes, à part une boîte à cuillères ». Pour ses cinq ans, son père lui avait envoyé une petite cuillère en argent. Dessus étaient gravées la date et cette phrase : TU N’ES PAS NE AVEC. »

 

Le prince à la petite tasse d’Emilie de Turkheim
paraîtra le 16 août aux éditions Calmann Levy

En décembre 2016, Emilie de Turkheim et son compagnon décident d’accueillir un réfugié dans leur appartement et dans leur vie. Elle raconte leur année passée avec Reza, un jeune Afghan…

 

En voici le début :

« Un jour, j’ai dit : « Ils sont des milliers à dormir dehors. Quelqu’un pourrait habiter chez nous, peut-être ? »

Et Fabrice a dit : « Oui, il faudra juste acheter un lit. »

Et notre fils Marius a dit : « Faudra apprendre sa langue avant qu’il arrive. »

Et son petit frère Noé a ajouté : « Faudra surtout lui apprendre à jouer aux cartes, parce qu’on adore jouer aux cartes, nous ! »

Quelques semaines plus tard, Reza est arrivé chez nous. Que voulait dire, pour lui, « arriver chez nous » ? Avait-il imaginé nos visages, comme j’ai essayé, pendant des semaines d’imaginer le sien ? La nuit, je faisais sans cesse le même rêve absurde. J’ouvrais la porte et il entrait, avec son béret traditionnel en laine, son sourire irrésistible et ses yeux en amande, triste et heureux : c’était le commandant Massoud.

Deux semaines avant son emménagement, Reza est venu prendre le thé à la maison. Que faisions-nous, ce jour-là, pour tuer le temps ? Je ne sais plus vraiment. Nous tournions un peu en rond. Nous étions excités et impatients. Inquiets, aussi. Mais de cette inquiétude confiante qui précède les grands voyages.

Les enfants avaient repéré l’Afghanistan sur la carte du monde épinglée au mur de leur chambre. Noé m’avait dit : « Je te préviens, maman, c’est super loin ! » Et Marius avait énuméré les pays limitrophes, en les touchant du bout de l’index : le Pakistan, le Tadjikistan, l’Iran, le Turkménistan et la Chine, qui ne partage que quelques dizaines de kilomètres de frontière avec l’Afghanistan.

Parce que nous ne savions rien de Reza, Fabrice et moi avions demandé aux enfants de ne pas lui poser de questions personnelles pendant ce premier rendez-vous. Peut-être avait-il perdu des membres de sa famille au cours de la guerre et de sa longue fuite jusqu’en Europe.

Qu’a ressenti Reza à la seconde où nous nous sommes rencontrés ? Retrouvés tous les cinq dans le salon pour la première fois ? Il avait l’air anxieux et terriblement épuisé. Son visage anguleux était luisant de sueur. Si je n’avais pas su qu’il avait vingt et un ans, je lui en aurais donné quarante.

J’avais acheté un cake au citron à la boulangerie, et nous attentions notre futur hôte, sagement assis sur le canapé du salon, devant le gâteau encore emballé. J’avais préparé deux chaises : une pour Reza et une pour la jeune femme du Samu social qui l’accompagnait.

J’ai presque tout oublié de cette première rencontre. Un seul mot me vient à l’esprit : qui-vive. »

 

 

Les prénoms épicènes d’Amélie Nothomb paraître le 23 août aux éditions Albin Michel

 

« Les prénoms épicènes » d’Amélie Nothomb paraître le 23 août aux éditions Albin Michel

En quatrième de couverture : « La personne qui aime est toujours la plus forte. » C’est tout. Pas d’autre solution donc que de le lire pour savoir quelle est la nouvelle marotte de l’inventive Amélie.

En voici le début :
« Il ne décolère pas. Décolérer est ce verbe qui ne tolère que la négation. Vous ne lirez jamais que quelqu’un décolère. Pourquoi ? Parce que la colère est précieuse, qui protège du désespoir.
Trois heures plus tôt, il n’y avait pas heureux comme lui.
-Tu es la plus belle. A cause de toi, toutes les autres sont laides. Non. A cause de toi, les autres femmes n’existent pas.
-Il faudra pourtant t’y habituer.
-Cinq ans que nous faisons l’amour et nous n’avions jamais été si haut. As-tu déjà entendu parler d’une pareille histoire ?
-Non.
-Tu t’appelles Reine. Au début, ton prénom me terrifiait. A présent, je ne supporterais pas que tu te nommes différemment. Reine, c’est tellement toi. Reste dans mes bras, mon amour.
-Je ne peux pas.
-Où vas-tu ?
-Je vais me marier.
-Très drôle.
-Ce n’est pas une plaisanterie. J’épouse Jean-Louis dans deux jours.
-Qu’est-ce que tu racontes ?
-Jean-Louis. Tu le connais.
-C’est moi que tu aimes. C’est moi que tu veux épouser.
-Quand mes parents se sont mariés, ils s’aimaient d’amour fou. Ils ont eu une vie médiocre. Maintenant, ma mère sert de bonniche à mon père. Très peu pour moi.
-Avec moi, tu n’auras pas une vie médiocre.
-Nous sommes ensemble depuis cinq ans. A part l’amour, tu n’as rien fait.
-Tu ne t’en es pas plainte.
-Ne sois pas vulgaire. Jean-Louis devient numéro deux d’une énorme compagnie d’électronique. Il m’emmène à Paris.
-Paris !
-Oui, Paris. L’excellence, la grande vie. Ce dont j’ai toujours rêvé. Combien de fois t’ai-je dit que je voulais quitter ce patelin ?
-Je n’ai que vingt-cinq ans.
-Et moi, j’ai déjà vingt-cinq ans. Je n’en peux plus d’attendre. »

 

 La neuvième heure d’Alice McDermott, traduit de l’anglais par Cécile Arnaud, paraître le 23 août aux éditions Quai Voltaire

Jim agite doucement la main en refermant la porte derrière sa femme Annie qu’il a envoyée faire des courses. A son retour, c’est un miracle si Annie ne fait pas sauter la maison entière en craquant une allumette dans l’appartement rempli de gaz.

En voici le début :

« Le 3 février fut une journée sombre et pluvieuse de bout en bout : un crachin froid le matin, un ciel bas et plombé jusqu’à la fin de l’après-midi.

A seize heures, Jim persuada sa femme d’aller faire ses courses avant la nuit noire. Il agita doucement la main en refermant la porte derrière elle. Son front se dégarnissait et il lui manquait une canine du côté droit, mais c’était néanmoins un bel homme qui, à trente-deux an, aurait encore pu prétendre en avoir vingt. Il avait des sourcils épais et des yeux enfoncés bordés de cils noirs qui faisaient chavirer les femmes depuis qu’il avait seize ans. Même s’il était devenu chauve et édenté, ce à quoi il semblait destiné, il aurait pu compter sur ses yeux jusqu’à un âge avancé.

Son pardessus était pendu au portemanteau près de la porte. Il le prit et le roula contre ses cuisses dans le sens de la longueur. Puis il le posa sur le seuil en glissant comme il put le bas du vêtement et les manches dans l’interstice sous la porte. Leur appartement était en enfilade : cuisine au fond, salle à manger, salon et chambre devant. Il lui suffit de pousser le lourd canapé de quelques dizaines de centimètres le long du mur pour empêcher sa femme de rentrer. Il grimpa sur l’assise pour vérifier que la vitre de l’imposte au-dessus de la porte était bien fermée. Puis il sauta à terre, rajusta la dentelle sur le dossier du canapé et effaça l’empreinte légère laissée par son pied sur le coussin en crin de cheval.

Dans la cuisine, il colla sa joue contre l’émail froid de la cuisinière et passa la main dans l’étroit espace entre l’appareil et le mure jaune. Il tâtonna un peu. Il y avait, ou il y avait eu, une tapette à souris derrière, ce qui l’incitait à la prudence. Il trouva le tuyau en caoutchouc qui reliait le four au robinet du gaz et tira dessus aussi vigoureusement qu’il put, compte tenu de l’espace exigu. Il y eut le pop attendu, suivi d’un sifflement bref. Il se redressa, le tuyau à la main. La fenêtre de la cuisine donnait sur la cour grise où, quand il faisait meilleur, des rangées de vêtememnts prenaient le soleil, bien que le sol de la profonde cour, même par temps radieux, fût une jungle jonchée d’ordures. Il y avait des rats, des ressorts de matelas et des cageots cassés. Une friche urbaine : un arbre malingre, des plantes rampantes noires, une vélléité de jardin vite avortée. »

 

Capitaine  d’Adrien Bosc paraîtra aux éditions Stock le 22 août

Le 24 mars 1941, le Capitaine-Paul-Lemerle quitte le port de Marseille, avec à son bord les réprouvés de la France vichyste, les immigrés de l’Est, les républicains espagnols en exil, les juifs et apatrides, les surréalistes… On y croise André Breton et Claude Levi-Strauss, Anne Seghers et Aimé Césaire.

En voici le début :

« Il y a longtemps, un soir, je ne sais plus vraiment quand, un ami me lançait à la sortie d’un café, ivre et l’air faussement sévère : « Nous ne pouvons connaître le goût de l’ananas par le récit des voyageurs. » Nous étions au beau milieu d’une ruelle du Xe arrondissement de Paris, quelque part entre la rue de la Grange-aux-Belles et la rue Saint-Maur, éméchés, et je me souviens de m’être arrêté, avoir ri, puis avoir poursuivi mon chemin, du côté de Belleville. J’habitais un immeuble à l’angle de la rue de la Fontaine-au-Roy et de la rue du Moulin-Joly, au carrefour de deux quartiers, le bâtiment faisait face à un garage désaffecté de plusieurs étages, il était nu de part et d’autre de la courette, de tele sorte que, de loin, il évoquait la proue d’un paquebot. Un appartement en location que nous nous léguions entre frères, sans en changer ni le bail ni le loyer, depuis dix ans environ. Le dernier accueillait le suivant, puis laissait sa place au cadet, et ainsi de suite. Le deux pièces était meublé d’affaires glanées au hasard des déambulations de chacun, des travaux engagés pour la fratrie – une bibliothèque aménagée dans l’entrée, un coffre au plafond, un fauteuil en cuir surnommé le vide-poche, un mannequin de boutique de fringues sans fringues, un drapeau tricolore enlevé à l’entrée d’une mairie ou bien encore une enseigne lumineuse d’un restaurant chinois dont il manquait une lettre sur deux. Nous avions accroché à la fenêtre de la cuisine un tricycle rose ramassé un soir de cuite, et depuis lors l’immeuble-bateau arborait un jouet en figure de proue. J’étais rentré tard, avant de m’endormir, j’avais griffonné sur un bout de papier la phrase de cet ami.

Nous ne pouvons connaître le goût de l’ananas par le récit des voyageurs.

J’aime ces formules sèches qui disent tout mais ne disent rien, maximes un peu vaines qu’il suffit d’inverser pour en saisir la vacuité, paradoxes épinglés au-dessus d’un bureau. A vrai dire, c’est exactement ce que je fis à mon réveil, je l’épinglai au-dessus de mon bureau, au mur de plaques de liège, entre une photographie de Walter Benjamin achetée à la librairie allemande Marissal Bücher (aujourd’hui disparue) et un aphorisme d’Ambrose Bierce – Une patte de lapin peut vous porter chance, mais elle ne l’a pas portée au lapin. J’oubliai la phrase, elle m’accompagnait pourtant. Lors d’un déménagement, je retrouvai dans une enveloppe kraft une série de polaroids, des cartes postales et des bouts de papier, elle s’y trouvait, au dos j’avais noté une date : 12 juin 2004. »

 

 

Janet de Michèle Fitoussi paraîtra le 12 septembre aux éditions Lattès

Janet Flanner fut correspondante à Paris du « New Yorker » pendant un demi-siècle. Au fil des pages, on croise Hemingway, Nancy Cunard, Sylvia Beach, Gertrud Stein… La biographie d’une femme, mais aussi celle d’une époque flamboyante.

En voici le début : 

« Le jardin s’épanouit sous le soleil de cette fin d’été. Les soucis jaunes sont gros comme des pommes, les dahlias, d’une rare beauté, annoncent le changement de saison. Et les roses, cette profusion de roses. On dirait une tapisserie aux couleurs désassorties. Elles poussent n’importe comment, ici un buisson de pétales écarlates, là un gigantesque arbuste corail accroché à la grange, elles se déploient en guirlandes rouges et blanches sur le mur de pierres qui clôt la maison.

Ce n’est pas une année à fruits, se lamentent les fermières, et c’est tant mieux pense Janet dont le regard  s’échappe au-delà de la fenêtre. Elle aime les fleurs, d’un plaisir enfantin. Béni soit Dieu de les avoir créées. Il aurait pu s’en tenir aux légumes.

Comment rendre justice à tant de splendeur ? Janet Flanner s’enferme dans sa chambre tous les après-midi, mais elle peine à décrire les roses. Du reste, elle peine à écrire tout court, les mots sèchent au bout de sa plume, rien ne vient. Des piles de journaux annotés jonchent le sol autour d’elle, les coupures remplissent ses tiroirs ouverts. Sur son bureau, des liasses de feuillets biffés, deux cendriers débordant de mégots, un pot rempli de crayons bicolores bien taillés, quelques photos. Et puis, fraîchement cueillis, des pois de senteur d’un mauve délicat ouvrent leurs corolles dans un vase de porcelaine anglaise.

Ce désordre quotidien signale sa présence. Janet ne peut pas travailler sans ces objets éparpillés, ils sont les repères de sa vie de nomade. En juin, après son angine de poitrine, elle est revenue à Orgeval, veillée par Noël qui se transforme en dragon quand elle allume une cigarette ou se sert un deuxième Martini avant le dîner. Janet promet d’être raisonnable, mais elle fume en cachette et laisse la fenêtre entrouverte, même sous l’orage, pour chasser l’odeur du tabac. 

La fatigue l’a obligée à renoncer à la machine, elle qui tapait avec deux doigts et la vitesse de cinquante ans de pratique. Le stylo offert par Natalia la remplace moins avantageusement, mais la plume glisse sans effort sur le papier couvert de sa large écriture anguleuse, au tracé désormais tremblé. Sa vue a baissé, son énergie aussi, sa mauvaise santé ne l’encourage pas à travailler. Elle n’a rien envoyé depuis des mois au New Yorker, elle ne sait plus si elle en est encore capable. »

 

 

 

 

Rivière tremblante de Andrée A. Michaud paraîtra le 19 septembre aux éditions Rivages

Alors que Marnie et Michael sont partis jouer dans les bois, ce dernier disparaît sous les yeux de son amie. Personne ne veut croire qu’elle n’est pas responsable. Des années plus tard, la petite Billie disparaît sur les quelques mètres allant de son école à son cours de danse… Les policiers soupçonnent le père, dévasté.


En voici le début:

«La nuit tombait sur Rivière-aux-Trembles. Dans le cimetière planté d’érables, mon père dormait dans le brouillard soulevé par le redoux des derniers jours, au terme duquel février couvrirait de nouveau le sol d’une couche de glace où se figeraient les cailloux et les bouts de branches sectionnés par le gel. Derrière le cimetière, sur la colline des Loups, stagnait un nuage dont la densité laissait croire qu’il pleuvait sur la colline, seulement là, au milieu des sapins noirs. Les derniers oiseaux du jour finissant lançaient des notes solitaires dans l’air saturé de silence, et moi, je demeurais immobile, à me demander que faire de cette sombre beauté coincée entre la mort et la proche obscurité.

Toute la journée, j’avais marché sur les petites routes boueuses qui menaient au vilage ou nous en éloignaient, selon qu’on avait envie de rentrer à la maison ou de fuir la tristesse des endroits délaissés. Après des heures d’épuisement, les mains et les pieds gelés, je m’interrogeais toujours, incapable de déterminer quelle direction je désirais prendre. Je n’étais revenue à Rivière-aux-Trembles que pour rendre un dernier hommage à mon père et déposer sur son cercueil, dans la chapelle où il serait enfermé jusqu’au printemps, quelques Mary-Jean, ses roses préférées, dont le rapide étiolement me permettrait d’envisager la mort pour ce qu’elle était, un nouvel état de la matière. Car la mort n’était que cela, une transformation de la chair et du sang, voilà ce que je me répétais pour ne pas penser à la fin de toute chose et de tout homme. Le corps de mon père s’était vidé de sa pensée pour atteindre une nouvelle forme de communion avec le monde, un état où la perception de la lumière, de la chaleur et du froid ne serait entravée ni par la douleur ni par la conscience.

Mais que savais-je de la douleur de la matière et des états d’âme de la pourriture? J’imaginais de possibles résurrections, des réincarnations excluant la souffrance parce que je refusais d’envisager la mort comme un état définitif et immuable. La disparition de mon père m’obligeait à penser que j’allais disparaître aussi et à me demander ce que je faisais là, arrêtée au milieu d’une vie dont la conclusion, comme celle de toute autre vie, serait sans appel. Je m’étais promis de repartir sitôt la cérémonie funèbre terminée et de ne jamais remettre les pieds à Rivière-aux-Trembles, mais le sentiment de n’en avoir plus pour si longtemps bouleversait tous mes plans. Contre toute attente, je ne me sentais par la force de m’arracher au décor de ce village où s’était brutalement achevée mon enfance.»

 

 

 

Le malheur du bas d’Inès Bayard paraîtra le 23 août aux éditions Albin Michel

Dans ce premier roman, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. Un livre dont on parle déjà beaucoup avant même sa parution.

En voici le début :

« Le petit Thomas n’avait pas eu le temps de finir sa compote. Sa mère ne lui avait laissé aucune chance. La vitesse à laquelle le poison s’était diffusé dans son sang lui avait simplement permis de ne pas trop souffrir au moment de mourir. Seul le corps de Marie était resté droit, solidement enfoncé dans le dossier de sa chaise, la tête basculée vers l’arrière. Sûrement avait-elle lutté pour qu’on le remarque. Laurent avait été le premier servi. En découvrant ces trois corps livides et figés autour de la table, peu de personnes auraient pu imaginer la chaleur des rires envahir la pièce quelques secondes avant que le drame ne se produise.

Marie n’avait éprouvé aucun remords et, en dehors de son geste final, il n’y avait aucune trace de violence physique. Chaque objet était resté à sa place habituelle, les odeurs épicées et aigres du repas flottaient encore dans la cuisine, les serviettes en tissu à peine tachées, la carafe d’eau fermement posée au centre de la table. Toujours installé sur son rehausseur, le visage de l’enfant s’était renversé dans son assiette contenant les derniers restes qu’il ne voulait pas finir. Ses petits doigts potelés pendaient dans le vide. Les poings de Marie étaient, eux, posés à plat. Il n’avait existé qu’un seul drame dans sa vie, suffisamment fort pour passer à l’acte. Son visage semblait enfin apaisé. Ses traits s’étaient relâchés, son corps entièrement libéré de toute souffrance inutile. Elle était enfin devenue la femme de la situation. Une de celles qui parviennent à maîtriser leur propre histoire. Son mari avait beaucoup souffert. Il avait senti ses poumons se remplir de sang, sa respiration ralentir et son larynx se bloquer par les convulsions de sa chair humide. Tombé de sa chaise, il avait rampé pendant de longues minutes, crachant des litres de sang et de vomi sur le carrelage blanc de la cuisine. Mais il n’était pas mort. Seul survivant, il fut évacué quelques heures plus tard en urgence, toujours entre la vie et la mort. »

 

Trancher de Amélie Cordonnier paraîtra le 29 août aux éditions Flammarion

Cela faisait des années qu’elle croyait Aurélien guéri de sa violence, que ses paroles lancées comme des couteaux n’avaient plus déchiré leur quotidien. Mais il a rechuté. Pourra-t-elle encore supporter tout ça ?

En voici le début :

« C’est revenu sans prévenir. C’était un de ces week-ends de septembre que tu préfères. Vous aviez décidé de le passer tous les quatre à Cabourg, dans la petite maison héritée de Josette, la grand-mère d’Aurélien. L’adorable vieille dame, un peu foutraque, l’avait baptisée « La bicoque ». A sa mort, Aurélien t’avait proposé de repousser les avances des agents immobiliers et de tout refaire. Tu avais dit oui, évidemment. Il y avait du pain sur la planche car la chaumière n’avait jamais été rénovée en quarante ans. Il avait fallu trier et beaucoup jeter. Josette avait engrangé un nombre incalculables de figurines en tous genres, recouvertes de poussière. La collection de bateaux, celle de chats en porcelaine, de cœurs, de canards en bois, de poupées anciennes et de boules de neige. Il a fallu des litres d’huile de coude et près de quatre-vingts sacs-poubelle pour faire place nette. Un vrai crève-cœur de devoir se séparer de tout ça. Tu avais suggéré à Aurélien de garder un exemplaire, mais pas plus, de chacune des collec’ de Josette. Pour la famille des nains de jardin, vous aviez toléré une entorse à la règle. Trois d’entre eux trônent aujourd’hui encore dans la cuisine ouverte sur le salon. C’est sous leur œil goguenard et leur mine renfrognée que tout a éclaté.

Il est 10 heures, ce matin-là. Le soleil darde à travers les larges baies vitrées qui remplacent les fenêtres vétustes de Josette. Le décor n’a rien à envier à celui de la famille Ricoré. A l’exception des carreaux, sales comme jamais. « Dégueu ! » s’exclame Romane, dans un sourire impertinent, en les pointant du doigt, avant d’expliquer à son frère : « Dégueu, on a le droit de le dire, mais pas dégueulasse. » Tu ris. Peu importe la crasse, tu t’es promis de ne pas passer le dimanche à faire le ménage. Ta tasse de thé refroidit devant le jeu des différences. Il en reste trois à trouver et Romane se désespère, tandis que Vadim, installé en face de vous, peine à résumer La Fortune des Rougon. Il y a bien assez de place pour que tout le monde s’étale. Livres cornés, gommes, cahiers, feuilles, fiches, feutres, classeurs, effaceurs et crayons de couleur s’amoncellent sur la longue table de ferme où tu ne t’assois jamais sans une pensée pour Josette qui y enchaînait jadis les grilles de mots croisés, emmitouflée dans son châle rose. »

 


Dix-sept ans
d’Eric Fottorino paraîtra le 16 août aux éditions Gallimard

Après avoir écrit deux récits sur son père adoptif et son père biologique, Eric Fottorino consacre un roman à sa mère, qui s’est battue pour garder cet enfant qu’elle a eu à dix-sept ans, mais avec lequel les relations furent compliquées. Au fil de sa quête, le narrateur va la redécouvrir…

 

En voici le début :

« Un dimanche de décembre, ma mère nous a invités à déjeuner chez elle. Ses trois fils, nos compagnes, notre ribambelle d’enfants. Je n’étais plus revenu ici depuis la mort de papa. Depuis la fin des temps. Je n’ai jamais aimé cette maison. Mes parents l’avaient acquise au début des années quatre-vingt, peu avant leur rupture. Un achat bizarre et même incompréhensible. La vaine poursuite d’un rêve bucolique. Ils disaient que la future voie rapide mettrait La Rochelle à vingt minutes. Que la circulation serait déviée. Qu’on n’entendrait plus la rumeur de la nationale, le chassé-croisé des camions, tard dans la nuit.

Quand l’endroit fut calme enfin, il ne restait plus rien de nous.

Ma mère était partie vivre à Nice. J’étudiais déjà le droit à Bordeaux. Mes jeunes frères avaient migré chez notre tante de Royan. Seul mon père avait tenu bon. Mais il s’était replié dans la partie réservée à son cabinet, avec le couloir minuscule qui lui servait de salle d’attente et la nuit, de chambre à insomnies sur le canapé avachi. Les autres pièces étaient retombées dans une obscurité menaçante qui masquait le délabrement général. Au fil des mois, il avait laissé la maison couler, à l’image de son couple naufragé. On avait tous fichu le camp, les femmes et les enfants d’abord. Lui avait joué les capitaines du Titanic avant de se tirer une balle dans la tête sur le siège passager de son antique Lada, à force de solitude trop appuyée. La veille, notre père avait pris soin de nous écrire, à nous ses fils, une lettre brève pour chacun, signée de son nom en pattes de mouches, Michel Signorelli. Sans doute le courage lui avait-il manqué d’écrire « papa ». Puis il avait accompli son geste hors de la maison. Ce fut sa dernière attention. Y compris envers maman qui put se réinstaller sur place après de longues années passées sur la Côte d’Azur. Il lui avait épargné la hantise de voir un fantôme derrière chaque porte. »

 

 


La femme à part
de Vivian Gornick paraîtra le 5 septembre aux éditions Rivages

Elle s’est fait repérer du public français il y a près de deux ans avec « Attachement féroce », dans lequel elle évoquait sa mère. Elle revient aujourd’hui avec un nouveau récit autobiographique, raconté par une femme qui déambule dans Manhattan et s’interroge sur ce qui a fait d’elle une personne à part.

En voici le début:

« Leonard et moi prenons un café dans un restaurant Midtown.

«Alors, dis-je, que penses-tu de ta vie ces derniers temps?

-J’ai l’impression d’avoir un os de poulet coincé dans la gorge. Je suis aussi incapable de l’avaler que de le recracher. Pour le moment, j’essaye juste de ne pas m’étouffer avec. »

Mon ami Leonard est un homme gay et spirituel, qui sait évoquer son propre malheur avec subtilité. Cette finesse est grisante. Un jour, plusieurs d’entre nous avions lu les mémoires de Georges Kennan et nous nous étions retrouvés pour en discuter.

« Un homme cultivé et poétique », dit l’un.

« Un guerrier froid saisi par la nostalgie », affirme un autre.

« Des passions faibles, des ambitions fortes, et un sens exacerbé de sa présence au monde », dit un troisième.

« C’est un homme qui m’a humilié toute ma vie durant », proclama Leonard.

L’avis de Leonard fit renaître en moi le frisson de l’histoire révisionniste – ce sens du drame apprivoisé, qui fait regarder le monde uniquement à travers les yeux de ceux qui se pensent lésés -, et me rappela pourquoi nous étions amis.

Leonard et moi partageons le même goût pour la politique du préjudice. Le sentiment exalté d’être né dans un ordre social préétabli et injuste flambe en nous. Notre sujet, c’est la vie non vécue. Aurions-nous fabriqué cette injustice si elle n’avait pas été préexistante et prête à l’emploi – il est gay, je suis la femme à part -, afin que nos griefs trouvent une cible? Notre amitié est tout entière consacrée à cette interrogation. En fait, cette question définit notre lien, lui offre ses contours et son langage. Elle a davantage éclairé la mystérieuse nature des rapports humains ordinaires que toutes les relations que j’ai pu avoir.

Depuis plus de vingt ans, Leonard et moi nous retrouvons une fois par semaine pour une promenade, un dîner et un film, dans son quartier ou le mien. Mis à part pendant les deux heures passées au cinéma, il est rare que nous fassions autre chose que parler. Il y en a toujours un pour dire: allons assister à tel spectacle, tel concert, telle lecture, mais ni lui ni moi ne semblons capable de prévoir la rencontre suivante. Nos conversations sont plus satisfaisantes que toutes celles que nous avons pu connaître, et il nous est insupportable d’en être privés plus d’une semaine… »



L’arbre monde de Richard Powers,
traduit de l’anglais par Serge Chauvin, paraîtra le 6 septembre aux éditions du Cherche Midi

Après des années passées seule à étudier les arbres, la botaniste Pat Westerford en revient avec une découverte sur ce qui est peut-être le premier et le dernier mystère du monde : la communication entre les arbres…

En voici le début :
« Voici venu le temps des châtaignes.

Les gens lancent des cailloux sur les troncs géants. Les châtaignes tombent tout autour en grêle divine. Cela se produit en d’innombrables lieux ce dimanche, de la Géorgie au Maine. A Concord, Thoreau y participe. Il a l’impression de jeter des pierres sur une créature consciente, d’une conscience moins affûtée que la sienne, mais malgré tout du même sang. Les vieux arbres sont nos parents, et les parents de nos parents, peut-être bien. Si l’on veut apprendre les secrets de la Nature, il faut se montrer plus humains…

A Brooklyn, sur Prospect Hill, le nouvel arrivant, Jorgen Hoel, rit de l’averse que produisent ses frappes. Chaque fois que son caillou fait mouche, la nourriture se répand par pelletées. Les hommes se ruent comme des voleurs pour remlir casquettes, sacs et revers de pantalon de châtaignes délivrées de leur bogue. Le voici, le festin de légende, la table ouverte de l’Amérique : encore une bénédiction, la manne d’un pays dont même les miettes viennent du banquet de Dieu.

Le Norvégien et ses amis des chantiers navals de Brooklyn mangent leur récolte grillée à de grands feux de camp dans une clairière des bois. Les fruits calcinés sont indiciblement réconfortants : sucrés et savoureux, riches comme une pomme de terre au miel, à la fois terrestres et mystérieux. Les bogues piquent les doigts, mais leur Non est plus une incitation taquine qu’un réel obstacle. Les châtaignes veulent échapper à leur protection épineuse. Chacune se porte volontaire pour être mangée, afin que d’autres puissent se répandre dans les champs.

Ce soir-là, ivre de châtaignes grillées, Hoel demande la main de Vi Powys, une Irlandaise qui vit dans les baraquements en pin à deux rues de son immeuble, à la lisière du quartier finlandais. Personnes dans un rayon de cinq mille kilomètres n’a le droit d’objecter. Ils se marient avant Noël. Dès février, ils sont américains. Au printemps, les châtaigniers fleurissent de nouveau, en longs chatons hirsutes agités par le vent comme l’écume blanche des eaux glauques de l’Hudson.

Avec la nationalité survient l’appétit d’un monde encore intouché. Le couple rassemble ses biens transportables et fait le voyage à travers les grandes étendues de pin blanc de l’Est, les forêts de bouleaux noirs de l’Ohio, les trouées de chênes du Middle West, jusqu’à la colonie située près de Fort  Des Moines, dans l’Etat de l’Iowa fraîchement créé, où les autorités cèdent la terre cadastrée d’hier à quiconque voudra la cultiver. Leurs plus proches voisins sont à trois kilomètres. Ils labourent et plantent une vingtaine d’hectares la première année. Maïs, pommes de terre et haricots. Le travail est brutal, mais il leur appartient. C’est mieux que de construire des navires pour la marine, quel que soit le pays.

Puis vient l’hiver de la prairie. Le froid met à l’épreuve leur volonté de vivre. Les nuits dans la cabane infestée de fissures leur congèlent le sang. Chaque matin ils doivent briser la glace dans la bassine d’eau rien que pour pouvoir s’asperger le visage. Mais ils sont jeunes, libres, et fervents, seuls commanditaires de leur vie. L’hiver ne les tue pas. Pas encore. Le plus noir désespoir au plus profond d’eux-même se durcit en diamant. »

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Lèvres de pierre  de Nancy Huston paraîtra le 22 août aux éditions Actes Sud

Comment et pourquoi Nancy Huston écrit-elle aujourd’hui le récit de ses années de formation en miroir de celles d’un Cambodgien de la génération de son père, venu comme elle à Paris, y étant entré en politique mais aussi en écriture avant de devenir Pol Pot, l’un des pires dictateurs du 20e siècle ?

En voici le début :

« Le Cambodge, je n’y étais allée qu’une fois, début 2008. J’y avais tenu un journal…

« 13 janvier, villa Loti, Siem Reap, 5h30, assise devant notre bungalow dans les ténèbres moites et chaudes, pulsations de musique – tambours, un homme qui chante -, cris de coqs, le climatiseur qui bourdonne, quelques moustiques, l’immmobilité de l’air…

En général, quand je pars à la découverte d’un pays très étranger, je me fais accompagner par ses romanciers. Or (pour des raisons qu’à l’époque je ne comprenais pas encore), il n’y a pas de roman cambodgien.

Bien que voyageant en couple, j’ai vécu ce périple dans un drôle de silence et une drôle de solitude. J’étais aux aguets, hyper-attentive aux traces du génocide khmer rouge. Dès le deuxième jour, entrant dans une librairie d’occasion dans la vieille ville de Siem Reap, j’ai acheté le livre du photographe irlandais Nic Dunlop The Lost Executioner (Le Bourreau perdu) et me suis mise à le lire de façon obsessionnelle. Le lendemain, j’ai fait des photos d’un groupe de musiciens jouant assis par terre dans une ruelle étroite. Alignées tout près, côte à côte, leurs jambes de bois attendaient qu’ils viennent les reprendre à la fin du concert. Tous ces hommes avaient été blessés par des mines antipersonnel, tous avaient dû être amputés… à l’exception du joueur de vièle, dont l’archet dirigeait l’ensemble, qui, lui, était aveugle. A Angkor, la jeune femme en uniforme qui vérifiait nos billets à l’entrée des temples nous a remis des flyers pour un concert d’orchestre de mutilés dont les bénéfices iraient aux « enfants du génocide ».

Jour après jour, mon mari s’étonnait : « Comment un peuple aussi calme et souriant a-t-il pu perpétrer le pire autogénocide de l’histoire humaine ? » Moi aussi j’étais déroutée par la courtoisie et la douceur extrêmes des Khmers. Je ne savais pas encore que mines doucereuses et génocides pouvaient traduire un même détachement, que le légendaire sourire des Khmers (tout comme le mien) était souvent un masque, servant non à projeter mais à protéger l’intimité de qui le porte.
Un jour, nous avons fait deux heures de brousse dans une jeep avec chauffeur : pistes de poussière rouge, villages misérables, cabanes sur pilotis aux toits de chaume, vaches efflanquées, buffles… Arrivés à Banteay Srei et à Beng Mealea, nous avons eu le sentiment d’être au bout du monde. Une existence dans les rizières comme voici cinq, dix, ou quinze siècles… sauf que les paysans contemporains étaient plus pauvres. »

 


Les cigognes sont immortelles
 d’Alain Mabanckou paraîtra le 16 août aux éditions du Seuil

A Pointe-Noire, dans le  quartier Voungou, la vie suit son cours. Autour de la parcelle familiale où il habite avec Maman Pauline et Papa Roger, le jeune collégien Michel a une réputation de rêveur. Mais les tracas du quotidien vont bientôt être emportés par le vent de l’Histoire et l’assassinat à Brazzaville, en mars 1977, du camarade président Marien Ngouabi.

 

En voici le début :

« Maman Pauline dit souvent que lorsqu’on sort il faut penser à mettre des habits propres car les gens critiquent en premier ce que nous portons, le reste on peut bien le cacher, par exemple un caleçon gâté ou des chaussures trouées.

Je viens donc de changer de chemise et de short.

Papa Roger est assis sous le manguier, au bout de la parcelle, très occupé à écouter notre radio nationale, La Voix de la Révolution Congolaise, qui, depuis hier après-midi, ne passe que de la musique soviétique.

Sans se retourner, il me donne des consignes :

-Michel, ne traîne pas sur ton chemin ! N’oublie pas les courses de ta mère, mon vin rouge, mon tabac, et ne perds pas ma monnaie !

S’il me rappelle de ne pas traîner c’est parce que j’ai l’habitude d’admirer les voitures des capitalistes noirs du côté de l’avenue de l’Indépendance en me disant que je ne les reverrai plus dans ma vie. Je reste debout à les regarder, à imaginer que plus tard j’en achèterai une, que je la cacherai le soir dans un garage surveillé par des bouledogues auxquels je ferai boire du Johnnie Walker Red Label mélangé avec de l’alcool de maïs pour les rendre dix fois plus méchants que les chiens des Blancs du centre-ville. Ces pensées ne me quittent plus, j’oublie les courses de Maman Pauline, je ne me souviens plus que Papa Roger m’a aussi commandé du vin rouge et de la poudre de tabac qu’il enfonce dans les narines et qui lui fait couler des larmes.

Mon père s’inquiète également pour sa monnaie, du fait que j’ai un problème depuis l’école primaire : les poches de mes shorts sont quelquefois percées, j’y cache des bouts de fil de fer qui me servent à réparer mes savages en plastique au cas où elles tomberaient en panne en pleine rue. Donc, au lieu de mettre la monnaie dans ces poches, je la serre fort dans la main droite. Malheureusement, au moment où je salue les papas et les mamans du quartier que je croise sur ma route (c’est obligatoire de le faire pour qu’ils n’aillent pas rapporter n’importe quoi chez mes parents), eh bien, la monnaie tombe par terre. Je dois la ramasser sans tarder sinon les gaillards qui fument le chanvre dans les coins de rue vont s’en emparer pour acheter des cadeaux à ces filles très maigres, les évadées, qui vadrouillent avec eux. Si nous les appelons les évadées c’est de leur propre faute : elles ont fui le domicile de leurs parents, elles sont habillées comme si elles n’étaient pas habillées, on voit tout gratuitement, elles n’ont pas honte de ça, et en plus elles acceptent de faire avec n’importe quel garçon des choses que je ne vais pas étaler ici, autrement on va encore dire que moi Michel j’exagère toujours et que parfois je suis impoli sans le savoir… »

 

 

«Chien-loup» de Serge Joncour paraîtra le 22 août aux EditionsFlammarion

L’écrivain raconte l’histoire, à un siècle de distance, d’un village du Lot, et c’est tout un passé de bêtes et anéanti par la guerre qu’il déterre, pour mieux éclairer notre monde contemporain. Il nous montre que la sauvagerie est un chien-loup, toujours prête à surgir au cœur de nos existences civilisées.

 

En voici le début :

« Juillet 1914

Jamais de tels cris n’étaient descendus depuis les collines. Jamais on n’avait entendu beugler comme ça. Vers minuit, au village, les premiers hurlements résonnèrent depuis les hauteurs, des hurlements lointains qui, à l’évidence se rapprochaient. Les anciens eux-mêmes ne déchiffrèrent pas tout de suite ce hourvari, à croire que les bois d’en haut étaient le siège d’un furieux sabbat, une rixe barbare dont tous les acteurs seraient venus vers eux. On pensa d’abord à des lynx ou à des renards qui se disputeraient une prise, ces petits fauves libres et enragés qui enfièvrent les nuits de leurs carnages. Ou alors c’était le requiem des loups, parce que les loups modulent entre les graves et les aigus, en meute ils vocalisent sur tous les tons pour faire croire qu’ils sont dix fois plus nombreux. Ces derniers temps on balançait ce qu’il faut de strychnine, malgré ça des loups, il en restait dans les collines, alors on réveilla tout le monde, les anciens comme les enfants, on les tira du lit pour qu’ils frappent des cuillères sur le cul des casseroles, qu’ils sortent en criant bien fort, unique méthode éprouvée pour faire reculer les loups.

La nuit, les bois sont un royaume peuplé de cris et de chevauchées. Dans l’ombre, les animaux en profitent pour vivre à l’abri des hommes, de loin on les entend chasser ou s’accoupler, certains même se battent, chaque nuit la terre redevient le monde des bêtes sauvages, et ce soir-là elles l’étaient plus que jamais

-C’est quand même pas des…

-Tais-toi !

Puis la ronde endiablée bascula de ce côté-ci de la colline, le bruit se précisa, et là on comprit que c’étaient des aboiements, des aboiements heurtés et déchirants, mais les loups n’aboient pas et jamais des chiens n’auraient geint aussi fort, pas même des chiens évadés de l’enfer, seuls des chevreuils pouvaient le faire, des chevreuils qui aboyaient atrocement ce soir, une marée de chevreuils sans doute survoltés par les baies de bourdaine ou enflammés par la peur. Jamais ils n’avaient gueulé aussi fort, jamais ils n’avaient lacéré les collines de cette alarme démoniaque. Du coup, plus la peine de taper sur les casseroles, mais il fallut rappeler aux enfants que tous les étés les chevreuils aboient, la nuit ils aboient plus fort encore que des chiens, et d’une façon plus dramatique, plus gutturale et affolante, c’est la gueulante infernale des mâles qui chamboulent les ténèbres, les appels de brocards en rut dont on ne sait s’ils cherchent à effrayer l’adversaire ou à hurler leur détresse. »

 

 

 

«Tu t’appelais Maria Schneider» de Vanessa Schneider, paraîtra le 16 août aux Editions Grasset

 

En quelques jours, Maria Schneider était devenue l’une des actrices les plus célèbres de France… pour son plus grand malheur. Manipulée par Bernardo Bertolucci et Marlon Brando dans une scène devenue mythique du « Dernier Tango à Paris », elle ne s’en remettra jamais. Sept ans après sa mort, la journaliste Vanessa Schneider, sa cousine, raconte son histoire.

En voici le début :

« « J’ai eu une belle vie. » Tu as glissé cette phrase comme un doigt fatigué se promène sur une panne de velours avec un sourire doux et le regard envolé vers des souvenirs heureux. C’était quelques jours avant la mort. Tu ne l’as pas dit pour nous faire plaisir, ce n’était pas ton genre, ni pour t’en convaincre toi-même, tu semblais profondément le penser. Ces mots, je ne les ai pas compris tout de suite. Ils ont d’abord résonné comme une fausse note bruyamment imposée dans une partition tenue. J’avais depuis si longtemps pris l’habitude de te plaindre, de m’inquiéter pour toi, de m’assombrir sur tes malheurs qui étaient aussi les nôtres. Tu y croyais, pourtant. « J’ai eu une belle vie. » Et c’était si bon que tu voies les choses ainsi.

Tu avais cinquante-huit ans lorsque tu nous as quittés. On explique communément que ce n’est pas un âge pour mourir. Cet âge, pour être honnête, nous n’aurions jamais cru que tu l’atteindrais un jour. Tu fais partie de ces personnalités dont on se dit, lorsqu’on apprend leur décès, qu’on les pensait disparues depuis des années tant elles semblent appartenir à un passé lointain. En ce début de février 2011, la presse te rappelle à la mémoire de ceux qui t’ont oubliée. Sur les sites Internet, dans les pages des jounaux, tu reviens, le temps de quelques heures, d’une poignée de jours, sur le devant de la scène. Les différents articles retracent la même histoire, tissage plus ou moins grossier de formules rebattues et de clichés épais : « L’enfant perdue du cinéma », « le destin tragique », « l’actrice sulfureuse ». On y parle de ta carrière brisée, du Dernier Tango à Paris, de sexe, de drogue, de la dureté du monde du cinéma, des ravages des années 70. Personne n’a écrit que tu étais partie en buvant du champagne, ta boisson favorite, la mienne aussi, celle qui fait oublier les meurtrissures de l’enfance et qui nimbe de joie les fêlures intimes des âmes trop sensibles. Tu t’en es allée au milieu des bulles et des éclats de rire, de visages aimants et de sourires pétillants. Debout, la tête haute, légèrement enivrée. Avec panache. »

 

 

 

«La chance de leur vie» de Agnès Desarthe  paraîtra le 16 août aux Editions de L’Olivier

Hector, Sylvie et leur fils Lester s’envolent pour les Etats-Unis où une nouvelle vie les attend. Hector a été nommé professeur en Caroline du Nord et très vite il fait des ravages parmi les femmes qui l’entourent… Pendant ce temps, Paris est victime d’attentats et l’Amérique s’apprête à élire Trump…

En voici le début :

« Hector avait une femme. Elle s’appelait Sylvie. Ensemble ils avaient un fils. Il s’appelait Lester. Un prénom anglais parce que la famille paternelle d’Hector était originaire de Penzance, en Cornouailles, ou plutôt d’une bourgade située au nord de cette station balnéaire. Un village dont on taisait le nom par amour du secret.

Récemment, Lester avait demandé à ce qu’on l’appelle autrement. Cela s’était passé dans l’avion. Au-dessus de l’océan Atlantique. A peu près au milieu, mettons. Là où, avait songé l’adolescent, passagers et équipage seraient irrémédiablement perdus si, par malheur, l’appareil venait à s’abîmer. Même si l’amerrissage est possible, avait-il spéculé, nous sommes si loin de tout, si détachés de la terre que nous mourrons. Nous ne mourrons pas dans les flammes, nous ne mourrons pas sous le choc, corps lacérés par les éclats de carlingue, nous mourrons comme sont morts les marins, les explorateurs : de faim, de tristesse et d’angoisse.

Cela ne lui faisait pas peur. Il avait quatorze ans et s’exerçait fermement à la sagess.

Nous mourrons.

Assis entre son père et sa mère – lui plongé dans un journal, elle lisant la même page de son livre depuis le début du vol parce qu’elle n’arrivait pas à se concentrer, qu’elle l’espionnait, car, oui, elle espionnait son fils, son fils qui l’inquiétait, sans qu’elle le reconnaisse, sans qu’elle en parle – Lester envisageait leur disparition avec sérénité.

Alors qu’il s’imposait un rythme de respiration de cinq seconde à l’inspire et dix à l’expire dans l’espoir de faciliter son entrée en méditation profonde, paumes tournées vers le haut et paupières closes, une menue gerbe d’eau lui avait arrosé le visage. Ce n’était presque rien. Le contenu de la bouche d’une grenouille farceuse qui, pour jouer, lui aurait craché dessus. Mais ce n’était pas une grenouille, bien entendu. C’était Léonie, l’hôtesse atteinte d’un rhumatisme aigu et qui ne l’avait dit à personne parce qu’elle aimait les voyages, son uniforme, et redoutait un licenciement. Une pointe douloureuse au niveau du genou l’avait fait trébucher juste au moment où elle débarrassait la boisson d’un homme assis de l’autre côté de l’allée. L’eau avait jailli. »

 

 

«Un monde à portée de main» de Maylis de Kerangal Kenned paraîtra le 16 août aux Editions Verticales

Nous inaugurons notre série de « bientôt » avec l’un des livres les plus attendus de la rentrée.

En voici le début :

« Paula Karst apparaît dans l’escalier, elle sort ce soir, ça se voit tout de suite, un changement de vitesse perceptible depuis qu’elle a claqué la porte de l’appartement, la respiration plus rapide, la frappe du cœur plus lourde, un long manteau sombre ouvert sur une chemise blanche, des boots à talons de sept centimètres, et pas de sac, tout dans les poches, portable, cigarettes, cash, tout le trousseau de clés qui sonne et rythme son allure – frisson de caisse claire -, la chevelure qui rebondit sur ses épaules, l’escalier qui s’enroule en spirale autour d’elle à mesure qu’elle descend les étages, tourbillonne jusque dans le vestibule, après quoi, interceptée in extremis par le grand miroir, elle pile et s’approche, sonde ses yeux vairons, étale de l’index le fard trop dense sur ses paupières, pince ses joues pâles et presse ses lèvres pour les imprégner de rouge, cela sans prêter attention à la coquetterie cachée dans son visage, un strabisme divergent, léger, mais toujours plus prononcé à la tombée du jour. Avant de sortir dans la rue, elle a défait un autre bouton de sa chemise : pas d’écharpe non plus quand dehors c’est janvier, c’est l’hiver, le froid, la bise noire, mais elle veut faire voir sa peau, et que le vent de la nuit souffle dans son cou.

Parmi la vingtaine d’élèves formés à l’Institut de peinture, 30 bis rue du Métal à Bruxelles, entre octobre 2007 et mars 2008, ils sont trois à être restés proches, à se refiler des contacts et des chantiers, à se prévenir des plans pourris, à se prêter main-forte pour finir un travail dans les délais, et ces trois-là – dont Paula, son long manteau noir et ses smoky eyes – ont rendez-vous ce soir dans Paris.

C’était une occasion à ne pas manquer, une conjonction planétaire de toute beauté, aussi rare que le passage de la comète de Halley ! – ils s’étaient excités sur la toile, grandiloquents, illustrant leurs messages par des images collectées sur des sites d’astrophotographie. Pourtant, à la fin de l’après-midi, chacun avait envisagé ces retrouvailles avec réticence : Kate venait de passer la journée perchée sur un escabeau dans un vestibule de l’avenue Foch et serait bien restrée vautrée chez elle à manger du tarama avec les doigts devant Game of Thrones, Jonas aurait préféré travailler encore, avancer cette fresque de jungle tropicale à livrer dans trois jours, et Paula, atterrie le matin même de Moscou, déphasée, n’était plus si sûre que ce rendez-vous soit une bonne idée. Or quelque chose de plus fort les a jetés dehors à la nuit tombée, quelque chose de viscéral, un désir physique, celui de se reconnaître, les gueules et les dégaines, le grain des voix, les manières de bouger, de boire, de fumer, tout ce qui était en mesure de les reconnecter sur-le-champ à la rue du Métal. »

 

 

 

 

 

 
 
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