Les Bourgeois
Alice Ferney

Actes Sud Editions
romans, nouvell
août 2017
368 p.  22 €
ebook avec DRM 9,49 €
 
 
 
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Un siècle français

Jérôme appartenait au clan des Bourgeois et il vient de mourir : la narratrice va s’emparer de sa vie et de celle de ses sept frères et deux sœurs. Car les Bourgeois forment une tribu qui a de bourgeois le nom et aussi le mode de vie. Quand Henri, le père, rencontre Mathilde, c’est une évidence : ces deux-là auront des enfants, beaucoup d‘enfants, et ils les élèveront dans le catholicisme, le culte de la nation, ils leur enseigneront les bonnes manières. Nous sommes en 1920 et nous suivons l’arrivée des bébés « comme des horloges » tous les ans, nous plongeons dans la crise de 29, les déménagements successifs et le train de vie d’une famille « comme il faut » dans le seizième arrondissement de Paris.

Alice Ferney n’a pas son pareil pour tricoter la petite et la grande Histoire, pour montrer « le feuilletage des années ». Les hommes de la famille occuperont des postes dans l’armée, feront leur devoir, deviendront avocats, hommes d’affaires, auront des avis contraires sur la vie politique, se réconcilieront. Les filles feront des enfants puis verront arriver l’émancipation des femmes et la liberté en marche. Saga familiale mais aussi fresque généreuse du vingtième siècle, « Les Bourgeois », qui constitue la suite de «L’élégance des veuves», démontre s’il le fallait l’étendue du talent d’Alice Ferney : ses descriptions minutieuses nous immergent dans la première puis la seconde Guerre mondiale, l’Indochine, l’Algérie, les combats sociaux et la vie politique de la quatrième république, en ne négligeant jamais les détails de l’existence de Jules, Marie, Nicolas et les autres. «La machine à aimer » qui se met en place conçoit des mariages et des naissances, célèbre des anniversaires dans une ronde de personnages attachants sans jamais oublier la mort, « la grande ouverture sombre » qui veille et va décimer la tribu, emmenant chacun des personnages l’un après l’autre. Une chevauchée du siècle dont on sort étourdi et heureux .

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LE CHARME INCERTAIN D’UNE CERTAINE BOURGOISIE

C’est l’histoire d’une famille, les Bourgeois, que retrace Alice Ferney dans son dernier roman, et à travers elle, celui de la fin du XIXe, du XXe et du début du XXIe siècle.
La présentation de la famille est accomplie par l’auteure d’une manière assez simple pour que le lecteur puisse se repérer en cours de lecture : ils sont les enfants d’Henri et de Mathilde, ils sont dix : huit garçons, deux filles, ils s’appellent Bourgeois, ont été tous baptisés dans l’Eglise catholique, ils se prénomment Jules, Jean, Nicolas, André, Joseph, Louise, Jérôme, Claude, Guy, Marie. Ils sont nés entre une hécatombe, celle de 1914 et un génocide, celui de 1945.

A priori, le choix sociologique fait par Alice Ferney peut paraître peu convaincant à un lectorat contemporain : un fragment de la bourgeoisie catholique, maurrassienne, conservatrice, étroitement localisée entre le boulevard Emile Augier dans le seizième arrondissement de Paris, et les allées du bois de Boulogne voisin, où la progéniture s’égaye .Les femmes n’y ont pour fonction et pour rôle social que d’être aux services des autres, de reproduire l’espèce, de s’effacer devant la bienséance, de renoncer à tout, surtout à l’affirmation de leur propre personnalité .On peine à croire à l’efficacité de l’hermétisme de cette famille qui se tient décidément à l’écart de tous, à s’identifier à elle .Pourtant, Alice Ferney parvient à mettre en perspective les vies des membres de cette famille , en les mettant en scène à diverses périodes de l’histoire, parmi les plus agitées et les plus cruelles :celles des deus guerres mondiales. Il y a alors toute un réflexion développée sur la mémoire, la saisie sur-le-champ de la signification d’un événement : « Comme c’est vertigineux n’est-ce pas de coller ex post les événements remarquables les uns à la suite des autres et de connaître, puisque tout est consommé, ceux qui furent prémonitoires des drames qu’on a traversés.(…) Appartenir à une époque, c’est être incapable d’en comprendre le sens. »
Autre illustration faite par Alice Ferney : celle de l’évolution des mœurs et leur impact sur la place de la femme dans la société. Ainsi, l’auteur imagine-t-elle les héroïnes de son roman potentiellement heureuses de nos jours, comme si le sort des individus dépendait grandement de l’époque où ils vivent .Nous ne pouvons que souscrire à ce jugement et Alice Ferney délivre dans ce beau roman une démonstration convaincante de ce lien : « Enseigner à l’Université , créer une entreprise ou publier des livres, choisir le nombre de ces enfants, profiter d’une péridurale ou d’une échographie n’existait pas encore quand vivaient Henri et Mathilde Bourgeois .L’espace matériel et temporel était autre, les gens agissaient autrement .Soyons certains qu’ils recélaient les potentialités que nous avons réalisées. Le féminisme politique et le raffinement de la connaissance du corps ont desserré l’étau patriarcal et nous nous en félicitons. »
C’est dit, et l’auteure nous rassure donc, coupant court à une impression de complaisance vis-à-vis de ce passé, par ailleurs bien décrit et évoqué avec une grande finesse.

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coup de coeur

Une traversée du siècle

Voilà 20 ans qu’après « L’élégance des veuves », je suis une inconditionnelle d’A.Ferney .
Cette fois c’est une chronique familiale qui nous est contée , et ce sur plus d’ un siècle .
Le patronyme de cette famille est Bourgeois , et ça tombe bien , ce sont des bourgeois.
Peut -être sous couvert de cette famille, A.Ferney nous parle t ‘elle de la sienne, car les grandes fratries lui sont familières.
C’est à partir de l’enterrement de l’un de ses membres et en compagnie d’un des survivants de la première fratrie Bourgeois, que revient en mémoire le destin de chacun .
Et c’est avec énormément de délicatesse et un infini respect que l’auteur dessine tous les destins individuels de ces bourgeois catholiques , conservateurs, toujours en écho avec l’Histoire , des prémices de la Grande Guerre à nos jours.
Henri et Mathilde Bourgeois ont eu 10 enfants , et 40 petits enfants.
Ce qui peut paraître déraisonnable de nos jours , pour certains, en général ne l’était pas pour l’époque, et c’est là toute l’intelligence d’A.Ferney, c’est qu’elle est toujours dans le temps des événements et non avec le regard actuel.
Il en est ainsi des guerres, de la Résistance, de l’Algérie plus tard, jamais revues a l’aune du futur mais de l’instant, ce qui éclaire les évènements d’une manière différente de celle imposée par les livres d’Histoire.
Le sens du devoir, est une valeur partagée par tous les Bourgeois, ils font de belles carrières dans l’armée, la marine, les affaires, la médecine , la justice.Ils sont bien vivants , acteurs de l’Histoire.Ils font le lien entre les époques et les esprits avec une adaptation (parfois relative pour certains). Les femmes ont beaucoup d’importance dans cette saga familiale, on y voit tout doucement leur émancipation , chacun jugera selon son propre parcours si ces femmes qui ne faisaient qu’enfanter et s’occuper de leur famille étaient des malheureuses.
Le maillage du roman est une mosaïque de souvenirs , de vies multiples immortalisées sur photos. Un très grand roman ; A. Ferney semble de plus en plus talentueuse au fil des années .

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