Eux sur la photo
Hélène Gestern

Arléa Editions
arlea-poche
octobre 2013
300 p.  10 €
 
 
 
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coup de coeur

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coup de coeur

C’est un livre merveilleux. Un de ces romans dont on se dit : mais pourquoi ne l’ai-je pas lu plus tôt, pourquoi m’a-t-il fallu ce terrible confinement pour prendre le temps de l’ouvrir, alors qu’il était là, sur mes étagères, depuis plus de six mois ? Oui, c’est un livre merveilleux et d’une très grande beauté. Hélène Gestern écrit comme on n’écrit plus et se laisser porter par ses phrases procure un plaisir infini. Tout est délicatesse, douceur, pudeur aussi. Ce texte bouleversant est beau à en pleurer, ce dont je ne me suis évidemment pas privée.
Eux, sur la photo, ce sont deux jeunes gens : elle s’appelle Natalia Zabvine et lui Pierre Crüsten. Ils sont beaux, légers, insouciants et ils s’aiment. C’est une évidence. Ils vont (ou viennent de) jouer au tennis. La photo est ancienne. On voit cela aux tenues un peu démodées et au grain épais du tirage. Observer une photo, tenter de deviner l’identité des gens, les sentiments qui les lient est une entreprise délicate. On peut se tromper… Pourquoi cet homme se penche-t-il sur cette femme ? Veut-il lui dire quelque chose ? Pourquoi affiche-t-elle un sourire empreint de gravité ? Est-elle inquiète ? Pense-t-elle que le bonheur qu’elle semble goûter n’est qu’un moment fugace qui va lui échapper ?
Il y a un troisième homme sur cette photo. Lui se tient en retrait. Qui est-il ? Un mystère de plus…
La personne qui examine cette photo s’appelle Hélène Hivert, elle a bientôt quarante ans, vit seule avec son chat. Elle a passé une petite annonce dans Libé car elle aimerait bien savoir qui est le jeune homme aux bras protecteurs qui se tient près de sa mère sur cette photo. Cette mère, elle ne l’a pas connue. Elle est morte lorsqu’elle avait trois ans dans des circonstances assez mystérieuses. Si son père et sa belle-mère l’ont élevée en lui manifestant beaucoup d’amour et d’attention, ils ont fait en sorte qu’il ne soit jamais question de sa mère. Pourquoi ? Qui était Natalia Zabvine ? Pourquoi a-t-on toujours refusé à sa fille d’en savoir plus sur elle ? Quel terrible secret était le leur ?
Comme il est impossible de se construire sur du vide, des silences, des non-dits, sa fille, Hélène, va mener l’enquête. Un homme va répondre à son annonce : il s’appelle Stéphane et est le fils de Pierre Crüsten. Lui aussi se heurte à des questions concernant son père, peu loquace et irascible. Ils vont entreprendre un échange épistolaire pour tenter de comprendre qui étaient Natalia et Pierre, la nature de leur relation… Mais n’est-ce pas dangereux de remuer les choses du passé ? Où cette enquête va-t-elle les mener ?
Ce roman n’est pas seulement une histoire fascinante qui va vous tenir éveillé tard dans la nuit, il invite aussi à une réflexion sur la photographie, à la découverte d’un passé fixé à tout jamais sur un morceau de papier, pour le meilleur lorsqu’il renvoie à des moments heureux mais aussi pour le pire quand on sait que ces moments ne seront plus. Il y a une dimension modianesque dans ce roman à travers l’évocation du temps qui passe et la volonté de reconstituer ce qui n’est plus, comme un puzzle dont on assemblerait avec peine toutes les pièces. On a l’impression que ce passé, qu’il nous soit connu ou inconnu, dicte notre histoire présente, fait de nous ce que nous sommes devenus. Nous héritons, consciemment ou inconsciemment, d’une histoire et c’est avec elle que nous traçons notre chemin et qu’il nous faut avancer…
Par ailleurs, la lecture de ce roman nous amène aussi à nous interroger sur ce que fut une époque, avant mai 68 : les tabous, les interdits, les conventions sociales, la morale… On a presque oublié tout ce que les jeunes de cette époque ont dû subir comme contraintes et comme absence de libertés…
Enfin, ce qui, à mon avis, rend ce texte particulièrement délectable, c’est la relation pleine de retenue et de douceur qui se tisse progressivement entre les deux correspondants. On assiste à l’éclosion de leurs sentiments, à la progression de leur attachement et vraiment, l’écriture élégante et délicate d’Hélène Gestern nous plonge dans un pur ravissement !
Vous aimerez ce roman, plus que vous ne l’imaginez en lisant ces lignes… Croyez-moi !

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« Une petite annonce dans un journal comme une bouteille à la mer. Hélène cherche la vérité sur sa mère, morte lorsqu’elle avait trois ans. Ses indices : deux noms et une photographie retrouvée dans des papiers de famille, qui montre une jeune femme heureuse et insouciante, entourée de deux hommes qu’Hélène ne connaît pas. Une réponse arrive : Stéphane, un scientifique vivant en Angleterre, a reconnu son père. Commence alors une longue correspondance, parsemée d’indices, d’abord ténus, puis plus troublants. […] « 

Le roman épistolaire est un genre que j’apprécie beaucoup. En voici un nouveau très bel exemple avec ce roman traitant, avec beaucoup de sensibilité, des secrets de famille.

L’histoire est touchante, émouvante et prenante. Dès les premières pages, l’auteur m’a entraînée et ne m’a plus lâchée. J’étais là, dans un coin, près d’Hélène, attendant avec elle, la main sur son épaule pour lui apporter mon soutien. J’étais emplie de compassion pour la petite fille qu’elle avait été, orpheline de mère à 3 ans, à qui personne n’a jamais voulu dire ce qui lui était arrivé, à qui personne, jamais, n’acceptait de parler de sa mère, au point que, à plus de 30 ans, le silence et l’étouffement se traduisent encore chez elle par des crises d’asthme. Par petites touches, pas trop vite mais sans non plus s’enliser dans l’attente, l’auteur déroule les souvenirs des quelques témoins encore en vie. Elle décrit, entre deux lettres ou courriels, les photos que Stéphane et Hélène découvrent dans les albums et autres archives familiales, et les personnages prennent vie devant nos yeux. On découvre des personnes, vivantes ou passées, très attachantes, avec leurs failles, leurs souffrances, leurs craintes; avec aussi l’éclat du bonheur, parfois, au fond des yeux, et beaucoup d’humanité dans le regard qu’Hélène et Stéphane portent sur leurs parents. On passe d’un couple à l’autre, d’une époque à l’autre, sans heurt et avec un réel bonheur.

L’écriture est quant à elle magnifique. Quel plaisir de lire une si belle langue, un français si maîtrisé sans en être inaccessible ou empesé. Le russe y trouve tout naturellement sa place, sans rompre ni le charme ni le rythme. Enfin, la construction est intelligente : hormis la description des photos, tout est relaté sous forme d’échanges écrits (lettres et mails, ainsi que quelques sms), ce qui permet au lecteur de ne pas sortir de ce moelleux fauteuil dans lequel il s’est installé en ouvrant la lettre, pardon le livre.

Touchant et superbement écrit, ce premier roman d’Hélène Gestern est une totale réussite, tout en finesse, en délicatesse et en retenue. Un coup de cœur pour la plume de cette auteure à suivre.

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