Mécanique de la chute
Seth Greenland

traduit de l'anglais par Jean Esch
Liana Levi
litterature
septembre 2019
667 p.  24 €
ebook avec DRM 18,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Cinquième roman de Seth Greenland en quinze ans, « Mécanique de la chute » a tout pour lui apporter une large reconnaissance. Cette fable new yorkaise sur l’argent et le pouvoir se lit d’une traite, avec un plaisir gourmand. Elle imbrique trois histoires de réussite qu’un événement dramatique va faire tanguer et se rejoindre. Le milliardaire de l’immobilier Jay Gladstone, la procureure Christine Lupo et le basketteur D’Angelo « Dag » Maxwell sont au sommet de leurs carrières respectives. Ils veulent grimper encore mais aussi préserver leur bulle personnelle. Ils sont inaccessibles, parfois odieux, rarement détestables. L’auteur les campe avec sérieux et ironie, sourit de leurs faiblesses et de leurs contradictions. Il confronte les milieux sociaux et les cultures, puis observe le résultat. Il intègre à ce carrousel un peu fou la fille du milliardaire et ses jeunes amis rebelles, le frère du champion et ses potes un peu paumés. Le rythme s’emballe, la tragédie guette mais le flux du récit reste limpide. Sous cette comédie humaine qui pointe les grands maux de l’Amérique d’aujourd’hui, inégalité, injustice et racisme, on pense bien sûr au « Bûcher des Vanités », référence que Seth Greenland a l’élégance d’assumer. Trente-deux ans après, pourtant, son livre file un petit coup de vieux à celui de Tom Wolfe qui ignorait la plaie des réseaux sociaux, facteur d’emballement de la chute en question. Moderne dans le propos, classique dans la forme, amoureux des dialogues et orfèvre de la satire, ce sexagénaire qui a toujours vécu de sa plume nous régale avec cette fiction ambitieuse et excitante, de loin son meilleur livre.
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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Sous le bûcher

Voici un grand roman. Avec un grand personnage, une intrigue solide, une écriture précise, une maîtrise parfaite, un sens de la tragédie aiguisé. « Mécanique de la chute » emballe. (on préfèrera le titre original «the hazards of good fortune », mais bon)
Seth Greenland, son auteur, n’en est pas à son coup d’essai, peut-être à son premier coup de maître.
L’histoire de la dégringolade d’un magnat de l’immobilier, Harold Jay Gladstone, blanc, juif, riche à milliards, propriétaire d’une équipe de basket, donateur pour les républicains et les démocrates, dents blanches, rien qui ne le prédisposât à se retrouver en pleine tempête.
D’emblée pourtant, au sortir d’un match de basket perdu par son équipe, une légère brise se lève déjà, discrète en apparence, annonciatrice pourtant d’un chaos à venir.
Nous sommes en 2012, Obama est au commande d’un pays où les noirs, paradoxalement, sont comme jamais dans le viseur des policiers blancs, où les ultra riches, comme Gladstone, peuvent rapidement devenir la cible préférée des faiseurs d’opinion au moindre pas de côté, sont déjà la proie favorite des donneurs de leçons de bonne conduite qui font la nouvelle Loi, sur les réseaux sociaux et par ricochet dans l’ensemble des médias. On ne les tolère que parfaits, ces trop riches. Ils n’ont pas droit à l’ambiguïté, au hasard, au mauvais moment, on ne les supporte que transparents, limpides, évidents. On a soudain décrété qu’ils devaient …payer. Leurs fortunes brutalement devenues mauvaises.
Plus ce qui dégringole est grand, plus le spectacle de sa chute est étourdissant, réveillant tous les intérêts. On se passionne pour ces effondrements là, bien plus que pour l’extinction d’un grand nombre d’espèces vivantes. Un château soudain en ruine, brutalement se fissurant, se lézardant, s’écroulant au final, nourrit des légions de journalistes, largement doublés de nos jours par de bien plus redoutables mais pathétiques armées de commentateurs.
Le petit doigt à peine dans l’engrenage, on sait déjà que Harold Jay Gladstone ne s’en sortira pas. Ni indemne, ni mort, il ne s’en sortira pas du tout. Jamais. Tout le poussera à l’accident, à la catastrophe. Dans le pays de la rédemption, Gladstone s’apercevra que selon le vent on devient vite trop riche, trop blanc, trop juif. Il montera son Golgotha, longuement, tout filmé bien sûr, enregistré, scruté, exposé.
Pourvu que ça saigne, et que, évidemment, ça fasse mal.
Seth Greenland dissèque à merveille cette décadence romaine là, monnaie courante, que nous connaissons tous déjà presque par coeur.
On lui doit l’immense plaisir qui est le nôtre, 660 pages durant, à contempler Gladstone se débattre, puis s’enfoncer, de toile en toile, s’efforcer en vain de se décrocher, vaille que vaille, 660 pages sous le bûcher, parmi les braises, hurlantes et parfois drôles, où tous réclament justice, leur propre justice en fait, toute hystérie bue.

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